Quels enjeux pour les discussions entre Tunis et le FMI?

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Le 18/02/2022 à 08h09, mis à jour le 18/02/2022 à 08h21

La Tunisie a entamé des discussions préliminaires à d'éventuelles négociations avec le Fonds monétaire international (FMI) dans l'espoir d'obtenir plusieurs milliards de dollars pour sauver une économie lourdement endettée, pénalisée par l'inflation et un chômage endémique.

Des représentants du FMI effectuent depuis lundi une «visite virtuelle» qui consiste en des «discussions techniques» avec les ministres concernés sur les «réformes à mettre en œuvre pour sortir le pays de la crise».

- Pourquoi la Tunisie a-t-elle besoin d'une nouvelle aide?

Depuis la révolution qui a renversé le dictateur Zine el Abidine Ben Ali en 2011, les Tunisiens ont enduré une décennie de crise.

En onze ans, le PIB par habitant en dollar a chuté de 20%, le pouvoir d'achat des Tunisiens s'est effondré de 35% sous l'effet aussi d'une dévaluation de 40% du dinar.

Deux précédents prêts du FMI, d'1,7 milliard de dollars en 2013 et de 2,8 mds supplémentaires en 2016, n'ont pas permis de redresser les finances publiques.

Avec la pandémie de Covid-19, l'économie s'est enfoncée dans la crise : le taux de chômage est passé de 15,1% à 18,4% et l'inflation dépasse les 6% annuels.

Pour l'économiste tunisien Ezzedine Saidane, le grand défi du pays est sa dette publique qui a atteint «un niveau sans précédent, plus de 100% du PIB» contre 41% en 2011. Elle pèse sur la crédibilité de la Tunisie à l'étranger en tant qu'emprunteur.

«Passer par le FMI est inévitable pour reconstruire un petit peu la crédibilité de la Tunisie et pouvoir mobiliser des ressources extérieures», a expliqué Saidane à l'AFP.

- Que pourrait exiger le FMI ?

Le FMI s'est publiquement inquiété des déficits budgétaires de la Tunisie sous l'effet du poids du secteur public (plus de 16% du PIB).

«Il y a un besoin de réformes très profondes, structurelles», a déclaré le mois dernier à l'AFP le représentant sortant du FMI en Tunisie, Jérôme Vacher.

Le FMI va vraisemblablement conditionner un prêt à la Tunisie par une réduction de la masse salariale publique, «l'une des plus élevées au monde», selon Vacher. Plus de la moitié des dépenses publiques servent à payer les salaires des 650.000 fonctionnaires dans un pays de 12 millions d'habitants.

Selon un diplomate occidental, le gouvernement «s'endette pour couvrir les salaires de la fonction publique».

Le budget sert aussi à tenir à bout de bras les entreprises publiques, souvent monopolistiques (eau, électricité, céréales, transport aérien) et très endettées. Elles emploient au moins 150.000 personnes alors que cet argent pourrait être injecté dans l'éducation, la santé et les infrastructures, a noté Vacher auprès de l'AFP.

Le FMI pourrait aussi exiger la fin de certaines subventions sur des produits de base tels que l'essence ou l'énergie, privilégiant des aides directes aux familles les plus pauvres.

- Quels sont les principaux obstacles?

Une réduction des salaires des fonctionnaires ou de leur nombre, ainsi que des subventions aux produits essentiels seront des pilules difficiles à faire avaler aux Tunisiens.

«Un accord va forcément avoir un impact sur la population», note le diplomate occidental.

Le président tunisien Kais Saied, qui s'est octroyé les pleins pouvoirs en juillet, a bénéficié d'un large soutien à l'époque, et reste populaire selon les sondages.

Mais «aucun acteur politique ne peut s'en tirer en supprimant les subventions», a prédit Romdhane Ben Amor, responsable au Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux.

Selon lui, de nombreux produits subventionnés sont déjà souvent difficiles à trouver, et les services publics, en particulier la santé et l'éducation, sont en décrépitude.

«Tailler encore plus» dans le budget n'est pas la solution, a-t-il estimé.

La puissante centrale syndicale UGTT, très méfiante vis-à-vis des prêts extérieurs, devrait aussi s'opposer à des mesures d'austérité trop draconiennes.

Pour Monica Marks, spécialiste de la Tunisie à l'Université de New York à Abou Dhabi, le président Saied se retrouve dans un exercice d'équilibriste.

Il doit «calmer l'UGTT en évitant les politiques d'austérité défendues par le FMI» mais en même temps «s'il refuse de jouer le jeu avec le FMI, la Tunisie pourrait ne pas obtenir de prêt et chuter d'une falaise encore plus abrupte que celle dont elle est déjà tombée financièrement».

Par Le360 Afrique (avec AFP)
Le 18/02/2022 à 08h09, mis à jour le 18/02/2022 à 08h21