Décidemment, la Tunisie n’est pas encore sortie de la crise politique qu'elle traverse. La tension risque de monter encore d’un cran entre le président Kaïs Saïed et son Premier ministre, Hichem Mechichi, suite au dernier remaniement ministériel du 17 janvier dernier. «L’objectif de ce remaniement est d’avoir davantage d’efficacité dans le travail du gouvernement», a déclaré le Premier ministre.
En effet, suite à cette décision d'un changement de la composition de l'équipe gouvernementale, pour laquelle le Premier ministre a fait un passage en force en choisissant lui-même ses ministres, sans l’assentiment du président, une crise de confiance s’est installée entre les deux hommes. La situation est aujourd'hui telle, que la menace d'une impasse constitutionnelle se profile. Et pour cause: les nouveaux ministres doivent nécessairement passer par le passage obligé d'une «prestation du serment» devant le chef de l’Etat, qui leur confie le(s) département(s) ministériel(s) qu'ils auront à diriger.
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Cependant, le chef de l’Etat tunisien, mécontent de ce remaniement, et surtout du choix de nombreux ministres de la nouvelle équipe gouvernementale, qui a été fait sans son assentiment, s’obstine à ne pas vouloir recevoir certains nouveaux ministres. L'argument de Kaïs Saïed est qu’ils sont suspectés de malversation financière et de conflits d’intérêt.
Le président tunisien avait en effet insisté, avant le remaniement, sur un choix de ministres qui se porterait sur ceux «dont l’intégrité ne soulève aucun doute», et avait souligné qu’«il n’y a pas de place (dans le gouvernement) pour les personnes faisant l’objet de poursuites judiciaires», ou pour lesquelles «il existe des doutes sur leur parcours ou leurs comportements qui pourraient porter atteinte à l’Etat et à la crédibilité de ses institutions et à la légitimité de ses décisions».
En conséquence, le pays, qui traverse une crise aigue depuis la révolution du Jasmin, en 2011, risque de s’enfoncer daavantage dans la crise, à cause de l’arrêt du pays occasionné par ce remaniement, alors que la situation est en ce moment critique.
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De son côté, le Premier ministre aurait, lui, trouvé une astuce juridique pour contourner un éventuel «véto» que poserait le chef de l'Etat. Hichem Mechichi peut ainsi limoger les ministres encore en fonction, et demander à ses nouveaux ministres de remédier à cette vacancen, en prenant leurs fonctions. Il n'aura donc ainsi nul besoin d'attendre une prestation du serment, devant Kaïs Saïed.
Le Premier ministre pourra donc, sous l’effet combiné de la vacance des postes ministériels décriés, et les impératifs dictés par une pressante conjoncture, demander à ses nouveaux ministres de prendre leurs fonctions, sans devoir attendre une prestation de serment.
Mais un délai reste encore de rigueur, car selon l’entourage du Premier ministre, celui-ci devra encore attendre jusqu'à demain, mardi 2 février, pour voir si le président acceptera, ou non, de recevoir le nouveau gouvernement. Dans le cas contraire, Hichem Mechichi pourra alors entamer le limogeage des ministres concernés par ce remaniement, pour en installer d'autres à leurs fonctions.
Par la suite, une fois que ces limogeages auront été publiées au Journal officiel de la République tunisienne, Hichem Mechichi pourra alors demander à ses ministres de prendre leurs fonctions, et pourra ainsi contourner un véto du président. Mais si cette procédure permet de régler ce problème, il n’en demeurera pas moins qu’elle risque de conduire à une aggravation de la crise politique au sommet de l’Etat.
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Selon certains constitutionnalistes, dans l’article 89 relatif au gouvernement de la loi fondamentale tunisienne, la prestation de serment d'un ministre devant le président est obligatoire à son installation pour la première fois à ses fonctions, et non pas dans le cadre d'un remaniement... Quand bien même si celui-ci concernerait de nombreux ministères. Autrement dit, les ministres choisis par Hichem Mechichi pourront donc entamer leur travail sans avoir prêté serment devant Kaïs Saïed, mais, toujours selon les dispositions de la constitution tunisienne, aucun ministre ne peut exercer ses fonctions sans avoir été nommé par le chef de l’Etat.
Il n’est donc pas sûr que ce gouvernement puisse durer aussi longtemps que ces prédécesseurs, dans l'actuel climat délétère au sommet de l’Etat. Après tout, depuis le départ de l’ancien régime de Zine El Abidine Ben Ali, la longévité des gouvernements et des ministres n’est plus un sujet d'actualité en Tunisie. En dix ans, en effet, ce sont ainsi plus de 470 ministres et secrétaires d’Etat qui se sont tour à tour occupés de portefeuilles divers et variés dans les différents gouvernements tunisiens. Voilà qui illustre bien l’instabilité politique que traverse le pays depuis la révolution.
Cette instabilité est d'ailleurs aggravée par la crise économique et sociale. Le pays souffre des effets de la pandémie du Covid-19, de la montée du chômage et de l’inflation. Les dernières manifestations qui ont eu cours dans de nombreuses villes, lors du 10e anniversaire de la révolution, illustre parfaitement la montée du mécontentement populaire envers les classes dirigeantes, qui se sont succédées au sommet de l'Etat depuis le départ de Ben Ali.