Tunisie: le président dissout le Conseil de la magistrature, qu'il juge partial

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Le 06/02/2022 à 08h51, mis à jour le 06/02/2022 à 10h25

Le président tunisien Kais Saied, qui s'est arrogé fin juillet les pleins pouvoirs, a dissous dimanche le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), qui supervise la justice, l'accusant de partialité et de servir des intérêts politiques.

"Le CSM appartient au passé à partir de ce moment", a déclaré le président dans une vidéo diffusée dans la nuit où on le voit discuter avec des ministres.

Il y accuse cet organe constitutionnel indépendant de corruption et d'avoir ralenti des procédures, comme les enquêtes sur les assassinats en 2013 de militants de gauche.

Selon les observateurs, il vise ainsi le parti Ennahdha, sa bête noire, qui a contrôlé le Parlement et les différents gouvernements ces dix dernières années, après la chute du dictateur Zine El Abidine Ben Ali et la révolution de 2011.

"Dans ce conseil, les postes et les nominations se vendent et se font selon les appartenances", a affirmé le chef de l'Etat, en ajoutant: "vous ne pouvez pas imaginer l'argent que certains juges ont pu recevoir, des milliards et des milliards".

Pour lui, "la place des juges (du CSM) n'est pas là où ils se trouvent mais sur le banc des accusés".

M. Saied concentre tous les pouvoirs depuis le 25 juillet, quand il a limogé son Premier ministre et gelé le Parlement, une décision qualifiée de "coup d'Etat" par Ennahdha et d'autres opposants.

Il a depuis nommé un gouvernement mais prend ses décisions par décrets. Mi-décembre, il a annoncé un référendum constitutionnel pour cet été et des élections législatives en décembre.

Le "mouvement du 25 juillet", qui regroupe ses partisans, avait appelé samedi M. Saied à dissoudre le CSM pour "purger" le pouvoir judiciaire de "magistrats corrompus".

- "Manifester librement" -

Dans la vidéo, M. Saied les a encouragés à "manifester librement" dimanche, en dépit d'une interdiction de tout rassemblement pour des raisons sanitaires, réitérée samedi par le ministère de l'Intérieur.

Ils ont prévu de se rassembler vers 10H00 GMT devant le CSM.

Par ailleurs, une importante manifestation est prévue pour commémorer l'assassinat le 6 février 2013 du dirigeant de gauche Chokri Belaïd et celui de Mohamed Brahmi, tué dans des circonstances similaires le 25 juillet 2013.

"Malheureusement, certains juges dans les tribunaux ont manipulé le dossier Chokri Belaïd", a dénoncé M. Saied, à propos du dirigeant abattu de trois balles près de son domicile. "Ce n'est pas le premier procès où ils essaient de cacher la vérité depuis des années", a ajouté M. Saied.

Des islamistes extrémistes avaient revendiqué les deux assassinats, ce qui avait provoqué une grave crise politique qui avait débouché sur le retrait provisoire du pouvoir du parti d'inspiration islamiste Ennahdha et la formation d'un gouvernement de technocrates entre 2013 et 2014.

Le président a assuré "travailler sur un décret provisoire" pour réorganiser le CSM.

Dans un communiqué, M. Saied a argué que "l'un des premiers droits des Tunisiens est d'avoir un système judiciaire juste dont la conduite est contrôlée par des juges qui n'appliquent que la loi".

Le 19 janvier, il avait déjà retiré une série d'avantages en nature aux membres du CSM (carburant à un tarif subventionné, primes de transport et de logement).

Le CSM, créé en 2016 pour superviser l'indépendance de la justice et les réformes nécessaires à cet effet, est composé de 45 membres, pour les deux tiers des magistrats élus par le Parlement qui élisent le tiers restant.

Une juge respectée, Raoudha Karafi, présidente d'honneur de l'Association des magistrats tunisiens s'est inquiétée récemment dans la presse d'atteintes à l'indépendance de la justice.

Le président "avait pris l'engagement de ne pas toucher les droits et libertés, mais aussi le pouvoir judiciaire ! La justice est une ligne rouge à ne pas franchir", avait-elle dit.

Après le coup de force de M. Saied, des ONG tunisiennes et internationales ont dénoncé un "accaparement des pouvoirs" et se sont inquiétées d'un risque de "dérive autocratique".

Par Le360 Afrique (avec AFP)
Le 06/02/2022 à 08h51, mis à jour le 06/02/2022 à 10h25