L’Arabie saoudite, premier exportateur mondial de pétrole, a déclenché une guerre des prix à la suite de l’échec des négociations entre les exportateurs de l’OPEP, qu’elle représente, et ceux hors OPEP, menés par la Russie.
Le cartel des exportateurs de l’OPEP espérait une réduction supplémentaire de la production de 1,5 million de barils par jour, jusqu’à la fin de l’année, mais s’est heurté à un niet de la Russie, qui souhaite maintenir ses parts de marché.
Mécontents, les Saoudiens, qui disposent des coûts de production de pétrole les plus bas, ont déclenché une guerre des prix qui a fait chuter le cours de référence, celui du baril du Brent de la mer du Nord à 36 dollars, à la mi-journée de ce lundi. Il s’agit d’une baisse de 20,5% par rapport à son cours de clôture de la semaine dernière, après avoir touché un plus bas de 31,26 dollars.
Lire aussi : Pétrole. Echec des négociations OPEP-Russie: le cours du brut enregistre son plus important plongeon depuis 10 ans
Si le cours s’est un peu ressaisi avant la fermeture, il n’en demeure pas moins que la banque américaine Goldman Sachs avance que les perspectives du prix du baril sont à la baisse pour les producteurs. «Nous pensons que la guerre des prix du pétrole entre l’OPEP et la Russie a commencé sans équivoque ce week-end. Le pronostic pour le marché du pétrole est encore plus sombre qu’en novembre 2014.» En effet, celle-ci commence avec l’effondrement significatif de la demande de pétrole dû au coronavirus.
Le risque d’effondrement du cours du baril est d’autant plus sérieux qu’en plus d’avoir fait baisser les prix du baril, l’Arabie saoudite prévoit aussi d’accroître sa production de brut à plus de 10 millions de barils par jours en avril.
Partant, «le brut Brent pourrait descendre jusqu’à 20 dollars le baril, testant les niveaux auxquels certains producteurs peuvent opérer. Cette décision modifie complètement les perspectives des marchés du pétrole et du gaz», souligne Goldman Sachs qui a également réduit ses prévisions du prix du baril pour le 2e et 3e trimestre 2020 à 30 dollars.
Lire aussi : Pétrole à 48 dollars: l'Algérie, le Nigeria et l'Angola face à des cours historiquement bas
En combinant ces deux variables, l’Arabie saoudite, qui dispose des secondes réserves mondiales de pétrole derrière le Venezuela, souhaite forcer la Russie, mais aussi d’autres pays hésitants à accepter de réduire leur production.
En conséquence, pour Goldman Sachs, cette décision «change complètement les perspectives des marchés du pétrole et du gaz et ramène à l’ordre du jour l’idée d’un nouvel ordre pétrolier, avec des producteurs à bas prix qui augmentent l’offre à partir de leur capacité de réserve pour forcer les producteurs à coûts plus élevés à réduire leur production».
Seulement, dans cette guerre, tous les producteurs sont perdants. Toutefois, ceux qui ont des coûts de production les plus élevés seront les plus affectés par la chute des cours du brut. A 20 dollars, de nombreux producteurs seront sous pression en évoluant autour du seuil de rentabilité (profit net zéro).
Lire aussi : Pétrole: Bank of America Merrill Lynch estime que le cours du baril peut tomber à 30 dollars
Or, selon les données de l’Agence américaine pour l’énergie (AIE), le coût d’extraction du baril de pétrole varie énormément d’un pays producteur à l’autre. Il se situe dans une fourchette comprise entre 5 et 10 dollars le baril pour l’Arabie saoudite, entre 5 et 7 dollars pour l’Irak, entre 15 et 20 dollars pour l’Algérie, etc.
Ainsi, avec des coûts marginaux largement inférieurs à 10 dollars, l’Arabie saoudite est à même de casser les prix et d’augmenter sa production. Elle peut ainsi conserver et même augmenter sa part de marché et compenser en volume ce qu’elle perd en valeur.
Quant aux Russes, leurs coûts de production sont évalués entre 15 et 20 dollars. Le second exportateur mondial derrière l’Arabie saoudite peut tenir à un cours légèrement supérieur à 20 dollars.
Pour les compagnies américaines, les coûts se situent entre 10 et 30 dollars, voire plus pour les producteurs de pétrole de schistes.
Lire aussi : Pétrole: une décision de Trump fait grimper le cours du baril
Les producteurs qui seront les plus handicapés sont les Nigérians, les Brésiliens, les Canadiens qui assument des coûts de production autour de 30 dollars, 45 dollars et 40 dollars. Mais aussi les Angolais, les Tchadiens,...
C'est dire qu'avec le niveau du cours actuel à 36 dollars, certains producteurs vont devoir livrer du pétrole, pour répondre à leurs engagements, sans être sûrs de réaliser des profits.
Consquence, si la Russie arrive à tenir cette guerre des prix, du fait de son coût de prouction relativement bas et de l'importance de ses réserves en devises, il n’est pas certain que d’autres pays, notamment africains, puissent le faire longtemps. C’est le cas de l’Algérie, du Nigeria, de l'Angola, du Tchad, du Gabon, du Congo,..
Lire aussi : Pétrole: Trump demande à l’Opep de se calmer et fait flancher les cours
Ce cours va mettre à mal leurs recettes d’exportations et budgétaires. Par exemple, pour l'Algérie, les hydrocarbures pèsent 95% des recettes d’exportations du pays. Et au niveau des finances publiques, alors qu’elle tablait sur un cours de référence du baril à 60 dollars dans le cadre de sa loi de finances 2020, cette chute du cours va aggraver dangereusement son déficit budgétaire.
Cela est également valable pour les autres grands producteurs africains qui sont également très dépendants de l’or noir, à l’instar du Nigérian, l’Angola…
En conclusion, il est probable que l’Arabie Saoudite et les autres producteurs de l’OPEP et hors OPEP reviennent à de meilleurs sentiments et finissent par réduire leur production pour soutenir le cours de l’or noir. Il est possible aussi que la décision vienne des Etats-Unis dont les producteurs ne seront plus compétitifs. Et à ce moment, comme ce fut le cas par le passé, un coup de fil de Trump au prince héritier saoudien pourrait mettre fin à une guerre des prix nuisible aux pétroliers Américains.