Algérie: une économie en berne, le grand défi du futur président

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Le 08/12/2019 à 17h48, mis à jour le 08/12/2019 à 17h48

L’Algérie est frappée par une crise économique aiguë, aggravée actuellement par la paralysie politique. La situation risque d’être explosive à cause des conséquences sociales de ces difficultés manifestes de pans entiers de l'économie. Un défi énorme à relever par le prochain gouvernement.

Le débat présidentiel entre les 5 candidats à la présidentielle, le vendredi 6 décembre, a été décevant sur le plan économique. Pourtant, c’est un terrain sur lequel on attend beaucoup le futur président algérien, tant l’économie du pays se trouve dans une situation de crise profonde. Mais lors du débat inédit, aucun de 5 candidats n'a donné l'ébauche d'une vraie politique économique à même de sortir le pays de la crise.

Pourtant, après le défi de l'acceptation par la population, la crise économique profonde sera certainement le défi majeur à relever.

Preuve de l’ampleur de cette crise, le secteur du BTPH, secteur vital de toute économie, se trouve dans une situation catastrophique. Ce pilier de l’économie algérienne, derrière les hydrocarbures, est frappé de plein fouet par la crise financière. Selon l’Association générale des entrepreneurs algériens (AGEA), l’industrie de fabrication des matériaux de construction accuse une baisse de production comprise entre 70 et 80%.

Le secteur du BTPH –Bâtiment, travaux publics et hydraulique- est l’un des plus touchés. En effet, depuis le début de la crise, en 2014, ce sont 50.000 entreprises du secteur et sous-traitants qui sont tombés en faillite, selon la Confédération algérienne du patronat (CAP).

La CAP vient de tirer la sonnette d’alarme en soulignant que si rien n’est fait, ce sont 350.000 entreprises qui risquent de mettre la clé sous le paillasson avec la disparition de 1,7 million d’emplois. En attendant, plusieurs entreprises du secteur ont déjà réduit leur voilure en procédant à des licenciements économiques.

Avec le gel de plusieurs projets d’infrastructures à cause de l’austérité consécutive à la crise, la situation ne va pas s’améliorer de sitôt pour le secteur et ce d’autant que le gouvernement a abandonné la «planche à billets», via laquelle il remboursait les opérateurs et finançait les projets et de nombreux départements, dont celui du ministère de l’Intérieur et de l’aménagement du territoire, ont gelé tous les grands projets initiés par leurs départements au titre de 2020.

Le BTPH n’est pas le seul secteur touché. Les secteurs automobile, électroménager et électronique, censés être le fer de lance de la politique de diversification économique sont tous en crise.

Après la multiplication rapide des unités de montage automobile, suite à la décision du gouvernement d’Abdelmalek Sellal d’interdire l’importation de véhicules aux concessionnaires qui ne mettraient pas en place des unités de montage automobile, les unités de montage ont poussé comme des champignons, sans stratégie politique définie. Les oligarques proches du régime Bouteflika (Haddad, Tahkout,...) avec l’appui des anciens Premiers ministres, Sellal et Ouyahia, ont été les grands bénéficiaires de ces unités de montage automobile.

Sans politique industrielle et vision économique, cette politique de montage s’est transformée en importations déguisées de véhicules quasi totalement montés et donc sans valeur ajoutée locale. Un fiasco qui a poussé le gouvernement actuel à fixer des quotas d’importation pour les kits de montage. La mesure appliquée immédiatement et avec effet rétroactif a poussé de nombreuses unités de montage à stopper net leurs chaînes de montage faute de kits, mettant une partie du personnel au chômage technique.

Idem pour le secteur électroménager pour lequel la décision du gouvernement du Premier ministre Bedoui d’imposer des quotas d’importation de kits aux producteurs locaux, et surtout de substituer le paiement cash des importations en vigueur par un différé de 9 mois, a plongé les opérateurs du secteur dans une crise profonde. Conséquence: ce sont près de 40 unités de fabrication d’appareils électroménagers et électroniques qui sont menacées de faillite.

Le prochain gouvernement doit revoir la politique industrielle visant à développer le «Made in Algeria» en favorisant la mise en place d’écosystèmes pour les secteurs automobile, électroménager et électronique (montage de smartphones) afin d’apporter de la valeur ajoutée locale dans ces industries.

Il y a aussi les effets de l’opération «Mains propres» lancée par le régime pour «assainir» le milieu des affaires et lutter contre la corruption. Conséquence de cette opération: de nombreux oligarques proches du clan Bouteflika (Ali Haddad PDG du groupe ETRHB et ancien patron des patrons algériens, Reda Kouninef, PDG du groupe de construction KouGC,…), mais pas seulement (Rebrab, patron de Cevital, premier groupe privé d’Algérie et première fortune du Maghreb), séjournent tous en prison.

Du coup, les entreprises de ces oligarques dont certaines sont dirigées actuellement par des administrateurs nommés par le gouvernement en place tournent au ralenti. L’Etat, outre le fait d’avoir retiré certains projets à ces entreprises sous l’accusation de corruption, refuse de rembourser ses créances auprès de ces entreprises. Des impayés qui dépasseraient les 15 milliards de dollars.

Du coup, ces entreprises ont du mal à faire face à leurs engagements vis-à-vis de leurs salariés, sous-traitants et fournisseurs. Au niveau des entreprises des oligarques emprisonnés, ce sont plus de 100.000 emplois qui sont menacés, dont 7.000 au niveau du groupe ETEHB d’Ali Haddad. La crise de ces entreprises est d’autan plus profonde que les banques refusent désormais de leur accorder des crédits et que les administrateurs nommés provisoirement ont les mains liées et ne prennent aucune décision stratégique. Que seront ces entreprises une fois leurs patrons condamnés lourdement?

Du coup, ce sont des pans de l’économie algérienne dans presque tous les secteurs d’activité qui sont concernés, avec à la clé de nombreux emplois perdus.

Il faut donc s’attendre à une forte hausse du taux de chômage en Algérie avec ces multiples facteurs: baisse des investissements publics suite aux gels de nombreux projets par l’Etat, crise des secteurs employeurs (BTP, automobile, électroménager, etc.), menaces sur les emploies des entreprises appartenant à certains oligarques emprisonnés, ralentissement de la croissance économique avec un taux de croissance de seulement 2,3% en 2019, selon les dernières prévisions du Fonds monétaire international (FMI), alors qu’il en faut entre 6 et 7% par an pour réduire le taux de chômage qui se situe à hauteur de 12% actuellement.

En clair, 2020 sera une année dure pour l’emploi en Algérie à cause de la crise sociale et de la faible croissance, et notamment du niveau bas des cours du baril de pétrole et des effets de la crise politique que traverse le pays depuis bientôt 10 mois. Une situation qui va entrainer des tensions sociales qui seront difficiles à surmonter par un «gouvernement illégitime» et de surcroit qui ne dispose plus de ressources financières pour acheter la paix sociale du fait de l’épuisement du Fonds de recettes et de régulation (FRR), le fonds souverain algérien.

C’est dans ce contexte que, récemment, l’économiste algérien Yucef Benadellah a averti que le pays se dirige vers une «phase d’austérité sévère dans le très moyen terme».

Par ailleurs, la situation du pays est aggravée par le fait qu’il a épuisé le Fonds de régulation des recettes, le fonds souverain, dont les réserves avaient atteint 4.400 milliards de dinars (40 milliards de dollars) en 201, alors que le cours du baril de pétrole flambait, avant de s’épuiser en 2017.

A cela s’ajoute la problématique de l’épuisement des réserves en devises du pays courant 2022. En 2018, celles-ci s’étaient contractées de 17,45 milliards de dollars par rapport à fin 2017 (97,33 milliards de dollars). Selon les prévisions, les réserves de change devraient s’établir à 62 milliards de dollars en 2019 et 48 milliards en 2020 et 34 milliards de dollars en 2021, alors qu’elles avaient atteint un pic de 194 milliards de dollars en 2014.

Enfin, pour sortir de cette crise aiguë, le futur gouvernement algérien n’a pas le choix. Il doit entreprendre des réformes structurelles dont certaines seront douloureuses. Ainsi, les milliards dilapidés dans des subventions qui ne bénéficient pas aux plus nécessiteux doivent être revues afin que ces fonds puissent être réorientés vers des investissements productifs. Il doit aussi asseoir les véritables bases d’une diversification de l’économie algérienne pour finir avec l’Etat rentier. Cela ne doit pas se faire comme ce fut le cas avec le montage automobile qui est un véritable fiasco qui n’a fait qu’enrichir d’avantage des oligarques, accroitre la corruption sans pour autant réduire la facture des «importations déguisées» de véhicules.

Bref, le prochain dirigeant, en plus du fait de ne pas bénéficier du soutien populaire, devra faire face à un défi économique herculéen.

A cela, il faut ajouter le périlleuse réforme du système des retraites afin d’éviter son implosion. L’Etat a jusqu’à présent servi de paravent. Toutefois, ayant épuisé son fonds souverain, il n’a plus les moyens de sa politique et doit trouver une solution pour la pérenniser le système de retraites algérien et lui éviter une faillite qui aurait des conséquences sociales incalculables.

Si rien n’est fait, le pays devrait connaître à partir de 2020 de vives tensions budgétaires et financières avec la fin du recours à la «planche à billets» décidée par le gouvernement de Bédoui.

Le gouvernement actuel a commencé à baliser le terrain en ouvrant la voie au recours à l’endettement extérieur, sous certaines conditions.

L’Algérie, avec un PIB de 180 milliards de dollars, soit la 4e puissance économique africaine, mais irriguée à hauteur de 80% directement et indirectement par la rente des hydrocarbures qui procurent directement et indirectement à hauteur de 97% des recettes d’exportations algériennes, a les atouts pour faire face à la crise.

Seulement, pour y arriver, le prochain président et son gouvernement doivent doivent se séparer de certains dogmes qui n’on plus leur raison d’être. Le recours à l’endettement contrôlé est devenu inévitable face à l’épuisement des réserves de change du pays. De même, l’amélioration de l’environnement des affaires en supprimant certaines règles comme celle de 51+49% qui accorde à l’Etat et aux investisseurs algériens la majorité du capital de tout projet d’investissement en Algérie. Face à l’impact négatif de cette règle, le gouvernement actuel a pris la décision de supprimer celle-ci dans le cadre du projet de loi de finances 2020, à l’exception de certains secteurs dits stratégiques comme les hydrocarbures.

En outre, des réformes structurelles et courageuses sont indispensables pour remettre le pays sur les rails. Il faudra à ce titre réviser le système des subventions, revoir le système fiscal pour que l’Etat puisse disposer des recettes autres que celles provenant des hydrocarbures. Et ce d’autant plus que les cours du baril de pétrole ont du mal à sortir de la fourchette 60-70, alors que pour atteindre l’équilibre budgétaire en 2019 le pays avait besoin d’un cours du baril de pétrole de 116 dollars, selon Carnegie Middle East Center, soit presque le double du prix actuel du baril.

Du coup, le prochain gouvernement devra obligatoirement améliorer le rendement de la fiscalité ordinaire pour supplanter la fiscalité pétrolière qui ne cesse de rabougrir d’année en année.

De même, le pays doit relancer la politique des grands travaux pour redynamiser l’économie, stimuler la croissance et créer des emplois. Toutefois, cela doit se faire dans des conditions de bonne gouvernance différentes de celles qui ont prévalu au cours des deux dernières décennies sous Bouteflika.

A titre d’exemple, entre 2002 et 2014, l’Etat a dépensé 900 milliards de dollars pour la réalisation de nombreux projets: des centaines de milliers de logements subventionnés, l’autoroute Est-Ouest, le métro d’Alger, les tramways dans de nombreuses grandes villes, des unités de désalinisation d’eau de mer, etc. Seulement, tous ces projets structurants ont été la source de gaspillages, de versement de commissions colossales et de corruption bénéficiant à des intermédiaires, oligarques et hommes politiques dont certains sont actuellement entre les mains de la justice.

Au delà, le développement économique ne peut se fonder que sur une bonne gouvernance. Malheureusement, il n’est pas sûr qu’avec un président, issu des anciens du système Bouteflika, qui se sont «recyclés» que le pays se débarrasse de ses vieilles recettes de mal gouvernance.

Bref, la conjoncture économique sera difficile pour l’Algérie dans le court terme. Et sans un règlement de la crise politique, il sera difficile de cultiver l’espoir d’une reprise économique à même de faire face à la crise multidimensionnelle que traverse le pays, malgré ses nombreux atouts.

Par Moussa Diop
Le 08/12/2019 à 17h48, mis à jour le 08/12/2019 à 17h48