Algérie: Tebboune met fin au fiasco de l'industrie automobile

Une unité de montage automobile.

Une unité de montage automobile.. DR

Le 11/05/2020 à 13h53, mis à jour le 12/05/2020 à 13h41

La loi de Finances complémentaire, adoptée par le gouvernement algérien le 10 mai, annule le système CKD/SKD. Abdelmadjid Tebboune veut en finir avec le fiasco du «Made in Algeria», qui dure depuis 2014 et autorise les importations de véhicules neufs. Les détails.

Le gouvernement algérien vient d’adopter une loi de Finances complémentaire rendue nécessaire par les impacts du coronavirus sur l’économie algérienne.

Cette loi contient une remise en cause radicale de la politique de l’industrie automobile mise en place en 2014, en annulant le régime préférentiel qui encadrait les importations de kits d’assemblage automobiles CKD/SKD et surtout en autorisant, à nouveau, les concessionnaires à importer les véhicules touristiques neufs.

En clair, après 6 ans de tergiversations dans la politique de montage automobile, on revient à la case de départ, signant ainsi la fin du fiasco d’une politique industrielle automobile qui n’a jamais porté ses fruits.

Pour rappel, dans la loi de Finances 2014, obligation avait été faite aux concessionnaires automobiles en activité d’investir dans la fabrication ou la sous-traitance automobile, sous un délai maximum de 3 ans à compter du 1er janvier 2014. Ainsi, à partir du 1er janvier 2017, les concessionnaires qui n’avaient pas investi dans une activité industrielle automobile devaient perdre leur agrément.

Une quarantaine de concessionnaires étaient donc obligés d’investir, du jour au lendemain, dans l’industrie automobile (production automobile, composants, pièces de rechange, moteurs, etc.) ou de cesser leur activité. Beaucoup, naturellement, ont mis la clé sous la porte, provoquant des licenciements importants.

La décision politique était de bonne intention. Avec 418.000 véhicules importés en 2014, l’Algérie était le second marché continental de véhicules neufs, après celui de l’Afrique du Sud. Le gouvernement visait deux objectifs louables: d’abord, diversifier l’économie algérienne en intégrant la chaîne de valeur de la filière automobile mondiale, tout en bénéficiant des potentialités qu’offrirait l’installation de grands constructeurs globaux.

L’exemple du succès de Renault Maroc à ses débuts avait certainement incité les dirigeants algériens à aller dans le sens de développement d’une industrie locale, en remplaçant les importations par une production nationale.

Ensuite, cette politique industrielle était dictée par l'espoir de réduire la facture des importations de véhicules neufs qui généraient une véritable hémorragie de devises pour le pays.

Ces importations sont certes passées de 418.000 unités en 2014, à 265.000 en 2015, et ont continué de chuter les années suivantes.

Seulement, la construction automobile, elle, n’a jamais décollé. Malgré les implantations des constructeurs Renault, Daimler et Hyundai, en 2017 la production locale peine à atteindre 40.000 unités. Même avec l’arrivée d’autres marques, dont Volkswagen et Kia, la production a du mal à dépasser les 100.000 unités.

Et la mesure prise n’a pas réellement permis de réduire la facture des importations automobiles. Le coût des importations de véhicules neufs a été remplacé par celui des importations de kits de construction CKD/SKD. A titre d’illustration, en 2018, les importations de ces «véhicules en kits», à monter sur place, ont atteint 3,73 milliards de dollars pour une production estimée à 100.000 unités.

Or, en 2015, pour une facture similaire de 3,14 milliards de dollars, le pays avait importé 255.236 véhicules neufs. C’est-à-dire qu’avec cette politique, le pays dépense finalement plus, en important des kits, mais obtient moins de voitures neuves. La cause en est notamment des surfacturations massives, qui sont à l’origine des procès contre des anciens Premiers ministres (Sellal et Ouyahia), ministres de l’Industrie, oligarques, etc.

D'ailleurs, en février dernier, le président Tebboune, dans un entretien accordé au quotidien français Le Figaro, tançait Renault de ne pas avoir monté en Algérie une unité identique à celle réalisée au Maroc et déclarait que «l’Algérie est vue par ses partenaires comme un grand marché de consommation. Nos maux viennent de l’importation débridée, génératrice de surfacturation, une des sources de la corruption favorisée par de nombreux pays européens, où se faisaient la bancarisation, la surfacturation, les investissements de l’argent transféré illicitement. Cela a tué la production nationale».

Le problème est qu’après avoir écarté les concessionnaires automobiles classiques, ce sont finalement les oligarques proches du clan Bouteflika qui ont occupé le marché, en s’alliant avec des constructeurs mondiaux: Mourad Eulmi avec Volkswagen, Hassan Abaoui avec Kia, Mahieddine Tahkout avec Hyundai…

Ces oligarques sont aujourd’hui en prison dans le cadre d’une vaste procédure anticorruption lancée à leur encontre par l’ex-homme fort du pays, le défunt général Ahmed Gaïd Salah.

L'autre défaut, structurel, de l’industrie automobile algérienne est son absence d’intégration locale. Contrairement à son voisin de l’ouest, l’Algérie n’a pas su développer un écosystème autour des constructeurs implantés.

Au Maroc, autour des deux constructeurs automobiles implantés, Renault et PSA, se sont construit des ensembles de sous-traitants et de fournisseurs de pièces automobiles (câbles, amortisseurs, jantes aluminium, systèmes de transmission, système de sécurité, etc.) qui font que le taux d’intégration dépasse actuellement les 50% au niveau de l’usine Renault de Tanger et a démarré autour de 60% autour de l’unité PSA de Kenitra.

Cet écosystème automobile marocain compte plus de 300 acteurs nationaux et internationaux, qui ont fortement contribué à asseoir une véritable industrie automobile dont la production dépasse les 450.000 unités par an et une capacité de production installée de plus de 700.000 unités par an.

A l’inverse, l’industrie algérienne s’est développée uniquement dans le but de monter des «automobiles en kits», sans véritable intégration. Il s’agit des fameux kits CKD (Completely Knocked Down, «produits non assemblés») et SKD (Semi Knocked Down, «produits assemblés partiellement»). Ils sont importés avec des droits de douane plus faibles que pour un véhicule fini.

En conséquence, le taux d’intégration est plus que négligeable. Parfois, des voitures étaient importées totalement montées, il n’y manquait que les roues à fixer. C’était le fameux cas des Hyundai importées par l’oligarque Mahieddine Tahkout.

Aberration supplémentaire, les voitures «Made in Algeria» sont vendues à un prix beaucoup plus cher que celles importées, malgré les nombreux avantages fiscaux dont bénéficient les constructeurs. Les surfacturations gonflaient artificiellement les prix de revient des véhicules produits localement. Le régime de Bouteflika avait préféré fermer les yeux sur cette situation, en protégeant les oligarques proches du Palais d’El Mouradia.

Bref, la stratégie automobile algérienne n’a atteint ni ses objectifs de production automobile «Made in Algeria», ni celui de réduction de la facture des importations.

Elle a même été plutôt destructrice de valeur, et c’est le contribuable algérien qui en supporte encore la facture. Ainsi, sur la décennie 2010-2019, l’addition des factures annuelles de l’importation de voitures et kits automobiles s’est établie à 33,5 milliards de dollars. Pour un tel montant, le pays aurait pu créer de véritables sites de construction et développer une industrie automobile locale. Au lieu de cela, ce sont des années perdues et c’est maintenant le retour à a case de départ….

Désormais, avec l’adoption de la loi de Finances complémentaire, les concessionnaires qu’on avait liquidés au profit d’une poignée d’oligarques vont pouvoir reprendre du service, pour ceux d’entre eux qui en ont les moyens après 6 ans de traversée du désert.

Enfin, cette énième décision montre aussi que les nouveaux dirigeants algériens n’ont aucune vision claire pour leur industrie automobile. En effet, depuis son arrivée au pouvoir, en décembre dernier, Abdelmadjid Tebboune a multiplié les mesures.

Après avoir interdit l’importation des kits, ce qui avait mis le secteur à l’arrêt, le nouveau régime l’avait ré-autorisée, fin février dernier, mais en exigeant un taux d’intégration local de 30%, ainsi qu’un apport en fonds propres d’au mois 30% du partenaire étranger. Mais la première condition était impossible à réaliser, du fait de l’absence d’un écosystème automobile en Algérie. De plus, le gouvernement avait dans le même temps annoncé la suppression des avantages douaniers sur les kits automobiles. La loi de Finances complémentaire vient donc mettre fin à un fiasco.

Avec les autorisations d’importation accordées aux concessionnaires qui s’ajoutent à la fin des avantages fiscaux sur les kits, il est certain que les Algériens se détourneront du «Made in Algeria», ou ce qui en restera. A part Renault Algérie, il est fort probable que toutes les unités de montage, dont beaucoup sont déjà quasiment à l’arrêt, disparaîtront. D’autant plus que les oligarques les possédant sont derrière les barreaux. Ils risquent d’y rester longtemps, dans le cadre des poursuites lancées à leur encontre dans le méga-procès de l’échec de la stratégie automobile.

Par Moussa Diop
Le 11/05/2020 à 13h53, mis à jour le 12/05/2020 à 13h41