Afrique. Perspectives 2020: en ligne de mire, des élections présidentielles à hauts risques

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Le 31/12/2019 à 14h14, mis à jour le 01/01/2020 à 16h33

2020 sera rythmée par plusieurs élections présidentielles, particulièrement en Afrique de l’Ouest. Si certaines devraient se dérouler sans problèmes, la tentation d'un 3e mandat et le réveil de vieux démons dans certains pays font craindre le pire, notamment en Côte d’Ivoire, en Guinée et au Togo.

2020 sera rythmée par des élections présidentielles dans de nombreux pays du continent, particulièrement en Afrique de l’Ouest où au moins cinq scrutins sont prévus. Des scrutins qui devraient confirmer l’ancrage et l’alternance démocratique au Ghana et au Niger, mais qui risquent aussi de réveiller les vieux démons de tensions électorales. Ces craintes visent particulièrement la Côte d’Ivoire, la Guinée et le Togo.

Côte d’Ivoire: Ouattara et les dinosaures face au spectre des violences post-électorales de 2011

Konan Bédié et Alassane Ouattara.

La présidentielle ivoirienne de 2020 s’annonce tendue. Le mandat d’arrêt international lancé par le autorités contre Guillaume Soro, président du mouvement citoyen Générations et peuples solidaires (GPS), le 23 décembre 2019, vient accroître les tensions d’une élection qui s’annonce déjà complexe.

En effet, après deux mandats à la tête de la Côte d’Ivoire (2010 et 2015), le président Alassane Ouattara pourrait tenter de rempiler pour un 3e mandat à la tête du pays, même s’il n’a pas encore clairement annoncé ses intentions, et ce, à la faveur d'un changement constitutionnel intervenu en 2016.

Une chose est sûre, Alassane Ouattara a tourné le dos à tous ceux qui l’ont aidé à conquérir le pouvoir, aussi bien par les armes (Guillaume Soro particulièrement), que par le vote (Henri Konan Bédié du PDCI mais également et notamment Guillaume Soro). A l'origine de ce divorce, il y a la non-reconduction de l’alliance politique qui a porté Ouattara au pouvoir en 2010 et 2015, à cause notamment du refus du président de passer le relais à son principal soutien, Henri Konan Bédié, comme le stipulait un «accord» non écrit, selon le président du PDCI.

En conséquence, Henri Konan Bédié s’est rangé dans le camp de l’opposition, avant que Guillaume Soro ne l'y rejoignent après avoir été forcé à démissionner de la présidence du parlement ivoirien, pour avoir refusé de rester dans la mouvance présidentielle.

Guillaume Soro a d’ailleurs été le premier a avoir annoncé sa candidature à la présidentielle de 2020, avant de se rapprocher de Henri Konan Bédié, et d’autres opposants, dont les proches de l’ancien président, le toujours très populaire Laurent Gbagbo, en rencontrant dernièrement Charles Blé Goudé, l’ancien chef des jeunes Patriotes ivoiriens, actuellement jugé à la Cour pénale international (CPI) de La Haye, et dont le gouvernement ivoirien vient aussi de relancer le procès en Côte d’Ivoire.

Désormais, Guillaume Soro est accusé de «tentative de déstabilisation» et de «détournement de deniers publics» avec des preuves présentées par le Procureur de la République, dont un enregistrement audio et des armes. En clair, ce mandat d’arrêt signe la fin de ses ambitions pour les présidentielles de 2020.

Quant à Henri Conan Bédié, il n’a pas encore annoncé sa candidature à ce scrutin. En conséquence, le président Alassane Ouattara attend lui aussi le moment idéal de rendre sa décision publique.

Ainsi le 30 novembre dernier, lots d’un meeting, il avait annoncé: «mais comme je vois des hésitations au niveau de certains de ma génération, c’est pour ça que je n’ai pas encore avancé ma décision. Je ne veux pas que la Côte d’Ivoire retourne entre les mains de ceux qui ont détruit notre pays, ceux qui ont gaspillé les biens publics».

Le message était adressé directement à Henri Konan Bédié, sachant que Laurent Gbagbo se retrouve hors course, car toujours jugé au à la CPI.

Bref, la présidentielle ivoirienne de 2020 se retrouve pour le moment sans candidats officiels déclarés.

En conséquence, le tension politique et sociale est montée d’un cran. Une situation qui a poussé la Plateforme des organisations de la société civile pour l’observation du processus électoral (POECI) à sortir un communiqué le 26 décembre. «La POECI constate avec regret des actes contraires aux principes démocratiques en Côte d’Ivoire. Cet état de fait, qui peut entraîner une implosion de la situation sociale faisant place à des remous sociaux appelle la POECI à une vive réaction, et lui fait craindre un processus électoral qui pourrait être entaché de violences voire d’une crise», souligne le communiqué de la Plateforme.

Il faut dire que les séquelles des violences post-électorales de 2020 sont encore vivaces dans les mémoires des Ivoiriens et des Ouest-africains.

Guinée: Alpha Condé prêt à tout pour un 3e mandat

Alpha Condé, président de la Guinée.

A l’instar de la Côte d’Ivoire, la situation en Guinée risque d’être encore plus explosive sous l’effet d’une combinaison de facteurs aggravants: crise économique, pauvreté, tensions ethniques, etc.

Reste que s’il y a un facteur sur lequel l’essentiel des Guinéens sont d’accord, c’est le refus de la modification de la Constitution pour ouvrir la voie à un 3e mandat au président Alpha Condé, alors que la Constitution n’autorise que deux mandats.

Le 3e mandat, les Guinéens y sont en effet très majoritairement opposés, comme l’ont attesté les manifestations monstres organisées à Conakry suite à l’annonce du changement constitutionnel. Le slogan «Amoulanfé» («ça ne passera pas») est devenu la devise des Guinéens opposés au projet de nouvelle constitution.

Alpha Condé, ancien opposant à la dictature, et ancienne figure de la lutte pour la démocratie en Afrique, a carrément changé de visage depuis son arrivée au pouvoir en 2010.

De plus, en 10 ans, le bilan de ce président est plutôt maigre. L’accès de lapopulation à l’eau potable et à l’électricité reste problématique, malgré le fait que la Guinée soit le «Château d’eau» de l’Afrique de l’ouest, même s’il faut reconnaître qu’il a hérité d’un pays qui manque de tout. Mais même à au niveau de l'exercice démocratique, où on l’attendait le plus, le recul de l’Etat de droit est manifeste.

Les interdictions de manifestations pacifiques risquent encore de s’aggraver à l’approche des élections présidentielles de 2020. Déjà, les manifestations ont fait plusieurs morts depuis l’annonce de la révision constitutionnelle.

Pour éviter tout embrasement du pays, Alpha Condé pourrait choisir de sortir par la grande porte en offrant à la Guinée la première alternance démocratique de son histoire.

Togo: au nom du père, Faure Gnassingbé Eyadéma compte bien s’éterniser

Faure Gnassinbe Eyadema, président du Togo.

Le premier tour de l’élection présidentielle au Togo est prévu le 22 février 2020. La campagne électorale pour ce scrutin sera ouverte le jeudi 6 février et prendra fin le jeudi 20 février 2020. 

Sauf très grosse surprise, Faure Gnassingbé Eyadéma sera candidat pour un quatrième mandat à la tête de ce petit pays d’Afrique de l’Ouest. Au pouvoir depuis 2005 après avoir succédé à son père, Faure Gnassingbé Eyadéma devrait être candidat à un quatrième mandat à la tête du Togo.

En effet, début mai 2019, les députés togolais ont approuvé une révision constitutionnelle qui permettra à l'actuel président de se représenter non seulement à la présidentielle en 2020 mais aussi à celle de 2025. La révision de loi fondamentale togolaise offrira aussi l'immunité à vie au président Faure Gnassinbé Eyadéma «pour les actes [qu'il aura] posés pendant [ses] mandats présidentiels».

Toutefois, l’opposition du Togo, minoritaire au Parlement, n’est pas favorable à une nouvelle candidature du président en exercice. De même, les partis de l'opposition et des leaders de la société civile ont demandé la «suspension» du processus électoral et l’ouverture d’un dialogue avec le pouvoir afin de permettre la recomposition de la Cour constitutionnelle, ainsi que l’établissement d’un fichier électoral fiable et le réaménagement de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni).

Ces membres de la société civile togolaise ont menacé «d’appeler les Togolais à la désobéissance civile» si le président et son gouvernement ne cèdaient pas à certaines revendications formulées.

Une chose est sûre, l’opposition ne compte pas boycotter la présidentielle. Plus de 18 candidats se sont déjà déclarés à cette élection, dont 4 chefs de partis politiques de l’opposition.

Parmi les candidats qui challengeront Faure Gnassingbé Eyadéma, il y a Jean-Pierre Fabre, qui a obtenu l’investiture de son parti le 19 octobre dernier. Ce sera la troisième tentative de ce candidat de l’Alliance nationale pour le changement, après celles de 2010 et 2015. Durant ces deux derniers scrutins, Jean-Pierre Fabre avait obtenu respectivement 33,93% et 35,19% des votes exprimés. 

Pour cette élection, pour la première fois, la diaspora togolaise va participer au scrutin, et cela, suite à une loi votée le 5 novembre dernier par l’Assemblée nationale.

Pour faire face à d’éventuels troubles, les autorités togolaises ont annoncé, le dimanche 29 décembre 2019, des mesures visant à sécuriser l'organisation de la présidentielle. Le ministre togolais de la sécurité a dévoilé sa stratégie: «la FOSEP 2020 [une force de sécurité, spécialement mise sur pied pour l'élection présidentielle de 2020, Ndlr] sera composée de 10.000 gendarmes et policiers pour sécuriser la prochaine élection présidentielle de 2020», a t-il souligné.

Niger: Mahamadou Issoufou, le contre-exemple d'un 3e mandat

Le président du Niger Mahamadou Issoufou.

Au Niger, après deux mandats consécutifs, le président Mahamadou Issoufou, 59 ans, réélu en mars 2016 pour un deuxième et dernier quinquennat, a assuré qu’il ne modifiera pas la Constitution pour briguer un 3e mandat.

L'élection présidentielle est prévue le 27 décembre 2020 (pour le premier tour). Pour ces élections, le Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS), au pouvoir, a investi en mars dernier le ministre de l’Intérieur, Mohamed Bazoum, 59 ans.

Il devra faire face à l’opposant Hama Amadou, 69 ans, désigné en août dernier candidat du Mouvement démocratique nigérien (Modem), principal parti de l’opposition. Toutefois, il risque de se voir écarter de l’élection pour avoir été condamné à un an de prison dans une affaire internationale de trafic de bébés. Deux autres poids lourds seront dans la course présidentielle: Seïni Oumarou, 69 ans, dirigeant du Mouvement national pour la société de développement (MNSD), Mamadou Tandja, l’ancien président renversé par un putsch militaire en 2010 et Mahamane Ousmane, 69 ans, ex-président du pays, de 1993 à 1996.

Ghana, l’exemple de l’alternance démocratique en Afrique: on prend les mêmes et on recommence

John Mahama, président sortant et Nana Akufo Addo, président élu du Ghana.

La Ghana aussi s'apprête à ses élections présidentielles, prévues en décembre 2020. Toutefois, pour ce pays, considéré comme un exemple d’alternance démocratique dans le continent, le scrutin ne suscite aucune inquiétude.

Le poste du futur président devrait se disputer entre le président sortant, Nana Akufo-Addo, et son prédécesseur à la tête du Ghana, John Dramani Mahama, qui n’a pas digéré sa défaite en 2016 après avoir réussi à effectuer un mandat à la tête du pays. Les deux hommes ont toutefois des rapports cordiaux. Ce qui devraient faciliter à apaiser davantage la présidentielle à venir.

Au Burundi, la surprise vient du chef lui-même, Pierre Nkurunziza

Le président burundais Pierre Nkurunziza.

Au delà de l’Afrique de l’Ouest, d’autres élections sont attendues en Afrique. Et déjà une très bonne nouvelle est venue du Burundi où le président en exercice, Pierre Nkurunziza, a de nouveau indiqué qu’il ne se portera pas candidat à la présidentielle de 2020.

Il l’a répété lors d’une conférence de presse tenue le jeudi 26 décembre dernier devant un parterre de journalistes, après avoir fait la même déclaration aux militaires auxquels il adressait ses vœux de fin d’année, en soulignant que ce sera la dernière fois qu’il le faisait en tant que président du Burundi.

Une sage décision qui ne manquera pas d’atténuer les tensions dans le pays et contribuera à améliorer les relations entre le pays et le reste du monde.

Au pouvoir depuis 2005, Pierre Nkurunziza, qui a brigué son 3e mandat en 2015, alors que la constitution ne lui en permettait que deux, a plongé le pays dans une crise socio-politique sans précédent. Il s’en est suivi de violentes répressions des manifestations hostiles à son pouvoir et des relations tendues avec le reste du monde.

Sa décision de ne pas se présenter à la présidentielle de 2020, alors que la nouvelle constitution le lui permet, a été unanimement saluée. 

Par Moussa Diop
Le 31/12/2019 à 14h14, mis à jour le 01/01/2020 à 16h33