Stress hydrique: le Maroc, l’Égypte et l’Algérie ont fait le choix du dessalement de l’eau de mer

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Le 25/09/2021 à 11h49, mis à jour le 25/09/2021 à 11h58

A l’horizon 2030, entre 75 et 250 millions d’Africains vivront dans des zones où le stress hydrique sera important. Parmi les pays qui seront les plus touchés figurent le Maroc, l’Algérie et l’Egypte qui ont fait le pari du dessalement. Détails.

Selon l’Organisation des Nations unies, d’ici 2030, entre 75 et 250 millions d’Africains vivront dans des pays où le stress hydrique sera important. Une situation déjà perceptible dans de nombreux pays africains. Les importantes pénuries d’eau en Algérie au cours de ces dernières années, et qui ont culminé durant l’année en cours avec la rationalisation de l’eau potable dans la capitale Alger, donnent une idée sur l’ampleur du stress hydrique.

La situation est inquiétante sachant que selon les Nations Unies, ce phénomène va entraîner le déplacement de 24 à 700 millions de personnes, des famines et pourraient être à l’origine de conflits armés au niveau du continent.

Face à ces craintes, les pays d’Afrique du Nord, parmi les plus concernés par le phénomène de stress hydrique en Afrique (Cf. carte), essaient de trouver des alternatives durables. Et à ce titre, le dessalement, processus par lequel l’eau de mer est transformée en eau douce, est l’une des solutions usitées et jugée plus sure que les barrages hydrauliques à cause de la multiplication des sécheresses en lien avec le changement climatique.

Ainsi, au Maroc, en Egypte et en Algérie, l’accent est désormais mis sur l’accélération de la mise en place d’unités de dessalement de l’eau de mer de toute taille, allant de micro stations à de grandes stations de dessalement. Si les unités de dessalement ne peuvent pas remplacer les barrages et les eaux des nappes phréatiques dans l’approvisionnement en eau potable des populations des pays, elles peuvent grandement atténuer les déficits dans des grandes villes où les consommations en eau sont importantes.

Mieux, elles peuvent même contribuer à développer l’agriculture irriguée dans certaines régions arides. C’est le cas au Maroc où la station de dessalement d’Agadir alimentera, en partie, un système d’irrigation.

L'option des stations de dessalement est désormais inscrite comme partie intégrante des réponses face au stress hydrique. Et c’est l’Egypte, menacée aujourd’hui par les impacts négatifs du Grand barrage de la Renaissance éthiopienne sur le Nil qui donne le tempo de cette stratégie.

L’Egypte: leader de dessalement en Afrique accélère pour faire face à la menace du barrage éthiopien de la Renaissance

L’Egypte, un territoire désertique à 80%, dont plus de 97% des besoins en eau sont tirés du Nil, fait face à la menace que constitue l’érection par l’Ethiopie du Grand barrage de la Renaissance. Son réservoir devrait contenir 74 milliards de mètres cubes et constitue donc une menace pour le débit du Nil et sur les eaux alimentant l’Egypte.

Face à cette situation, l’Egypte a lancé un plan d’urgence visant à assurer sa sécurité hydrique. Celui-ci s’appuie sur trois leviers: la garantie des droits hydrauliques légitimes du pays sur le Nil, la rationalisation de l’usage des eaux d’irrigation et le développement de nouvelles ressources hydrauliques, dont, principalement, la création de stations de dessalement.

Ainsi, le dessalement d’eau de mer est l’une des options entreprises par les autorités égyptiennes pour faire face au stress hydrique. En juillet 2020, les autorités égyptiennes ont annoncé un ambitieux programme de construction de 47 nouvelles unités de dessalement d’ici 2030 pour un coût estimé à 45,18 milliards de livres égyptiennes, soit environ à 2,8 milliards de dollars. Parmi celles-ci, 19 stations d’une capacité totale de 550.000 m3 par jour seront livrées d’ici in 2022.

Ces unités de dessalement visent à renforcer l’approvisionnement en eau potable des populations des villes côtières et seront créées dans les gouvernorats du Sinaï Nord et Sud, Port-Saïd, Ismaïlia, Suez, Dakahlia, Kafr el Sheikh…

Ces stations seront réalisées avec le soutien des acteurs privés à travers notamment des partenariats publics-privés (PPP). A cette date, la production des unités de dessalement d’eau devrait produire plus de 6,4 millions de mètres cubes d’eau par jour.

Actuellement, l’Egypte compte 76 unités de dessalement d’eau de mer, soit de loin plus que toutes les unités installées au niveau du continent, qui opèrent pour l’essentiel dans les gouvernorats de la Mer Rouge, du Sinaï, de Suez et d’Ismaïlia.

Ces stations de petites et moyennes tailles fournissent 832.000 m3 d’eau par jour. Ce volume couvre moins de 1% de la consommation d’eau d’Egypte estimée à plus de 100 milliards de mètres cubes par jour.

Du coup, l’Egypte a opté pour des unités de dessalement de tailles beaucoup plus importantes. Ainsi, les 14 unités qui seront livrées en 2022, pour porter à 90 le nombre de stations de dessalement implantées sur les côtes égyptiennes, fourniront globalement 476.000 m3 d’eau par jour, soit plus de la moitié des 76 stations en activité actuellement. Ce qui portera la capacité de production du pays à 1,3 million de m3 par jour à la fin de l’année prochaine.

Sachant que ce niveau de production reste insuffisant, l’Egypte compte accélérer la cadence de mise en place de ces unités. A l’horizon 2050, ce sont 67 nouvelles usines de dessalement qui devront voir le jour pour un investissement globale de 134 milliards de livres égyptiennes, soit 8,5 milliards de dollars.

Et pour cela, l’Egypte compte assurer une certaine indépendance dans la mise en place des unités de dessalement en réduisant les importations d’équipements. Ainsi, elle compte installer une unité de fabrication des membranes de dessalement de l’eau de mer. En plus, en janvier 2021, un accord a été trouvé avec le russe Rusnano pour l’installation d’une usine de fabrication d’équipements de dessalement de l’eau de mer en partenariat avec l’Organisation arabe pour l’industrialisation (AOI), l’Autorité d’ingénierie des forces armées égyptiennes et l’Université d’Alexandrie.

Maroc : 23e pays le plus affecté par le stress hydrique, le dessalement pour diversifier les sources d’eau potable

Baigné par un climat semi-aride et saharien, le Maroc, à travers l’essor démographique et aux besoins de son économie, voit sa demande en eau douce croître de manière sensible alors que le pays fait face à un stress hydrique.

En effet, selon le rapport du World Ressources Institute (WRI), le Maroc est le 23e pays le plus menacé par les pénuries d’eau, sur un total de 165 pays étudiés. Preuve que ce stress hydrique est une réalité, le potentiel des ressources en eau par habitant est passé de 2.500 m3/habitant/an durant les années 1960, à 1.000 m3/ht/an durant les années 1990, à moins de 800 m3/ht/an actuellement et cette dotation ne sera plus que de 500 m3/ht/an en 2030.

Face à cette situation et aux fréquences des sécheresses, le dessalement est présenté comme une alternative quand les ressources conventionnelles (cours d’eau, nappes phréatiques) deviennent insuffisantes.

Et ayant le privilège de disposer de deux façades maritimes (Méditerranée et océan Atlantique) longues de 3.500 km, le Royaume semble désormais mettre l’accent sur cette ressource hydrique intarissable que constitue l’eau de mer.

A ce titre, des stations de dessalement ont déjà vu le jour à Laâyoune, Boujdour, Dakhla, Tan-Tan et Akhfenir, dans les provinces sahariennes du Maroc. D’autres sont en cours de réalisation (Al Hoceima et Agadir) et d’autres en projet (Casablanca, Dakhla, Safi et El Guerguerat).

A ce titre, il faut souligner que Casablanca disposera de l’une des plus grandes stations de dessalement du continent africain avec une capacité de traitement de 300.000 m3/jour. Celle-ci sera réalisée via la technique de l’osmose inverse plus performante et moins coûteuse que le dessalement par distillation, mais très gourmand en énergie. Elle alimentera les riverains de la capitale économique.

La mise en place de ces nouvelles stations rentre dans le cadre du programme national d’approvisionnement en eau potable et irrigation 2020-2027 d’un investissement de 115,4 milliards de dirhams (12,8 milliards de dollars) dont 60% seront assurés par le budget de l’Etat, 39% par les acteurs concernés et 1% dans le cadre du partenariat public-privé.

A travers la stratégie de dessalement, les autorités vise la consolidation et la diversification des sources d’approvisionnement en eau potable, l’accompagnement de la demande en eau potable, la garantie de la sécurité hydrique et la lutte contre les effets des changements climatiques.

Outre la consommation d’eau potable, les unités de dessalement devraient aussi assurer l’irrigation dans certaines régions arides et sahariennes. Ainsi, la station de dessalement d’Agadir, actuellement en construction, dotée d’une capacité de 275.000 m3/jour et d’un coût de 4,41 milliards de dirhams, verra une partie de sa production, soit 125.000 m3, destinés à l’irrigation dans la plaine de Chtouka. La capacité de cette station sera portée à terme à 400.000 m3/jour.

Algérie: les pénuries déjà là malgré les investissements dans le dessalement

L’Algérie est certainement le pays d’Afrique du Nord le plus touché à l’heure actuelle par le stress hydrique. Et cette année, à cause de la sécheresse et du niveau très bas des barrages (certains taux de remplissage ayant baissé à 15-20%), les pénuries d’eau qui touchaient déjà le pays depuis plusieurs années ont atteint des niveaux alarmants, notamment à Alger où l’eau est toujours rationnée.

Pourtant le pays a fait le pari du dessalement depuis de nombreuses années. Durant la période 2007-2014, quand l’argent du pétrole coulait à flots, le pays avait massivement investi dans des unités de dessalement d’eau de mer, au détriment des barrages hydroélectriques. Seulement, il était prévu la réalisation de grandes stations qui n’ont finalement pas vu le jour à cause de la chute du cours du baril à partir de 2014.

Ainsi, le pays compte actuellement une quinzaine d’unités de dessalement d’eau de mer. Toutefois, à cause des problèmes d’entretien et des investissements nécessaires, certaines stations fonctionnent en deçà de leurs capacités.

Et face aux pénuries, plusieurs unités sont en cours d’installation ou d’agrandissement. Il s’agit des stations à Bordj elKiffan (10.000 m3/jour, El Marsa (60.000 m3/jour), Corso (40.000 m3/jour), Palm Beach (7.500 m3/jour contre 2.500 m3/jour auparavant), Bou Ismaïl 10.000 m3/jour, contre 3.000 m3 auparavant).

Face aux pénuries, deux grandes stations d’une capacité de 300.000 m3/jour seront réalisées à Alger à l’horizon 2027. Il est aussi prévu la réalisation d’une grande station à Cap Djenat d’une capacité de 400.000 m3/jour et une autre d’une capacité de 250.000 m3/jour dans la wilaya d’El Tar.

En attendant la réalisation de ces grandes unités de dessalement, les autorités algériennes ont annoncé des investissements d’urgence d’un montant de 150 milliards de dinars, soit 1,15 milliard de dollars, pour faire face aux pénuries en pompant notamment l’eau des nappes phréatiques.

Si les pays d’Afrique du Nord figurent parmi les plus affectés par le stress hydrique et pensent au dessalement comme source complémentaire d’approvisionnement, le phénomène gagne du terrain en Afrique et devrait pousser d’autres pays africains à opter pour le dessalement et ce, d’autant que 35 pays du continent jouissent de façades maritimes.

Le principal défi du dessalement reste la maîtrise des coûts de production. Actuellement, deux techniques sont utilisées en Afrique. La plus fréquente est l’osmose inverse qui repose sur le principe d’une séparation sel-eau faisant appel à une membrane semi-perméable. L’autre est l’électrolyse, moins adaptée pour le traitement de l’eau de mer.

Le coût de production d’eau par dessalement est l’un des obstacles qui freinent le développement de ce mode de production d’eau douce en Afrique. Le système d’osmose inverse utilise la pression pour séparer le sel de l’eau. Une telle pression nécessite une grande quantité d’électricité alors que de nombreux pays sont déficitaire en production électrique.

Ainsi, au Maroc, le coût de production d’un mètre cube d’eau dessalée s’élève à 10 dirhams (1,11 dollar). En Algérie, il est estimé entre 0,76 et 2,1 dollars le m3 à la sortie des usines. Ce coût est fonction de plusieurs paramètres: qualité de l’eau, capacité de production (économie d'échelle) et coût de l’énergie qui représente environ 60%du coût de production du mètre cube.

Le moyen de réduire l’impact de la facture est de connecter l’usine de dessalement à une source d’énergie propre. Ainsi, au niveau de l’usine d’Agadir (Maroc), le système de récupération d’énergie va permettre la réduction du coût de l’énergie d’environ 43% par mètre cube produit.

Par Moussa Diop
Le 25/09/2021 à 11h49, mis à jour le 25/09/2021 à 11h58