L’année 2018 prend fin et aura marqué une étape importante dans le réchauffement des relations diplomatiques et économiques entre la République Islamique de Mauritanie et le royaume du Maroc, qu'une série de faits viennent conforter, et de l’avis de nombreux analystes à Nouakchott.
Le signe le plus patent de cette entente désormais cordiale est survenu à la mi-2018. Non représentée à son plus haut niveau à Rabat depuis 2012, la Mauritanie y a enfin dépêché un ambassadeur, pourvu de ses lettres de créances. Le choix de Nouakchott s'est porté sur un diplomate chevronné, en la personne de Mohamed Lemine ould Aboye, qui avait été auparavant nommé ambassadeur à Niamey, au Niger, et avait aussi occupé ce poste dans une capitale stratégique pour la diplomatie mauritanienne, à Dakar, le Sénégal étant frontalier et donc un partenaire d'importance pour Nouakchott.
Mauritanie: réactions contrastées après les propos de Hamid Chabat
Quelques semaines plus tard, le 20 juin 2018, le nouvel ambassadeur du Maroc en Mauritanie, Hamid Chabar, diplomate chevronné selon les avis concordants de nombreux analystes, a présenté ses lettres de créances au président Mohamed ould Abdel Aziz. Un épisode intervenu plusieurs mois après sa nomination à ce poste.
Parmi les intenses activités diplomatiques relayées par les médias entre le Maroc et la Mauritanie durant 2018, un évènement notable: la visite à Rabat du ministre mauritanien des Affaires étrangères et de la coopération, Ismaël Cheikh Ahmed, les jeudi 20 et vendredi 21 septembre 2018.
Cette visite s'était naturellement placée dans la droite lignée du réchauffement des relations entre les deux pays, et dans la foulée, la capitale mauritanienne a reçu, le 2 novembre 2018, Nasser Bourita, ministre marocain des Affaires étrangères et de la coopération internationale, venu remettre au président Mohamed ould Abdel Aziz un message du roi Mohammed VI. Une rencontre de la plus haute importance, à quelques jours du début des discussions à Genève sur la question du Sahara, impliquant le Maroc, les séparatistes du front Polisario, la Mauritanie, l'Algérie y étant pour la première fois conviée en tant que partie prenante.
Lire aussi : Maroc-Mauritanie: le visa marocain désormais en 24 heures
Cette série de faits démontrent avec clarté qu’en 2018, les réseaux et connexions diplomatiques entre Nouakchott et Rabat ont fonctionné à plein régime.
Accompagnant ce mouvement diplomatique, les milieux d’affaires tant marocains que mauritaniens ont su faire montre de dynamisme, notamment avec un forum organisé à Nouakchott en fin d'année, du 16 au 18 décembre 2018. L'Union Nationale du Patronat de Mauritanie (UNPM) a ainsi reçu une forte délégation de la Confédération Générale des Entreprises du Maroc. En effet, plus de 100 investisseurs marocains, issus des différents secteurs de l'économie ont rencontré de potentiels partenaires mauritaniens.
Cette rencontre, menée, côté marocain, par Salaheddine Mezouar, président de la CGEM, a été marquée par une série de rencontres B2B, qui ont permis d'établir des contacts approfondis entre partenaires commerciaux et industriels, sur 9 thématiques sectorielles…
Cette rencontre a également permis de signer un mémorandum d’entente pour la mise en place d'un comité de veille. Ce forum a aussi été l'occasion d'une rencontre augurant de belles promesses, celle qui a réuni le premier Ministre mauritanien, Ahmed Salem ould Béchir et le président du patronat marocain, lundi 17 décembre 2018.
Lire aussi : Mauritanie: le MAE reçoit les ambassadeurs du Maroc et l'Algérie le même jour
A Nouakchott, devant les médias, Salaheddine Mezouar a expliqué que les deux parties «ont dégagé les voies et moyens de dynamiser les relations entre secteurs privés et identifié les domaines prioritaires pour l’investissement: agriculture, pêche, habitat et tourisme ainsi que de nombreuses autres niches, pour profiter pleinement des richesses dont recèlent les deux pays». L’objectif étant, selon le président du patronat marocain, «la création d’un environnement favorable à l’accompagnement des choix stratégiques» des dirigeants des deux pays.
La Mauritanie et le Maroc préparent désormais activement les assises de la grande commission mixte de coopération marocco-mauritanienne. Cette réunion, prévue pour les mois à venir, aura à plancher sur de grands projets, comme l'a souligné le président de la CGEM dans son discours inaugural du forum de Nouakchott.
Salaheddine Mezouar a ainsi insisté sur la nécessité d’établir une liaison maritime entre le Maroc et la Mauritanie. Un outil «de nature à faciliter le trafic», a-t-il souligné, évoquant également le raccordement des réseaux électriques ainsi qu'une coopération étroite dans le domaine des nouvelles technologies. Cette coopération multiforme sera mis en oeuvre par l’élaboration d’une stratégie qui permettra, selon le président du patronat marocain, de «bâtir un vaste espace d’appartenance géographique».
En marge de ce forum d'affaires à Nouakchott, la délégation du patronat marocain s’est également rendue au nord du pays, et a visité la Zone Franche de Nouadhibou (ZFN), dans laquelle les investissements marocains ont atteint actuellement près de 46 millions de dollars.
Lire aussi : Mauritanie: l'ambassadeur du Maroc rencontre le président du patronat
Créée en 2013, cette zone offshore a pour légitime ambition d’accéder au statut de hub régional de l’investissement. Cette aspiration est d'ailleurs largement justifiée par la position géographique de Nouadhibou, cité idéalement placée au carrefour des voies maritimes et terrestres entre l’Afrique et le Maghreb, bénéficiant également d'une ouverture directe vers les Iles Canaries, l’Europe et l’Amérique, et disposant d’une plate-forme portuaire qui permet l’exportation de minerai de fer. Le port de Nouadhibou est également le centre d’intenses activités pour la pêche hauturière et artisanale.
Commentant l’évolution des relations entre Nouakchott et Rabat, au cours de l’année 2018, Moussa ould Hamed, ancien directeur général de l’Agence Mauritanienne d’Information (AMI), l'agence de presse officielle mauritanienne, a émis ce constat: «les mouvements des populations et les affaires ont toujours continué, même pendant les moments de brouille diplomatique passagère».
Lire aussi : Mauritanie-Maroc: vers un renforcement des relations entre les deux pays
Son illustration la plus tangible en est d'ailleurs les liaisons aériennes régulièrement assurées tant par Royal Air Maroc et Mauritania Airlines, mais aussi la place de choix de l'opérateur de télécoms Mauritel (filiale de Maroc Télécom et opérateur historique sur le marché mauritanien), le rang d’Attijariwafa Bank dans le paysage financier, le trafic régulier des gros porteurs approvisionnant, depuis le Maroc, les marchés mauritaniens ainsi que ceux des différents pays de la CEDEAO en fruits et légumes, sans compter une présence marocaine accrue en Mauritanie dans les industries du ciment et du gaz…
Dans l’opinion publique mauritanienne, une grande aspiration est souvent formulée: celle de la suppression réciproque de l’obligation d'un visa d’entrée pour les ressortissants des deux pays. Autant dire que la politique et la diplomatie sont désormais, aujourd'hui, de plus en plus en phase avec une réalité géographique, mais aussi celle des liens forts, historiques, culturels, humains, religieux et économiques qui unissent le Maroc et la Mauritanie.
Lire aussi : Maroc-Mauritanie: Mohamed Ould Bouamatou interdit d’accès au territoire marocain
Ce regain d’intérêt réciproque dans les relations entre le Maroc et la Mauritanie intervient dans un contexte sous-régional marqué par une orientation des deux pays vers le Sud. Ainsi, le royaume du Maroc tape désormais à la porte de la Communauté Economique de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) pour une adhésion pleine et entière, en lieu et place de son actuel statut d’observateur, dont il bénéficie depuis plusieurs années.
Toutefois, cette requête rencontre encore quelques réticences, celle la frilosité d’une partie du secteur privé régional, sans doute apeuré par le dynamisme d'un pays qui s'impose de plus en plus économiquement dans la région. Mais la tendance étant résolument aux grands regroupements, à un moment où l'on parle de plus en plus de la Zone de Libre Echange Continental (ZLECA), ces craintes devraient logiquement être très vite dépassées.
Lire aussi : Maroc-Mauritanie: un forum d'affaires à Nouakchott pour impulser les relations économiques
En fait, le véritable enjeu pour les chefs d’entreprises de l’espace de la CEDEAO sera de s'approprier les outils à même de les rendre aussi compétitifs que les opérateurs marocains. Et dans le même temps, la Mauritanie, membre fondateur de la CEDEAO, qui s’en était retirée en 2000, y fait actuellement son grand retour, avec une grande force diplomatique.
Ainsi, le gouvernement mauritanien a validé la semaine dernière, l’accord d’association signé avec la CEDEAO, le 5 mai 2017 à Nouakchott.
Ce projet est actuellement débattu par les dépués de l’assemblée nationale mauritanienne. L’accord d’association entre Abuja et Nouakchott prévoit « le renforcement de la coopération dans plusieurs domaines d’intérêt commun, l’instauration d’une zone de libre échange, l’application d’un Tarif Extérieur Commun (TEC) en matière de douanes, la promotion de la libre-circulation des personnes et des biens, la liberté de l’investissement, le développement d’une politique commerciale commune en vue de favoriser l’accroissement des échanges à l’intérieur de la région» un vaste programme devant déboucher sur la création d’un vaste marché commun ouest-africain.