Présidents africains: ceux qui piétinent les constitutions pour s'éterniser au pouvoir

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Le 07/08/2017 à 12h37, mis à jour le 07/08/2017 à 12h40

Bouteflika, Kabila, Paul Biya, Paul Kagame… La liste des présidents africains ayant modifié leurs constitutions pour s’éterniser au pouvoir est longue. D’autres, comme Condé ou Ould Abdel Aziz, comptent leur emboîter le pas en cultivant l’ambiguïté quant à l’éventualité d’un 3e mandat.

Tripatouillage de la loi fondamentale, refus catégorique d'organiser des élections alors qu'on est en fin de mandat, déclaration d'intensions... Les Africains sont visiblement habitués à des actions de toute sorte dont l'unique but est de permettre aux présidents arrivés en fin d'un mandat non renouvelable de remplier.

Ainsi, les constitutions mises en place à partir des années 1990 dans le sillage de l'adoption du multipartisme, sont soumises à l'épreuve de l'envie de se maintenir au pouvoir. 

A l’époque, l’accent était mis sur la limitation du nombre de mandats présidentiels dans le but de faire face à des chefs d’Etat installés au pouvoir depuis plusieurs décennies et forcer, en conséquence, une alternance démocratique au pouvoir.

Malheureusement, même dans les pays qui ont opté pour la limitation à deux mandats, les révisions constitutionnelles visant à changer la loi pour permettre au chef de l'Etat de rester en place sont devenues légions. Le continent est déjà riche de nations ayant connu des modifications constitutionnelles dans le but de maintenir le président au pouvoir. Maouya Ould Sidi Ahmed Ould Taya (Mauritanie), Lansana Conté (Guinée), Omar Bongo (Gabon), Ben Ali (Tunisie) ou Gnassingbé Eyadéma (Togo) ont usé de ces révisions pour se maintenir à la tête de l'Etat, avant d’être emportés par la mort ou renversés par le peuple ou des révolutions.

Grâce à ces modifications constitutionnelles qui leur assurent une présidence à vie, s’ils le souhaitent, d'autres sont toujours là. C’est le cas d’Idriss Deby (Tchad), Abdelaziz Bouteflika (Algérie), Denis Sassou Nguesso (Congo), Paul Kagame (Rwanda) et tant d’autres chefs d’Etat actuellement au pouvoir. A titre illustratif, Idriss Déby du Tchad a modifié la constitution tchadienne pour briguer un 3e mandat en 2006 et il s’est éternisé depuis.

Ils rejoignent en quelques sortes ceux qui ont opté pour des "présidences à vie", comme Mugabe du Zimbabwé, Obiang Nguama de la Guinée équatoriale,...

Le tripatouillage des constitutions est ainsi devenu une gymnastique prisée par les chefs d’Etat du continent.

Il faut souligner que certaines constitutions contiennent les germes de leurs modifications. Ainsi, les articles 101 et 193 de la Constitution rwandaise traitent du nombre et de la durée de mandats présidentiels. Seulement, si le premier fixe le nombre et la durée du mandat présidentiel, le second définit les modalités de révision de tout article de la Constitution quand la volonté du peuple souverain en décide.

Globalement, ces changements sont possibles avec l’accord des deux chambres, suivi de l’approbation du peuple via un référendum. En clair, les chefs d’Etat contrôlant systématiquement les deux chambres du Parlement, le référendum et la consultation via le Parlement sont faciles à gagner pour un parti au pouvoir qui dispose de tous les outils étatiques pour arriver à ses fins. 

Toutefois, certains ont échoué dans cette tentative. C’est le cas notamment de Blaise Compaoré, qui, après 27 ans de pouvoir a souhaité changer la Constitution de son pays pour se faire réélire. Il fut renversé par son peuple avant de s’exiler en Côte d’Ivoire.

Seulement, les rares échecs en matière de 3e mandat ne servent aucunement de leçons aux présidents qui souhaitent monopoliser le pouvoir en changeant les constitutions. C’est ainsi qu’on prête l'intention de briguer un 3e mandat à Alpha Condé de la Guinée et au président mauritanien Mohamed Ould Abbdel Aziz. Tous deux cultivent l’ambiguïté sur la question.

Il faut tout de même souligner que dans certains pays, la culture et l’alternance démocratique sont bien établies et le tripatouillage des constitutions difficile à entreprendre. C’est le cas notamment du Ghana, du Sénégal, du Cap-Vert, du Botswana, de l' Afrique du Sud, de l'île Maurice et du Bénin.

Mais pourquoi autant de chefs d’Etat africains s’accrochent-ils au pouvoir? La peur d’être poursuivis pour crimes de sang ou économique y est pour beaucoup. Et pour cause, la majeure partie des dirigeants concernés s’est enrichie sans compter, au détriment de son peuple.

Du coup, la liste des chefs d’Etat ayant revisité leur Constitution pour se pérenniser au pouvoir est longue.

Aziz Bouteflika (Algérie): 4 mandats, et après…

A 80 ans et malade, cela n’empêche pas certains pontes du régime algérien de souligner la nécessité à ce que Abdelaziz Bouteflika se représente pour un 5e mandat à la tête de l’Algérie.

Né le 2 mars 1937 à Oujda, le 5e président de l’Algérie indépendante est à son 4e mandat présidentiel. Pourtant, la Constitution algérienne limitait à deux seulement le nombre de mandats d’un président à la tête du pays. Ainsi, après avoir remporté l’élection de 1999 et été réélu en 2004, le président algérien devrait quitter logiquement la présidence au terme de son second mandat.

Toutefois, Bouteflika décida de modifier la constitution pour pouvoir se représenter. Ainsi, le 12 novembre 2008, la constitution est modifiée par le Parlement algérien dominé par le parti au pouvoir. La principale réforme concerne bien évidemment le retrait de la limite de deux mandats consécutifs d’un président. La loi fondamentale est ainsi amendée pour une présidence à vie. Et en 2009, Bouteflika se représente et remporte l’élection présidentielle avant d’être réélu une 4e fois à la tête du pays en 2014.

Pour la prochaine échéance présidentielle prévue en 2019, gravement malade, la guerre de succession est enclenchée. Toutefois, par crainte d’être écartés de celle-ci, comme ce fut le cas pour de nombreux prétendants, notamment au sein de la grande muette, les dirigeants du parti au pouvoir militent pour un 5e mandat du président. A défaut, on prépare le frère du président.

Kagamé (Rwanda): plébiscité, mais,…

Paul Kagamé.

Il vient tout juste d’être réélu à la tête du Rwanda après deux mandats consécutifs en obtenant 98% des voix pour un 3e mandat de 7 ans. Pourtant, la constitution rwandaise est claire en la matière. Après deux mandats consécutifs, le président devrait céder son fauteuil.

Seulement, au pouvoir depuis 2003, Paul Kagamé a bafoué la constitution de son pays pour pouvoir se représenter. Désormais, avec la nouvelle constitution, il lui est possible d’enchaîner 2 nouveaux mandats.

Au-delà de son charisme et de son bilan socio-économique, sa réélection risque de légitimer celles des autres chefs d’Etat du continent, notamment de l’Afrique centrale, engagés dans des processus visant à modifier les constitutions de leurs pays pour pouvoir se représenter indéfiniment.

Pierre Nkurunziza (Burundi): une interprétation

Pierre Nkurunziza, président du Burundi.

Le président Burundais a lui aussi souhaité disposer d’un 3e mandat en cultivant le flou sur l’interprétation de l’article 96 du mécanisme de sortie de guerre civile (1993-2006) prévu dans le cadre de l’Accord d’Arusha de 2000. A la suite de cet accord, il prend la tête du pays en 2006, puis il est réélu en 2010 au suffrage universel. Seulement, à la fin de son second mandat, Nkurunziza estime que le premier mandat ne compte pas et s’autorise un 3e mandat.

C’était sans compte sur l’opposition et la société civile qui estiment qu’il a bouclé ses deux mandats consécutifs et que le 3e mandat est contraire à la constitution et à l’accord d’Arusha.

N’empêche, il s’est ainsi représenté en 2015 malgré l’opposition du peuple. Une situation qui a précipité le pays dans une crise politique grave. Selon les organisations burundaises de droits de l’Homme, cette crise a fait au moins 1.000 morts, 6.000 prisonniers, 20.000 disparus et 250.000 réfugiés recensés par les Nations unies.

En dépit de la situation catastrophique que traverse son pays, Nkurunziza a annoncé le 30 décembre 2016 qu’il pourrait même à nouveau se représenter pour un 4e mandat en 2020, «si le peuple le demande»!

Joseph Kabila (RD Congo): pas d’élection en vue

Joseph Désiré Kabila, président de la RD Congo.

A l’instar de ses voisins de l’Est, Rwanda et Burundi, Joseph Kabila, au pouvoir depuis 2001, après l’assassinat de son père, se maintient au pouvoir après avoir bouclé ses deux mandats consécutifs à la tête de la République démocratique du Congo. Son second mandat a expiré le 19 décembre 2016. Toutefois, Kabila s’accroche au pouvoir avançant mille prétextes pour ne pas organiser des élections présidentielles pour lesquelles il n’a pas le droit de se présenter en vertu de la constitution, et ce malgré les recommandations de la Conférence épiscopale nationale du Congo, des Nations Unies, etc.

Pour certaines ONG, le clan Kabila craint d’être dessaisi des richesses amassées en 20 ans de pouvoir des Kabila père et fils et de perdre ses réseaux d’affaires. Selon certaines sources, le clan du président contrôle 80 entreprises au Congo et à l’étranger, 71.000 hectares de terres agricoles et les licences d’exploitation des mines de diamants au niveau de la frontière avec l’Angola.

Mohamed Ould Abdel Aziz (Mauritanie): l’art de cultiver le flou

Poignée de main entre le dernier président civil, Sidi Ould Cheikh Abdallahi et le général Mohamed Ould Abdel Aziz, actuel président.

Après avoir pris le pouvoir suite à un coup d’Etat, le président Mohamed Ould Abel Aziz boucle son second mandat en 2019. Il a beau soutenir qu’il ne va pas changer la constitution pour s’offrir un 3e mandat, l’opposition mauritanienne ne lui fait pas confiance et ce d’autant plus que lui et les membres de son gouvernement sont loin d’être sur la même longueur d’onde sur ce point.

La révision illégale de la Constitution est considérée par de nombreux Mauritaniens comme une étape vers une autre modification pour permettre à Ould Abdel Aziz de se présenter pour un 3e mandat en 2019. Il pourra ainsi recourir à ce même subterfuge et appeler à un référendum pour un 3e mandat.

Pourtant, l’homme a répété à maintes reprises qu’il ne compte pas se présenter en 2019. «La révision de la Constitution n’a pas pour but de permettre de me représenter pour un 3e mandat comme le prétend l’opposition», s’est-il défendu.

Seulement, après les sorties de plusieurs ministres, c’est au tour du Premier ministre Yahya Ould Hademine, en tournée dans des régions du pays, d’annoncer : «Vous avez le droit de réclamer un 3e mandat et d’exiger de l’actuel président de rester aux commandes du pays pour parachever la réalisation des projets déjà entamés».

Alpha Condé (Guinée): la tentation du 3e mandat est forte

Alpha Condé, président de la Guinée.

Lors de sa dernière visite d’Etat en France, du 10 au 12 avril 2017, Alpha Condé avait accordé une interview à Libération pour déclarer : «Arrêtons avec cette dogmatique de savoir si la bonne chose est un, deux ou trois mandats. Cela dépend de chaque pays et de la volonté de son peuple». La messe est ainsi dite.

Outre le président, ses proches essaient de déblayer le terrain et sonder les esprits. «Lorsque nous aurons la force, nous pourrons dire que l'affaire de deux mandats engage ceux qui l'ont dit. Tant qu'Alpha Condé est en vie, il sera le président de la Guinée», a ainsi souligné Bangaly Kourouma, directeur général de la police guinéenne. Hadja Nantenin Chérif Konaté, coordinatrice nationale du RPG, avance que «le peuple va demander un 3e mandat à Alpha Condé».

Face à ces intentions, la société civile et l’opposition guinéennes comptent s’opposer à toute tentative visant à apporter des changements au niveau de la Constitution et ont annoncé la création d’un front pour contrer cette tentative.

Elles peuvent compter sur l’appui du président de la Cour constitutionnelle guinéenne. Keleka Sall, a invité le président Condé «à ne pas succomber aux sirènes réformistes», ajoutant que «moi, tant que je suis à la tête de cette institution, la loi sera dite et la Constitution ne sera jamais violée».

Par Moussa Diop
Le 07/08/2017 à 12h37, mis à jour le 07/08/2017 à 12h40