Un baril de pétrole qui est resté longtemps en deçà de 50 dollars, un Trésor public aux caisses vides, une Banque centrale faisant face à une sévère baisse de devises, des risques politiques importants avec la reprise des contestations populaires, des faillites d'entreprises et des banques en difficulté,… Ce sombre tableau donne des sueurs froides aux fournisseurs étrangers des entreprises algériennes, ainsi que des donneurs d’ordre publics.
D’ailleurs, en juin 2020, l’assureur crédit français Coface avait classé l’Algérie en catégorie D, concernant le risque d’impayés des entreprises du pays. poussant les fournisseurs internationaux de l'Algérie à craindre fortement une multiplication de défaillances de leurs clients.
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Une situation qu’a confirmée une enquête réalisée par Algérie-Part qui souligne que «les fournisseurs internationaux de matière première, de marchandises ou d’équipements industriels exigent des paiements sécurisés pour toute livraison à des importateurs algériens». Et d’après le site d’information, cette situation concerne aussi bien les entreprises privées que les établissements publics et même l’Etat algérien.
Conséquence, «les fournisseurs étrangers exigent aux importateurs algériens de bloquer les montants des opérations d’importation au niveau des banques pour qu’ils aient une assurance qu’ils percevront leurs paiements», souligne le média algérien.
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En clair, les fournisseurs étrangers n’acceptent plus le mode de règlement de remise documentaire, le moyen traditionnel de paiement utilisé pour les transactions commerciales internationales entre les opérateurs algériens et leurs fournisseurs étrangers. Celui-ci est jugé peu sécurisant par les fournisseurs du fait qu'il n’engage pas les banques à exécuter les paiements.
Du coup, les fournisseurs exigent aux importateurs algériens de recourir au Crédit documentaire (Credoc) comme moyen de règlement des transactions commerciales. Le Credoc est un engagement écrit d’une banque émettrice, à la demande et pour le compte de l’acheteur (donneur d’ordre), de payer au vendeur (bénéficiaire) un montant déterminé relatif à la fourniture d’une marchandise ou d’une prestation. Ce moyen de paiement garantit le bon déroulement des échanges internationaux, en ce sens qu'il est plus sécurisant pour le fournisseur que la Remise documentaire du fait qu’il fait figure de garantie bancaire.
Avec ce mode de paiement, le règlement du fournisseur est garanti par la banque de l’importateur en cas de défaillance de celui-ci, le seul risque étant, entre temps, celui de la faillite de la banque.
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Avec ce moyen de paiement, la banque de l’importateur s’assure de la solvabilité de ce dernier avant de s’engager à régler le fournisseur, à la réception de la marchandise. Du coup, ce mode de paiement nécessite plus de temps pour les banques qui doivent s’assurer de la fiabilité des données de leurs clients et de leur solvabilité.
Selon Algérie-Part, cette situation expliquerait «pourquoi il y a depuis plusieurs mois de fortes pénuries de certains produits importés de l’étranger».
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Du coup, c’est l’économie algérienne qui risque d’être handicapée davantage sachant que les importations de matières premières, demi-produits et de biens équipements sont nécessaires pour le fonctionnement de nombreuses unités de production.
Ce durcissement des conditions de paiement s’explique essentiellement par les craintes de défaillances des opérateurs algériens. Il faut dire que la situation des opérateurs économiques algériens inquiète même les banques commerciales locales qui ont globalement réduit les crédits octroyés aux entreprises privées et publics du pays poussant la Banque d’Algérie à sortir de ses gonds.
Si les fournisseurs étrangers ont commencé à se montrer plus exigeants en ce qui concerne les garanties de paiement, c’est parce que les signaux d’alerte se sont multipliés. D’abord, le risque politique de l’Algérie est devenu inquiétant. En effet, la reprise des manifestations populaires exigeant le départ du régime en place et du système politique qui dirige l’Algérie depuis des décennies fait que le pays est jugé instable et inquiète des opérateurs étrangers et les compagnies d’assurance-crédit.
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En février dernier, la Compagnie française d’assurance pour le commerce extérieur (Coface) avait conclu une étude sur le pays par «une instabilité politique accrue». La compagnie, qui est une référence en matière de couverture des crédits sur les échanges internationaux, avait dressé un tableau sombre en soulignant que «la prévalence de la pauvreté, le manque d’opportunités d’emplois et le contexte économique difficile, exacerbé par la crise sanitaire, ainsi que le sentiment que rien ne change vraiment dans la gouvernance, alimenteront probablement le mécontentement». La reprise du mouvement de contestation populaire (Le Hirak), en dépit de la pandémie, montre à quel point le risque politique est important en Algérie.
Ensuite, de nombreux pans de l’économie algérienne sont très touchés par la pandémie du Covid-19 venue aggravée leur situation déjà difficile. Du coup, les défaillances d’entreprises pourraient croître fortement et toucher de nombreux secteurs d’activité. La situation des secteurs automobiles, électroniques et électroménagers dont la quasi-totalité des entreprises sont à l’arrêt ou tournent au ralenti illustrant ainsi l’ampleur de la crise. Au niveau du secteur du Bâtiment et des travaux publics (BTP), un des plus importants du pays, de nombreuses entreprises ont mis les clés sous le paillasson. Et les défaillances risquent d’augmenter fortement dans les mois à venir. Une situation qui inquiète fortement les fournisseurs étrangers et les poussent à exiger des modes de paiement plus sécurisés.
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Par ailleurs, le creusement des déficits jumeaux (-20% du PIB pour le déficit budgétaire et -13,8% du PIB pour la balance des paiements) inquiète à l’international au moment où les réserves en devises du pays s’épuisent dangereusement. Celles-ci sont passées de 194 milliards de dollars en 2014 à moins de 30 milliards de dollars actuellement. Une situation qui a poussé les autorités à durcir les conditions de sortie de devises. Le limogeage de l’ancien PDG d’Air Algérie et de son ministère de tutelle, pour avoir simplement lancé un appel d’offre portant sur l’achat du matériel de handling de la compagnie Air Algérie, pour quelques milliers d’euros, illustre bien cette inquiétude.
Du coup, la baisse continue des réserves pourrait aussi pousser les autorités à prendre d’autres mesures visant à limiter encore plus les sorties de devises dans les mois à venir si jamais la situation continue de se dégrader. Un risque que craignent aussi les fournisseurs étrangers.
Bref, tous ces facteurs et tant d'autres justifient clairement que les fournisseurs s'inquiètent des paiements des marchandises et autres services fournis aux entreprises algériennes.