Algérie: le pari utopique de Tebboune sur le retour à l’équilibre de la balance des paiements

Le président algérien, Abdemadjid Tebboune.

Le président algérien, Abdemadjid Tebboune.. DR

Le 05/04/2021 à 14h24, mis à jour le 06/04/2021 à 15h25

Le président Abdelmadjid Tebboune a promu un retour à l’équilibre de la balance des paiements en 2021-2022. Ce pari est irréaliste partant des deux leviers sur lesquels compte s'appuyer l'Algérie. Analyse.

Le président algérien Abdelmadjid Tebboune a accordé le dimanche 4 avril 2021 une entrevue à des responsables de médias algériens. Une rencontre que souhaite pérenniser le président algérien et surtout une occasion pour promettre monts et merveilles aux Algériens.

Durant cette rencontre, le Président est revenu sur toutes les questions du moment, notamment celles concernant la situation de l’économie algérienne qui traverse une crise économique aiguë depuis quelques années, dans le sillage de la chute du cours du baril de pétrole. Une crise qui se caractérise particulièrement par les déséquilibres des fondamentaux de l’économie algérienne avec des déficits jumeaux abyssaux et la chute des réserves de change du pays, principale inquiétude des autorités algériennes.

A ce titre, le Président a fait une promesse de taille en soulignant que l’Algérie parviendra en 2021 ou au plus tard en 2022 à un équilibre de la balance des paiements. Cependant, selon les prévisions du Fonds monétaires international (FMI) concernant l’exercice 2021, l’institution table sur un déficit de la balance des paiements de l’ordre de 16% du PI,(près de 23 milliards de dinars), soit plus que les recettes d’exportation totale de l’Algérie en 2020!

Il s’agit d’une promesse importante en ce sens que c’est l’évolution de celle-ci qui déterminera le niveau des réserves en devises du pays, un indicateur désormais surveillé comme le lait sur le feu. En effet, depuis la chute du cours du baril de pétrole en 2014, les avoirs en devises de l’Algérie ne cessent de dégringoler passant de 194 milliards de dollars en fin 2013 à 42 milliards de dollars en 2020, d’après le président Abdelmadjid Tebboune et moins de 30 milliards de dollars, selon l’ancien ministre de l’Industrie Farhat Aït Ali. Pour certaines institutions financières, le niveau des réserves devrait tourner autour de 20 milliards de dollars.

Face à cette situation, le président Tebboune a voulu rassurer les Algériens en avançant un rapide retour à l’équilibre de la balance des paiements.

Seulement, si cette éventualité ne peut être écartée d’un revers de la main, sachant qu’une flambée du cours du baril de pétrole à plus de 100 dollars peut permettre à l’Algérie de retrouver l’équilibre de sa balance des paiements, il paraît, dans l’état actuel des choses que cet engagement est un pari risqué, surtout en partant des deux leviers sur lesquels compte s’appuyer le gouvernement algérien pour y arriver.

En effet, d’après le président, ce retour à l’équilibre sera atteint grâce à deux leviers : la politique de maitrise des importations et l’encouragement des exportations hors hydrocarbures.

Une recette bien offerte aux Algériens par le régime de Bouteflika, notamment au temps où Abdelmaleck Sellal dirigeait le gouvernement quand le seul argument valable était la baisse des importations pour équilibrer la balance commerciale.

Ainsi, après les interdictions d’importation d’un millier de produits, la fin des importations de kits automobiles et électroménagers et la surtaxation de certains produits pour décourager leur importation, le président algérien annonce encore une maitrise des importations. Tout en soulignant que la facture des importations a été réduite de 10 milliards de dollars en 2020, par rapport à la facture de 2019, "grâce à la production, à la maitrise de la surfacturation et à l’application d’un contrôle plus sérieux de certains services".

Seulement, et les Algériens en sont témoins, le Président a tout faux quand il souligne que ce résultat a été obtenu "sans créer un déficit ou une pénurie". L’Algérie ne produisant pas grand chose, l’économe étant dépendante des hydrocarbures, les limitations et interdictions des importations ont entrainé des pénuries inquiétantes. Depuis début 2020, les pénuries d’automobiles, de médicaments dont ceux des pathologies les plus importantes et tant d’autres produits sont une réalité quotidienne. Les pénuries et les hausses des prix sont le quotidien des Algériens.

Selon le Syndicat national des pharmaciens d’office (Snapo), ce sont 335 médicaments qui sont en rupture en Algérie, selon le recensement du regroupement professionnel à fin décembre 2020. Ces médicaments concernent des pathologies aussi diverses que l’endocrinologie (Arimidex, Nolvadex, Aracytine …), l’hypertension artérielle (Mono Tildiem), la rhumatologie… La pénurie de médicaments pour le traitement du cancer des enfants a été telle que des enfants en sont décédés et qu'il a fallu un don chinois pour l'atténuer, ne serait-ce qu'un moment.

Conséquence, la situation est critique pour de nombreux malades. "Nous sommes contraints de donner des ordonnances aux parents afin qu’ils essayent par eux-mêmes de se procurer ces médicaments. Pourquoi le problème ne se pose pas ailleurs dans le monde? Pourquoi tant de négligence?", se demandait le Pr Houda Boudiaf chef de service d’oncologie pédiatrique au CHU Mustapha Bacha d’Alger, cité par El Watan, en février dernier.

Et malgré tout, Tebboune annonce qu’il n’y a pas de pénurie en Algérie, malgré les scènes de bousculades pour s'approvisionner en huile qui ont fait le tour du monde.

Et le pire est à venir au niveau du secteur de la santé. En effet, le Président a annoncé lors de cet entretien que pour l’année en cours, l’Algérie va économiser entre 800 millions et 1 milliard de dollars sur les importations de médicaments. En conséquence, le seul salut des Algériens réside dans le fait de ne pas tomber malade. Tebboune lui peut toujours aller se faire soigner dans les meilleurs hôpitaux du monde.

De même, il a aussi promu la limitation de la facture des importations du blé entre 400 et 500 millions de dollars en 2021. Objectif illusoire, sachant que durant les deux premiers mois de 2020, le pays avait importé l’équivalent de 400 millions de dollars en blé. En effet, durant la période 2010-2020, l’Algérie a importé entre 6,5 et 8,5 millions de tonnes de blé par an. En 2018-2019, le gouvernement avait décidé de limiter les importations à seulement 4 millions de tonnes, et au final, il a importé 7,25 millions de tonnes, pour occuper le 4e rang mondial des importateurs de cette céréale pour une facture dépassant les 3 milliards de dollars. Vouloir d'un trait diviser la facture des importations de blé par 6 est impossible. 

En clair, il est certes possible de baisser la facture des importations, mais à quel prix? Le citoyen algérien ne pourra plus se soigner contre certaines pathologies faute de médicaments et ne pourra plus acquérir de nombreux biens, sinon à des prix exorbitants.

Mais, pour Tebboune, c’est le prix à payer pour préserver le peu de réserves en devises dont dispose encore le pays.

L’autre levier avancé par Tebboune pour un retour à l’équilibre de la balance des paiements est relatif aux exportations hors hydrocarbures. Sur ce point, il faut souligner qu’en moyenne, plus de 95% des recettes d’exportations de l’Algérie proviennent annuellement des hydrocarbures et dérivées. En 2020, les exportations algériennes se sont établies à 21,55 milliards de dollars dont 20 milliards provenant des exportations d’hydrocarbures (39% de gaz naturel, 37% de pétrole et 17% de carburants), soit 93% des exportations totales.

Les 7%, soit 1,55 milliard de dollars, restant constituant les exportations hors hydrocarbures sont composées de dérivés pétroliers et gaziers (engrais, ammoniac, huiles issues de la distillation des goudrons...) et de produits agricoles (dattes, sucre…).

Et sur ce point, le Président annonce la hausse des exportations du secteur pharmaceutique de 400 millions de dollars en 2021. Encore une annonce fantaisiste. L’Algérie doit d’abord régler ses pénuries de médicaments touchant toutes les pathologies avant d’envisager l’exportation du surplus vers l’Afrique où les concurrences indienne, chinoise, marocain et européenne sont rudes, d'autant que le "Made in Algérie" est loin d’être une garantie de qualité.

En clair, penser que les secteurs des exportations hors hydrocarbures vont permettre à l’Algérie de rééquilibrer sa balance des paiements en 2021 et 2022 est un non sens. D’ailleurs, le président Tebboune lui-même reconnaît l’ampleur de la tâche. "Si nous parvenons à 4 milliards de dollars d’exportations hors hydrocarbures, nous en seront heureux, car pendant les 25 dernières années, nous ne dépassions pas 2 milliards de dollars", a t-il souligné.

Et tout semble d’ailleurs être flou chez Tebboune qui dans son argumentaire s’appuie sur des projets qui ne sont même pas encore lancés, quand il cite celui de Ghar Djbilet, projet de la mine de fer dont un mémorandum d’entente a été signé avec des entreprises chinoises le 31 mars 2021. Il faut d’abord lancer le projet et quelques années pour exploiter et transformer la production de la mine de fer. En conséquence, celui-ci ne peut avoir aucun impact positif sur la balance des paiements en 2021 et 2022, sinon à contribuer à creuser le déficit de celui-ci à cause de l’achat des équipements nécessaires pour l’exploitation de la mine.

Et par ailleurs, pour les débouchées des secteurs exportateurs algériens, Tebboune ne mise que sur des exportations vers le continent africain alors que les produits algériens y sont invisibles et qu’aucune préparation en amont n’y est effectuée.

En clair, l’annonce d’un retour rapide à l’équilibre de la balance des paiements de l’Algérie semble utopique dans le contexte actuel, surtout avec ces deux leviers avancés pour y parvenir. La seule chose qui peut faciliter ce retour rapide à l’équilibre de la balance des paiements est la flambée du cours du baril de pétrole. Or, avec le contexte actuel, il est très peu probable que ce scénario prenne vie. Toutes les prévisions tablent sur un cours moyen annuel ne dépassant pas les 60 dollars tant en 2021 qu’en 2022.

Par Moussa Diop
Le 05/04/2021 à 14h24, mis à jour le 06/04/2021 à 15h25