Algérie: après le cuisant fiasco de l’industrie automobile, les patrons incitent l’Etat à changer de cap

Une unité de montage automobile.

Une unité de montage automobile.. DR

Le 14/03/2021 à 14h22, mis à jour le 15/03/2021 à 05h47

Pour relancer l’industrie automobile dans le pays, les industriels et les autorités ne sont plus en phase. Le gouvernement table sur l’implantation de grands constructeurs automobiles, en partenariat avec des Algériens, mais le patronat, échaudé, a une vision bien différente. Explications.

La cuisante expérience essuyée par l’industrie automobile algérienne incite les patrons du pays à enjoindre le gouvernement, et leur ministre de tutelle, à faire preuve de prudence. Les industriels algériens ne veulent vraiment pas reproduire la même expérience, et l’ont clairement signifié au ministre de l’Industrie, Mohamed Bacha.

Plein de bonne volonté, ce nouveau ministre, récemment nommé dans le gouvernement de Abdelaziz Djerrad, à la suite du remaniement de façade décidé par Abdelmadjid Tebboune, leur avait demandé de lister et de lui adresser leurs préoccupations, et des solutions à même de dépasser les grandes difficultés que traverse le secteur automobile en Algérie.

Plus encore, les opérateurs de la branche automobile algérienne demandent instamment aux autorités de changer de cap. Ainsi, les membres de l’une des principales instances patronales du pays, la Confédération algérienne du patronat citoyen (CAPC), ex-FCE, ont carrément demandé au nouveau ministre de l’Industrie de reporter sine die les projets liés à la construction automobile en Algérie.

Et pour cause, ils estiment que dans le contexte actuel, le pays n’est pas prêt pour se lancer dans une véritable industrie automobile. Le risque est en effet grand de reproduire les mêmes schémas qui ont conduit au désastre vécu par le montage automobile dans le pays, un désastre qui a, d’ailleurs, été à l’origine de la condamnation par la justice de nombreux oligarques, ainsi que des personnalités politiques de premier rang, dont deux Premiers ministres et de nombreux ministres, qui croupissent actuellement en prison.

En demandant ce report, les patrons enterrent ainsi l’ambition du prédécesseur de Mohammed Bacha, l’ex-ministre Ferhat Aït Ali, qui avait publiquement avancé que deux grands constructeurs automobiles allaient s’implanter en Algérie, mais sans toutefois jamais avoir cité les noms de ces deux fameux opérateurs.

L’avis de cette confédération patronale algérienne, qui incite donc les autorités à la prudence, les met en garde sur la reproduction du schéma qui a conduit au fiasco du montage automobile algérien, avec des opérateurs qui importaient des kits automobiles pour les monter dans le pays, et qui même, parfois, allaient jusqu’à importer des véhicules totalement montés, auxquels il ne manquait que des pneus à placer. Autrement dit, il s’agit bel et bien là d’un secteur industriel sans aucune valeur ajoutée locale.

En lieu et place, les patrons algériens demandent aujourd’hui aux autorités de soutenir la mise en place d’entreprises de production de pièces de rechange. Les nouvelles unités industrielles qui seront installées pourront ainsi poser les bases d’un nouvel écosystème à venir, qui devra contribuer, à terme, selon leurs vœux, à l’implantation de grands constructeurs mondiaux. Ceux-ci pourront ensuite bénéficier de l’apport de fournisseurs et d’équipementiers locaux.

Sami Agli, président de la Confédération algérienne du patronat citoyen (CAPC), explique que c’est là l’une des pistes qui ont été proposées par l’instance patronale qu’il dirige, pour contribuer à la relance de l’économie algérienne. Ce patron de patrons algériens soutient ainsi que la construction automobile n’est pas une priorité pour le marché algérien, et souligne que de nombreux pays développés ne sont pas des fabricants de véhicules.

Donc, pour ces patrons, l’Algérie doit concentrer ses efforts sur la mise en place d’entreprises de production de pièces de rechange automobile, ce qui permettra de lancer ainsi les bases d’un écosystème de fournisseurs et d’équipementiers qui pourront accompagner, à plus ou moins long terme, les constructeurs qui s’implanteront par la suite en leur apportant du contenu local.

Mais pour cela, ils ont une exigence: ils demandent l’assainissement du climat des affaires, l’assainissement du secteur bancaire pour accompagner le secteur productif, la fin de la bureaucratie et la relance de l’investissement… Vaste programme, dans une Algérie actuellement exsangue.

Il faut en effet rappeler que l’industrie automobile algérienne, pour ne citer que cette branche, est à l’arrêt depuis que les autorités ont interdit l’importation de kits automobile. Il faut aussi reconnaître qu’il n’y eut, à l’origine, aucune stratégie industrielle élaborée par l’Etat algérien. Les autorités étaient guidées, aux débuts, par un seul souci: la réduction de la facture des importations automobiles, qui dépassait les 3 milliards de dollars.

Sans vision, les importations de véhicules neufs ont donc été remplacées par des importations de kits automobiles, assemblés dans des unités de montage, sans aucune valeur ajoutée locale. Le taux d’intégration locale est donc plutôt piètre, et varie, selon les unités de production, entre 0% et 15% (dans le meilleur des cas).

La situation n’a naturellement fait qu’empirer depuis, car avec l’annulation du système de taxes douanières préférentielles pour l’importation des kits d’assemblage automobile, toutes les unités de montage sont conséquemment aujourd’hui à l’arrêt… Charriant leur lot de sans-emplois et de chômeurs de longue durée.

Par ailleurs, les conditions qu’avait imposées l’ancien ministre de l’Industrie, Ferhat Aït Ali, pour tenter de rectifier cette situation catastrophique dans laquelle est plongée l’industrie automobile algérienne, sont irréalistes et irréalisables, aussi bien à court qu’à moyen terme.

Pour éviter de réitérer le scénario risible d’un montage automobile avec des voitures importées en kits auxquelles ne manquaient plus que des pneus à visser, l’ancien ministre avait en effet élaboré un nouveau cahier des charges pour les constructeurs automobile, avec l’obligation d’un ambitieux taux d’intégration de 30%, et ce, dès la première année de l’implantation de cet hypothétique opérateur.

Mais le ministre, prenant le temps de la réflexion, avait finalement de lui-même fini par comprendre que cet objectif était impossible à atteindre, et avait publiquement reconnu que «30% d’intrants locaux est un taux quasiment impossible, sauf si on construit la carrosserie localement».

Les dirigeants algériens ne l’avoueront certes jamais, mais leur farouche volonté de mettre en place une industrie automobile en un temps record a aussi été dictée par le succès de Renault Tanger Maroc. Mais ils oublient que le Royaume a peu à peu construit son industrie durant de nombreuses décennies.

Lors d’un entretien accordé au Figaro, le 19 février 2020, le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, est même allé jusqu’à s’en prendre à Renault, en soulignant que «l’usine Renault qui est ici n’a rien à voir avec celle qui est installée au Maroc», mais, se reprenant, dans un éclair de lucidité, il s’est aussi demandé, devant le journaliste qui l’interviewait, «comment créer des emplois alors qu’il n’y a aucune intégration, aucune sous-traitance?».

Visiblement très courroucé par le succès de Renault Tanger Maroc, Tebboune avait fait mine d’ignorer que la concrétisation d’une stratégie industrielle automobile est une œuvre de longue haleine.

Le nouveau ministre de l’Industrie, Mohamed Bacha, est aujourd’hui bien obligé d’écouter la voix de la raison, celle des opérateurs de cette branche de l’industrie, aujourd’hui à l’arrêt dans le pays. Il doit aussi, et surtout, permettre rapidement aux concessionnaires de pouvoir importer des voitures neuves, afin d’alimenter le marché algérien en véhicules.

En effet, les tergiversations de son prédécesseur, et les interdictions de l’importation de véhicules neufs et d’occasion, qui empêchent les Algériens d’avoir la possibilité d’acquérir un véhicule neuf, lui ont coûté son poste, lors du dernier remaniement du gouvernement algérien. Mohamed Bacha le sait bien, il est lui aussi assis sur un siège éjectable. Et vu la situation que plus désespérée, il lui faudra s’accrocher.

Par Moussa Diop
Le 14/03/2021 à 14h22, mis à jour le 15/03/2021 à 05h47