Algérie: les transferts de la diaspora sont insuffisants selon le Premier ministre, la réalité est ailleurs…

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Le 09/11/2021 à 16h38, mis à jour le 09/11/2021 à 16h42

L’Algérie souhaite voir sa diaspora contribuer davantage à sa sortie de crise en transférant plus de fonds, à l’instar des migrants marocains, égyptiens et tunisiens. Toutefois, le Premier ministre omet d'expliquer que le montant officiel des transferts des migrants algériens est biaisé.

La diaspora algérienne est l’une des plus importantes du Maghreb et d’Afrique au niveau européen. La France à elle seule abrite plus de 2,6 millions de personnes d'origine algérienne, dont 846.000 immigrés stricto sensu.

Toutefois cette importance de la communauté algérienne transnationale ne se reflète pas au niveau des transferts officiels de fonds des migrants vers leur pays d’origine. Ainsi, selon le Premier ministre et ministre des Finances Aimene Benabderrahmane, «l’Algérie bénéficie seulement de 1,7 milliard de dollars par an», de transfert en devises de la part de sa diaspora.

A titre de comparaison, les Egyptiens, Marocains et Tunisiens ont transféré en 2020 des montants respectifs de 29,6 milliards de dollars, 7,4 milliards et 2,1 milliards. Et au niveau du continent africain, l’Algérie s’est positionnée au 9e rang continental, en 2020, devancé, en plus de l’Egypte, du Maroc et de la Tunisie, par le Nigéria (17,2 milliards de dollars), le Ghana (3,6 milliards), le Kenya (3,1 milliards), le Sénégal (2,6 milliards) et la RDC (1,9 milliard).

Le Premier ministre et argentier algérien a donc raison de souligner la faiblesse des transferts de la diaspora, l’une des plus importantes du continent au niveau européen, d’où viennent l’essentiel des migrants qui transfèrent des fonds à destination de l’Afrique. Et si le Premier ministre n’a pas comparé le montant transféré par les Algériens à ceux des pays voisins immédiats, Maroc et Tunisie, tout le monde a compris qu’il a en ligne de mire les importants transferts d’argent effectués par la diaspora marocaine vers le Royaume (3e transfert de fonds du continent derrière l’Egypte et le Nigéria). Des fonds qui jouent un rôle important au niveau des avoirs en devises, de la balance des opérations courantes et qui ont un impact socio-économique très important.

Et ce que le Premier ministre n’a pas dit non plus, c’est que le chiffre qu’il a annoncé est loin de refléter la réalité. Plusieurs facteurs expliquent cette situation, la plus fondamentale étant celle liée au marché de change en Algérie.

En effet, le gap entre le taux de change officiel et celui du marché parallèle est tel que les Algériens de la diaspora préfèrent ne pas recourir aux services offerts par les banques classiques et les réseaux de transfert d’argent. Ils apportent leurs devises dans leurs valises ou via d’autres canaux pour les échanger au niveau du marché parallèle, notamment au Square Port Said et ainsi réaliser d’importants gains en dinars.

Si actuellement 1 euro s’échange contre 159 dinars au niveau des cotations officielles de la Banque d’Algérie, sur le marché parallèle 1 euro s’échange contre 218 dinars. Idem pour le dollar qui s’échange contre 137,55 dinars sur le marché officiel alors que le même dollar vaut 190 dinars via les canaux informels. Conséquence, avec de tels écarts valeurs, les migrants algériens préfèrent logiquement passer par ce marché parallèle plutôt que par les banques et les sociétés de transferts d’argent. Ces montants se retrouvent donc au niveau du Square Port Saïd devenu le véritable marché de change des devises en Algérie.

A titre de comparaison, au Maroc comme en Tunisie, le marché parallèle est quasi inexistant. Dans le Royaume, c’est presque le même taux qui est appliqué aussi bien au niveau de Bank Al Maghrib, des banques commerciales et des agences de change.

Conséquence, pour ces deux pays maghrébins, les migrants recourent aux services financiers plus sécurisant des banques et sociétés spécialisées, contrairement à ceux d'Algérie.

A ce propos, une étude du Fonds monétaire international (FMI) de 2018 a été consacrée à l’analyse du marché des changes parallèle en Algérie. Selon celle-ci, la prime appliquée sur le marché parallèle, beaucoup plus importante par rapport au taux de change officiel, poussent les Algériens à emprunter ce canal, expliquant que l’offre de devises sur ce marché parallèle provient, pour la majeure partie, du rapatriement des retraites d’anciens expatriés algériens et des transferts de fonds de la diaspora qui échappent au secteur bancaire.

La diaspora algérienne transfère donc beaucoup plus de fonds que le chiffre annoncé par Aimene Benabderrahmane, mais en choisissant les voies parallèles qui servent aussi, malheureusement, aux fuites de capitaux. «L’existence du marché parallèle complique la gestion macroéconomique car elle alimente les anticipations inflationnistes, fausse la formation des prix et affaiblit les canaux de transmission de la politique monétaire», souligne le FMI.

En clair, le chiffre sur les transferts des Algériens est très sous-estimé et biaisé par la prédominance du marché parallèle qui bénéficie de la bénédiction des autorités et de certaines personnalités qui tirent grandement profit du différentiel entre le taux de change officiel et celui pratiqué au niveau du Square Port-Saïd. 

Une situation qui s’explique par le régime de change qui est appelé à évoluer et des réformes à mener afin de permettre l’ouverture de bureaux de change qui pourraient réduire l’emprise du marché parallèle.

De plus, le secteur bancaire algérien demeure faiblement développé, comparativement à ceux du Maroc et de la Tunisie qui bénéficient de présences bancaires plus étendues à l’international. Ainsi, en Algérie, il ne joue pas vraiment son rôle de drainage des fonds de la diaspora vers le pays.

En outre, il y a une perte de confiance entre une partie de la diaspora et l’Algérie à cause du système qui dirige le pays et qui ne lui inspire pas confiance. La diaspora ayant fortement soutenu le mouvement de contestation populaire pour l’avènement d’un nouveau système politique. D’ailleurs, conscient de ce problème, le Premier ministre a aussi justifié la faiblesse des transferts de la diaspora en soulignant que «pour participer de manière volontaire et organisée à l’édification de la nation», la diaspora «a besoin de reprendre confiance». Or, sans un changement véritable du régime en Algérie, la confiance ne se rétablira pas de si tôt.

Par Karim Zeidane
Le 09/11/2021 à 16h38, mis à jour le 09/11/2021 à 16h42