Algérie: Saâdani porte de graves accusations contre Ouyahia et parle d'un "'Etat profond"

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Le 26/03/2019 à 11h34, mis à jour le 26/03/2019 à 11h36

Dans cette ambiance de fin de régime, les caciques qui cherchent à sauver leur peau semblent se savonner mutuellement la pente. Amar Saâdani est ainsi entré dans la danse et cible l'ex-Premier ministre Ahmed Ouyahia, qu'il accuse d'être l'auteur des lettres aux Algériens, attribuées à Bouteflika.

Dans une interview accordée à Tout sur l'Algérie, et diffusée hier lundi 25 mars, Amar Saâdani, ex-président de l'Assemblée nationale populaire et ancien secrétaire général du Front de libération nationale (FLN), le parti de Bouteflika, s'en est pris à Ahmed Ouyahia, qui était encore Premier ministre au début de la vague de manifestations. 

"C’est Ouyahia qui a écrit les lettres (du président) avec son secrétaire", a-t-il dénoncé, faisant ainsi allusion à l'ensemble des lettres qu'on attribue à Bouteflika.

Il s'agit des correspondances par lesquelles des actes de gouvernance ont été posés tout au long de ces années, au point que les Algériens ont qualifié leur chef d'Etat de "président par correspondance".

Saâdani va encore plus loin en déclarant que "c’est lui (Ouyahia, Ndlr) qui se charge de l’envoi du parapheur et de son retour. Il décide comme il l’entend, nomme, met fin aux fonctions, fait la promotion. Ce n’est donc pas le président qui est responsable".

Et d'ajouter: "le président est kidnappé, on ne le voit pas. On fait faire au président des choses qu’il n’accepte pas lui-même. Ils disent que le président a envoyé une lettre alors qu’il ne peut pas écrie, a désigné des responsables, alors qu’il ne peut pas le faire. Les lettres sortaient de chez Ahmed Ouyahia, signées par lui. Il les faisait entrer à la Présidence pour les faire sortir ensuite". 

Il faut dire que tout au long du dernier mandat, Ouyahia a été au coeur du pouvoir qu'il a exercé avec Bouteflika.

De 2014 à 2017, il a en effet été le directeur du cabinet présidentiel, avant d'occuper le poste de Premier ministre à partir d'août 2017, pour la quatrième fois de sa carrière.

Son parti, le Rassemblement national démocratique (RND) a été l'allié du FLN durant tout le long des 20 années que Bouteflika a exercées à la tête de l'Algérie. 

Pourtant, l'intensification des manifestations dans les rues algériennes les a poussés, son parti et lui, à se désolidariser de la gestion et du bilan de Bouteflika.

Ainsi, Ouyahia, qui a démissionné le 12 mars dernier, soit une vingtaine de jours après le début des manifestations, a clairement demandé, deux jours plus tard, à Chihab Seddik, secrétaire général de son parti, le RND, de porter publiquement des accusations à l'encontre de l'entourage de Bouteflika, avec des insinuations envers beaucoup de détenteurs illégaux du pouvoir. 

Seddik avait alors parlé de "forces non constitutionnelles" qui dirigent l'Algérie depuis 5, voire 7 ans. "Il y a des forces qui sont gênées par les partis. Il s’agit de forces non structurées. Des forces non-constitutionnelles, non organisées, etc. Elles sont partout. L’Algérie a été dirigée par ces forces durant au moins ces cinq, six ou sept dernières années", avait-il alors dénoncé, voici tout juste une semaine. 

En remettant cette sortie de Amar Saâdani dans ce contexte, on devine qu'il confirme l'existence de forces non-constitutionnelles, cependant il accuse clairement Ahmed Ouyahia d'en faire partie, et même d'être au coeur de ce système occulte qui a dirigé le pays.

Saâdani affirme également qu'il y a un "Etat profond" qui a usurpé le pouvoir pour l'exercer à la place de Bouteflika.

Une manière pour lui de disculper l'armée, puisqu'il affirme que cet "Etat profond" manigance contre la "présidence de la République, le ministère de la Défense et le FLN".

Selon lui, "dès que le chef d’état-major de l’ANP [l'Armée Nationale Populaire, Ndlr], le général de corps d’armée Ahmed Gaid Salah a pris la parole, ils ont commencé à crier en disant qu’il est contre les manifestants. Gaid Salah a pourtant dit que l’armée rest[ait] aux côtés de la population mais contre les infiltrés, les chargés de mission. Ils ont alors réagi en prétendant que Gaid Salah était contre le peuple". 

L'autre affirmation importante à retenir de son interview est que Bouteflika n'a pas l'intention de rester au pouvoir au-delà du 28 avril.

Evidemment, cette information de la plus haite importance n'avait pas été clairement dite dans la lettre attribuée à Bouteflika, par laquelle il renonçait à se présenter candidat à un cinquième mandat, car il était en effet question d'un prolongement du mandat actuel, le temps qu'une conférence nationale soit organisée pour réviser la constitution et organiser l'élection présidentielle.

Certains avaient même pris le risque de parler de l'été 2020, ce qui donnerait à Bouteflika pratiquement un an et demi après le terme légal de son mandat. 

Après les avoir disculpés, Saâdani ne s'est pas privé de jeter des fleurs à l'armée, et à Ahmed Gaïd Salah, qu'il qualifie de républicain.

"Le chef de l’état-major de l’ANP aurait pu écarter le président de la République en cinq minutes. Il ne l’a pas fait parce que l’armée est une institution républicaine qui va laisser le président terminer sa mission comme cela est prévu dans la Constitution", a-t-il dit. 

Concernant la succession de Bouteflika, Saâdani a aussi sa petite idée et son choix se porte sur l'ancien Premier ministre Mouloud Hamrouche, qui est fils de Chahid (soit de "martyr" durant la libération de l'Algérie), et qui a déjà eu à occuper, par le passé, de hautes responsabilités. 

Par Mar Bassine Ndiaye
Le 26/03/2019 à 11h34, mis à jour le 26/03/2019 à 11h36