Algérie: un premier pas posé pour l'abandon du français au profit de l'anglais

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Le 24/07/2019 à 19h11, mis à jour le 24/07/2019 à 19h13

Cette semaine, le ministre algérien de l'Enseignement supérieur a demandé aux universités de ne plus utiliser le français dans l'entête des documents officiels et des correspondances. C'est la première décision concrète d'un projet qui vise à faire de l'anglais la première langue étrangère.

Le gouvernement de Noureddine Bedoui cherche par tous les moyens à marquer de son empreinte, son passage qui devrait être bref, mais qui joue les prolongations depuis quelques semaines. 

L'un des moyens pour y arriver est d'introduire une réforme polémique consistant à enseigner l'anglais à la place du français, comme première langue étrangère, voire comme principal outil de diffusion des sciences. 

Alors qu'il avait jusqu'ici lancé des ballons d'essai pour justifier sa préférence de l'anglais vis-à-vis du français, en début de semaine, le ministre de l'enseignement supérieur, Tayeb Bouzid, a franchi le Rubicon. Il a, dans une lettre circulaire, demandé à l'ensemble des recteurs des universités du pays de ne plus utiliser que l'arabe et l'anglais dans les entêtes des correspondances et écrits officiels.

L'objectif, selon lui est, d'avoir "une meilleure visibilité (à l'international, Ndlr) des activités académiques et scientifiques". Selon lui, une publication en anglais peut facilement être consultée par 200 à 300 millions de personnes sur internet. "Alors que, qui vient voir une publication en français? Personne."

Auparavant, le 8 juillet, il affirmait "mettre en place les mécanismes nécessaires dans le cadre des commissions pédagogiques des universités et consolider l'utilisation de l'anglais dans la recherche". Il affirmait que "la langue anglaise est la langue des filières internationales et celles des revues scientifiques". "Le français ne vous mène nulle part!", tonne-t-il.

Si le débat sur le remplacement du français par l'anglais ne date pas d'aujourd'hui, c'est la première fois qu'une décision officielle est prise et elle pourrait être suivie par d'autres, puisque le régime algérien veut résolument se tourner vers cette langue de business et de science.

En effet, en 2010, un autre ministre de l'Enseignement supérieur avait affirmé travailler sérieusement sur l'introduction de l'anglais à la place du français dans les universités. Mais, neuf ans se sont écoulés depuis et rien n'a été réellement fait.

Cette fois, les choses s'accélèrent, puisque d'autres membres du gouvernement ont emboîté le pas à Tayeb Bouzid. Ainsi, "le ministre du Travail, Tidjani Haddam Hassen, qui espère voir l'anglais remplacer le français, annonce que ses services vont se mettre à la traduction des documents en langue anglaise et que l'école de la sécurité sociale va l'adopter dès la prochaine rentrée", selon le quotidien El Watan.

Evidemment, en Algérie, les intellectuels de tous bords refusent qu'on les entraîne dans de l'amateurisme. "Encore une diversion: c'est une idéologisation inutile de la part de ceux qui ne maîtrisent aucune langue sauf celle de la force et de l'excès de zèle. Ayez un peu de décence", écrit le professeur en sciences de la communication, Redouane Boujemaâ.

Alors que l'écrivain et chroniqueur du New York Times Kamel Daoud dénonce un projet hasardeux non basé sur une démarche scientifique. "On ne joue pas avec l'avenir de nos enfants avec tant d'inconscience et d'amateurisme. On tue ce pays. Ce ministre est un criminel si cette information s'avère. C'est un massacre qui s'annonce sur la base d'un sondage Facebook et d'un caprice populiste. Peut-on être aussi médiocre et haineux?"

Pour sa part, le Centre d'étude et de réflexion sur le monde francophone (CERMF) met en garde sur la perte d'influence qu'une telle décision créera vis-à-vis des pays auxquels l'Algérie est historiquement liée, notamment ceux du Maghreb et d'Afrique subsaharienne. Selon le CERMF, l'objectif de l'Algérie de se rapprocher des pays arabes du Moyen-Orient et de leur mentor américain risque de pas être atteint, alors que ce projet éloignera le pays de sa Diaspora résidant dans les pays comme la France ou la Belgique.

Pourtant, il pourrait s'agir d'un excellent projet pour l'Algérie, si l'on voit qu'il a bien réussi au Rwanda, l'unique pays autrefois francophone qui est parvenu à faire de l'anglais sa première langue étrangère, devant le français.

Par Mar Bassine Ndiaye
Le 24/07/2019 à 19h11, mis à jour le 24/07/2019 à 19h13