Algérie: 10 mois de révolution, toujours pas le bout du tunnel

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Le 17/12/2019 à 07h39, mis à jour le 17/12/2019 à 07h43

La révolution algérienne débouchera-t-elle sur une vraie démocratie ou bien le système a-t-il définitivement réussi à confisquer le pouvoir? Contrairement à ce qui s'est passé lors du printemps arabe, les Algériens ont été ignorés par les grandes puissances.

Voilà pratiquement dix mois que les Algériens sont, chaque semaine, dans la rue pour réclamer un changement en profondeur du régime en place. Mais ils n'ont obtenu jusqu'ici que de très maigres résultats. Le système a même fait preuve d'une formidable capacité d'adaptation pour se maintenir au pouvoir, réussissant à changer quelques pièces, tout en maintenant l'ensemble.

Le premier élément significatif du système qui a sauté est Abdelaziz Bouteflika, démissionné le 1er avril 2019, dès le premier mois de contestation populaire. Le régime vient de lui trouver un remplaçant, en la personne de Abdelmadjid Tebboune, l'un de ses ex-ministres et même ex-Premier ministres (mai-août 2017).

Ce qui n'est pas le meilleur choix incarnant le changement que réclament les millions de manifestants chaque vendredi et mardi depuis le 22 février dernier. Son élection est des plus controversées. Moins de 4 électeurs sur 10 y ont pris part. Le pouvoir en place aura beau évoquer que son score est de 58,2% des votants, il sait que cela ne correspond qu'à moins de 5,6 millions d'Algériens, dans un pays qui en compte 43 millions.

Malgré cette élection dont il est difficile de défendre la légitimité, malgré l'insistance du peuple algérien, la récente succession des évènements laisse penser que le régime campera sur sa position.

La question qui se pose est de savoir si la contestation populaire pourra obtenir gain de cause, comme ce fut le cas en Tunisie, en Libye ou en Egypte.

En réalité, le peuple algérien a été laissé à son triste sort par ceux qui étaient censés lui apporter leur soutien. En 10 mois, les manifestants n'ont eu de la part des diplomates étrangers que des déclarations appelant à la retenue ou à respecter la volonté du peuple.

Ainsi, en juillet dernier, l'ambassadeur des Etats-Unis à Alger, Jean Desrocher, a tenu ce genre de déclaration, lors d'une réception en l'honneur des représentants de 52 firmes américaines présentes à la Foire internationale d'Alger. "Le peuple algérien -et en particulier la jeunesse algérienne- est inspirant, passionné et déterminé à tracer son propre chemin. Les Etats-Unis sont à leurs côtés pour les aider à réaliser leurs objectifs et leurs aspirations", a-t-il dit.

En général, dès qu'il s'est agit des anciennes colonies françaises ou des pays du sud de la Méditerranée, les Etats-Unis restent en retrait, sauf pour apporter leur soutien à une initiative européenne. Cela a été le cas en Libye, en 2011, par exemple. L'initiative était venue du président français Nicolas Sakozy et du Premier ministre britannique David Cameron, qui ont mis en branle la machine de l'Otan, obtenant dans la foulée une résolution des Nations Unies. Après cela, les choses sont allées très vite: Kadhafi sera tué et le pays va sombrer dans le chaos.

Pour les cas égyptien ou tunisien, même si on est loin de l'intervention militaire, il y a d’abord eu la prise de position engagée de la société civile, avant qu’ensuite, l'appui au printemps arabe ne prenne une forme plus diplomatique.

On se souvient d’un Bernard Henri-Levy alias BHL, avec sa chemise blanche immaculée, se mêlant à la foule de la place Tahrir au Caire. Auparavant, il avait également pris position sur la révolution tunisienne, même si beaucoup estiment qu’il n’a l’avait fait que tardivement.

Quelques jours après la chute de Ben Ali et un peu avant le départ de Moubarak, il écrivait sur son blog : "Bien sûr, il y a des points communs entre la révolution du jasmin en Tunisie et la révolte, aujourd’hui, de l’Egypte. Le despotisme de Moubarak au moins aussi abject que celui de Ben Ali. Le même mur de la peur qui tombe, les cent fleurs d’une liberté de parole tout aussi inédite et qui s’épanouissent un peu partout ne-disait-on pas, en Egypte, que le seul endroit où l’on avait le droit d’ouvrir la bouche, c’était chez le dentiste ?".

Et pour le cas libyen, son discours anti-Kadhafi a été pour beaucoup dans la décision de Sarkozy. Il ne s’arrêtera pas là, puisque, quand le conflit syrien se déclenchera, c’est également lui que l’on verra demander aux puissances occidentales de venir en aide à un peuple opprimé.

Concernant l’Algérie, étonnamment, BHL ne dira rien. Sept ans plus tôt, pourtant, dans une vidéo encore en circulation sur les réseaux sociaux, il appelait de tous ses vœux "à un printemps algérien" à l’image de ce qui s’était passé en Tunisie.

"Lorsque l’Algérie se décidera comme la France, à penser son passé, elle sera mûre pour cet événement que j’appelle de tous mes vœux, qui est le vrai avenir de la révolution algérienne, qui est la vraie suite de cette guerre d’indépendance juste que vous avez menée et qui sera la victoire de la démocratie et qui sera le printemps algérien".

Mais, quand ce peuple s’est vraiment décidé à prendre son destin en main, le philosophe s’est fait plutôt discret.

Au niveau international, certes le Parlement européen a adopté une résolution condamnant la répression et l’emprisonnement des manifestants et appelant la représentation de l’Union européenne à soutenir les victimes du régime. Cependant, l’exécutif de l’Union n’a pas suivi cette résolution courageuse.

Des pays comme la France, l’Espagne et l’Italie auraient bloqué les initiatives visant à rappeler à l’ordre le gouvernement algérien. Les déclarations de bonnes intentions n’ont jamais été suivies d’actions concrètes. L’Espagne a même montré son soutien pour l’élection qui a permis de choisir Abdelmadjid Tebboune.

Les raisons qui ont motivé une telle prise de position sont au moins au nombre de trois. D’abord, l’Algérie fournit à ce pays 50% de son gaz. Ensuite, l’expérience libyenne a montré qu’une révolution pouvait échapper facilement au peuple et avoir des conséquences désastreuses sur le plan sécuritaire et sur celui de l’émigration. En effet, c’est à cause de la Libye que le Mali, le Burkina Faso et le Niger sont devenus un bourbier sur le plan sécuritaire. De même, n’eut été l’intervention de l’Otan, la crise migratoire n’aurait jamais atteint le niveau actuel.

Par Mar Bassine Ndiaye
Le 17/12/2019 à 07h39, mis à jour le 17/12/2019 à 07h43