Référendum constitutionnel en Algérie: comment le régime musèle les voix discordantes qui appellent au «Non»

Lancement de la campagne pour le référendum constitutionnel.

Lancement de la campagne pour le référendum constitutionnel.. DR

Le 07/10/2020 à 14h09, mis à jour le 08/10/2020 à 17h06

En vue de la révision de la constitution algérienne, une campagne prévue sur vingt jours débute à partir de ce 7 octobre, pour un référendum le 1er novembre prochain. Le régime, qui craint un échec, fait tout pour museler les partis et les membres de la société civile opposés à cette réforme.

Initiée par le président Abdelmadjid Tebboune, le vote en vue d'une réforme constitutionnelle aura lieu le 1er novembre prochain. La campagne référendaire a débuté ce mercredi 7 octobre et se poursuivra jusqu’au 27 octobre. Une période que le régime algérien compte mettre à profit pour faire adhérer le maximum d’Algériens à cette réforme, qui entraîne pourtant bien des critiques, aussi bien à cause de ses objectifs que de son contenu.

En effet, la révision de la constitution a eu lieu dans le contexte de la pandémie du Covid-19, et de répression visant les opposants politiques, les journalistes, et les militants du Hirak, en l'absence de concertations entre les forces vives algériennes. De plus, au lieu de réduire les pouvoirs du président pour éviter les erreurs du passé, cette nouvelle mouture concentre des pouvoirs importants entre les mains du président. L'avocat et présidente de l'Union pour le changement et le progrès (UCP), Zoubida Assoul, a même accusé le président algérien de s'être accordé d'un pouvoir "pharaonique" avec cette nouvelle constitution. 

D’où un rejet du projet de révision de la constitution par les Algériens. C’est même là un échec cuisant que craint le régime, qui entend mettre de son côté toutes les chances pour que le «Oui» l'emporte, et que la nouvelle constitution soit promulguée, y compris, et surtout, en muselant les opposants lors de cette campagne référendaire.

Intervenant dans un cadre politique marqué par le mouvement de contestation populaire, le «Hirak», mis en veilleuse aussi bien par la pandémie du coronavirus que par la volonté des autorités algériennes, et qui commence malgré tout à se réveiller, le régime algérien tente par tous les moyens de museler les forces politiques et la société civile qui s'opposent à ce référendum.

C'est la raison pour laquelle l’Autorité nationale indépendante des élections (ANIE) a édicté des mesures politiques et techniques visant à encadrer le déroulement de la campagne. Celles-ci obligent ainsi les partis politiques, les associations et les personnalités désireuses de s’impliquer de de lui adresser préalablement leur programme de campagne, en explicitant les formats du meeting prévu, les identités des intervenants, le contenu des interventions…

Cette décision illustre la volonté de l’ANIE de contrôler la campagne référendaire et d’éviter tout discours discordant. Une situation qui a irrité même des partis qui soutiennent le pouvoir, dont le FLN, longtemps parti unique dans le paysage politique du pays. 

Mais ces tentatives de musèlement ne visent pas les partis dont les soutiens au référendum sont acquis. Ce sont, en fait, ceux qui appellent au boycott ou à voter «Non» qui sont ciblés par ces mesures édictées par l’ANIE.

Le régime, via l’ANIE, essaie ainsi de réduire au silence ces voix discordantes, à savoir les partis politiques et les organisations de la société civile opposés à ce référendum.

Outre le fait que ceux qui s’opposent au référendum n’ont pas accès aux médias pour défendre leur position, le régime est monté d'un cran dans cette politique répressive, afin de museler encore plus les partis politiques qui ont osé appeler les Algériens à voter «Non».

Le gouvernement ne lésine pas sur les moyens et a recours à de vieilles pratiques que certains algériens croyaient révolues, pour museler les partis politiques et les opposants à cette réforme constitutionnelle.

Ainsi, en ce qui concerne les partis politiques, plusieurs actions ont été entreprises à leur encontre, visant particulièrement à les discréditer et à les diviser, en créant la zizanie entre leurs membres. Ainsi, après le rejet de la réforme de la constitution par le Parti du Travailleurs (PT), ce parti traverse une vague massive de démissions, orchestrées par le régime.

Pour sa part, le Mouvement de la société pour la paix (MSP) qui compte 33 sièges au Parlement, un parti proche des Frères musulmans, qui a lui aussi appelé à voter «Non», subit également des tentatives de division du régime, qui n’a pas trouvé mieux pour diviser ce parti que de nommer El Hachemi Djaaboud, membre du Majliss Echoura du MSP, au poste de ministre du Travail et de la sécurité sociale... Sans avoir obtenu l’aval de son parti, créant ainsi la zizanie parmi ses leaders, et la suspension du concerné des instances de ce parti islamiste.

Quant au Rassemblement pour la Culture et la Démocratie (RCD, parti qui se définit comme étant laïc) qui a expliqué que la date du 1er novembre symbolisait «la fuite en avant d’un commandement militaire qui croit pour régenter le pays comme avant févier 2019», son premier responsable, Mohcine Bellabbas, qui avait osé demander aux Algériens de voter «Non» au référendum se trouve, depuis, dans la tourmente.

Immédiatement après avoir exprimé devant les médias sa position sur le référendum, la justice algérienne a demandé la levée de son immunité parlementaire, et les autorités ont interdit la réunion du Conseil national de son parti.

Actuellement, tous les partis dont les dirigeants ont osé demandé aux Algériens de voter «Non» à la réforme constitutionnelle se retrouvent traversés par des problèmes internes. Une manière de rappeler à leurs dirigeants que le pouvoir veille, voire les surveille. 

A travers ces intimidations, le régime tente de museler avec énergie les partis politiques s'opposent à la visée recherchée: l'adoption de la réforme constitutionnelle, telle qu'elle a été voulue.

Le silence est tel que les partisans du rejet du référendum, qui appellent les Algériens à le boycotter, se retrouvent privés de leur droit d’accéder aux médias ou de défendre leurs idées à travers la publication de tribunes. 

Quant aux figures du mouvement populaire de protestation du Hirak et aux journalistes, le régime a pris la décision de mettre certains d'entre eux en prison, en attendant la fin du référendum, alors que les intimidatons sont quotidiennnes pour les autres, avec une multiplication de convocations de journalistes et de membres du mouvement populaire par la justice.

En très clair, la seule voix audible en Algérie sera celle qui appelle à voter «Oui» à ce référendum. Un drôle de «changement de système», qu'incarne Abdelmadjib Tebboune. 

Par Moussa Diop
Le 07/10/2020 à 14h09, mis à jour le 08/10/2020 à 17h06