Vaccins anti-Covid-19: en Algérie, les dignitaires du régime se servent avant le peuple

Abdelkader Bengrina, ancien candidat à la présidentielle algérienne de 2019.

Abdelkader Bengrina, ancien candidat à la présidentielle algérienne de 2019. . DR

Le 04/03/2021 à 13h49, mis à jour le 04/03/2021 à 13h52

L'éditorialiste du quotidien "El Watan" dénonce une situation grave, mais tellement banale en Algérie, qui consiste pour les dignitaires à s'arroger tous les droits sur le peuple, y compris en accaparant, en toute impunité, les maigres doses de vaccins dont le pays dispose.

Au lieu de servir le peuple, les caciques du régime algérien se servent eux-mêmes, en premier lieu. Ce qui devrait être un bien commun est souvent considéré comme la propriété privée des dignitaires. L'Algérie est le pays où "les passe-droits, le larbinisme" sont toujours de mise "pour bénéficier de privilèges indus, pour s’élever dans les hiérarchies sans en avoir les compétences", dénonce Tayeb Belguiche l'éditorialiste d'El Watan.

Cette diatribe est l'occasion pour l'éditorialiste de pointer du doigt un acte grave, perpétré par un groupe qui se croit au-dessus de l'Algérien, avec la complicité du gouvernement, premier responsable de l'organisation de la campagne de vaccination. Il déplore au passage l'échec concernant les changements promis au Hirak.

Selon lui, "les comportements indécents, voire provocateurs ont été constatés ces temps-ci en matière de vaccination". En effet, "des responsables de l’ONM (Office national des moudjahidines, ndlr) se sont fait vacciner". Cette organisation de gérontocrates n'est dirigée que par des personnes âgées de plus de 70 ans. Leur vaccination pourrait se comprendre, même si leur âge, seul, ne suffit pas à les faire entrer dans la catégorie des personnes cibles.

"Mais que dire de ces députés et sénateurs qui, toute honte bue, ont osé se précipiter pour recevoir la précieuse dose". Une situation inacceptable puisqu'il s'agit, ni plus ni moins, de doses vaccins en moins pour le corps médical qui est en première ligne dans la lutte contre la pandémie et qui a déjà payé un très lourd tribut.

L'Algérie reste, après l'Afrique du Sud, le pays africain ayant enregistré le plus de décès dans le corps médical avec 121 membres ayant perdu la vie. C'était donc eux qu'il fallait protéger avant d'immuniser députés et sénateurs contre le virus du Covid-19. D'autant que dans le corps médical algérien, il y a également des personnes de plus de 70 ans, souvent de précieux professeurs qui forment la nouvelle génération. Eux n'ont pas vu la couleur des vaccins, comme beaucoup ont eu à le dénoncer. "Même nos 'chibanis' n’ont reçu aucun égard, aucun respect pour leur âge", se désole El Watan qui qualifie cet acte d'indécence.

Il s'agit en réalité d'une nouvelle trahison de l'idéal de la guerre d'indépendance algérienne d'instaurer "la justice et l’égalité des chances pour tous afin d’effacer les méfaits du colonialisme sur le peuple", écrit toujours Tayeb Belguiche.

Les médecins apprécieront la forfaiture commise par Abdelkader Bengrina, le parlementaire qui fut candidat à la présidentielle de 2019, âgé de seulement 59 ans et qui n'a pas daigné attendre tranquillement son tour. C'est pour El Watan, un scandale. Mais, peut-être que Bengrina ne croit pas à la promesse faite par le gouvernement de mettre bientôt à la disposition des Algériens suffisamment de doses.

C'est avec cette certitude que le régime algérien ment quant à la disponibilité du vaccin qui pousse les apparatchiks à ne pas attendre leur tour, même si par ailleurs, ils sont connus pour être "dénués d’humanité, du sens des responsabilités, du respect pour les citoyens", regrette celui qui dresse ce constat.

Le fait est, malheureusement, que les dignitaires du régime n'ont rien appris des évènements en cours en Algérie depuis février 2019 et qui ont mené à la démission d'Abdelaziz Bouteflika. Sans doute, le fait que l'appareil militaire ait réussi à introniser Abdelmadjid Tebboune et que le Covid-19 ait freiné pendant une année l'élan du Hirak, leur a donné l'illusion qu'ils n'ont rien à craindre.

En tout cas, même si pour le moment, aucune sanction n'est tombée, des comportements similaires ont été dénoncés dans d'autres pays. "En Argentine, par exemple, les manifestants se sont agglutinés devant le Palais présidentiel pour protester contre les privilèges accordés à des membres du gouvernement, qui se sont fait vacciner en priorité. En Espagne, le chef d’état-major a démissionné lorsque les Espagnols l’ont dénoncé pour s’être servi parmi les premiers".

Pour les Algériens, cette attitude est sans doute une raison supplémentaire de maintenir la pression sur le régime grâce au Hirak qui a repris ses manifestations.

Par Mar Bassine Ndiaye
Le 04/03/2021 à 13h49, mis à jour le 04/03/2021 à 13h52