France-Algérie: une relation mouvementée 60 ans après les Accords d'Evian

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Le 21/02/2022 à 07h50, mis à jour le 21/02/2022 à 07h50

Le tumulte des mots et des mémoires : 60 ans après la fin de la guerre d'Algérie, la relation entre Paris et Alger, plutôt porteuse dans les décennies qui ont suivi l'indépendance, s'emballe régulièrement, prise au piège d'enjeux de politique intérieure.

«Globalement, en dépit des apparences et des critiques, on a eu une relation stable, très équilibrée au regard de la situation coloniale et post-coloniale», relève Luis Martinez, chercheur sur le Maghreb à Sciences Po Paris, alors que les deux pays s'apprêtent à commémorer sans effusion le 60e anniversaire du cessez-le-feu conclu à Evian le 18 mars 1962.

Le courant passe bien entre les nouveaux dirigeants algériens et le général de Gaulle, respecté pour avoir ouvert la voie à la décolonisation de l'Algérie, son successeur Georges Pompidou ou Francois Mitterrand, pourtant ministre de l'Intérieur au début de l'insurrection algérienne en 1954.

«Mitterrand était entouré de gens du Parti socialiste qui étaient tous pro-FLN. Il a su se mettre en retrait et apparaître comme l'homme des relations privilégiées avec ce pays», raconte Pierre Vermeren, professeur d'histoire à La Sorbonne, en référence aux insurgés algériens du Front de libération nationale (FLN).

A l'indépendance, la France est autorisée à poursuivre ses essais nucléaires dans le Sahara jusqu'en 1967. En secret, l'armée française y mènera aussi des essais chimiques jusqu'en 1978.

En 1992, François Mitterrand condamne la suspension du processus électoral en Algérie après la victoire des islamistes au premier tour des législatives. En riposte, Alger rappelle son ambassadeur pour consultation.

"Dans le secret"

Au sortir de la décennie noire de la guerre civile, en 2000, le nouveau président algérien Abdelaziz Bouteflika, pourtant très proche de la France, opte ouvertement pour un discours antifrançais.

«Pour reprendre en main le champ idéologique et politique après la guerre civile, ils vont oublier que la France les a aidés à combattre les islamistes et revenir à leur ennemi traditionnel», décrypte Pierre Vermeren.

L'association des anciens combattants, les idéologues du régime développent un discours de plus en plus virulent sur le "génocide" français durant la colonisation.

Vingt ans plus tard, après le coup de tonnerre du mouvement de protestation du Hirak, le pouvoir en place continue à fonder sa légitimité sur la guerre de libération.

Mais au-delà du discours officiel, en coulisses, la coopération entre les deux pays se poursuit.

En 2013, l'Algérie donne ainsi discrètement son feu vert au survol de son territoire par les avions militaires français engagés dans la lutte contre la jihadisme au Mali.

«Les relations franco-algériennes sont bonnes quand elles sont dans le secret. Elles sont plus heurtées quand c'est public», résume Naoufel Brahimi El Mili, auteur de "France-Algérie, 60 ans d'histoires secrètes

"

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Avec Emmanuel Macron, premier président français né après la guerre d'Algérie, tout commence sous les meilleurs auspices. En février 2017, alors candidat à la présidentielle, il marque les esprits en déclarant depuis Alger que la colonisation est un «crime contre l'humanité».

Une fois élu, Emmanuel Macron multiplie les gestes mémoriels autour de la guerre d'Algérie, avec l'ambition de réconcilier les deux peuples.

Mais il n'ira pas jusqu'à prononcer des excuses pour la colonisation, un sujet hautement sensible en France où le discours ultranationaliste ne cesse de gagner en audience, jetant un froid à Alger.

En septembre 2021, le chef de l'Etat finit de doucher les espoirs de rapprochement en reprochant au système "politico-militaire" algérien d'entretenir une "rente mémorielle" autour de la guerre d'indépendance et en suggérant que la "nation algérienne" n'existait pas avant la colonisation en 1830. En réaction, l'Algérie rappelle son ambassadeur.

"Il faut être deux"

La relation semble de nouveau reprendre de la hauteur à quelques semaines de la présidentielle française d'avril, dans laquelle sept millions de rapatriés, immigrés, harkis, appelés du contingent ou leurs descendants pèseront d'une manière ou d'une autre.

«L'Algérie vote Macron. Les Algériens sont convaincus qu'un Macron II sera plus audacieux», estime Naoufel Brahimi El Mili.

«Ils ne veulent pas de Valérie Pécresse avec un discours assez droitier. Ils ne veulent surtout pas de Zemmour ou de Marine Le Pen», les deux candidats de l'extrême-droite, renchérit l'ancien ambassadeur de France en Algérie, Xavier Driencourt, auteur de "L'Enigme algérienne".

Pour autant, tout reste à faire. L'Algérie n'a pas saisi la main tendue du président Macron sur le travail de mémoire.

La Chine est devenue son premier partenaire commercial. Elle s'est aussi rapprochée de la Turquie et a développé son partenariat militaire avec la Russie.

«La relation franco-algérienne repart de zéro. On remet à plat et on essaie de voir sur quoi on peut s'entendre», observe Luis Martinez.

L'ex-ambassadeur se montre plus circonspect encore. «Il faut être deux pour avoir une relation». Est-ce que l'Algérie le voudra après les élections? «Je ne suis pas très optimiste», esquisse Xavier Driencourt.

Par Le360 Afrique (avec AFP)
Le 21/02/2022 à 07h50, mis à jour le 21/02/2022 à 07h50