Algérie: un racisme anti-africain se banalise avec la complicité de l'Etat

A Béchar, Ouargla ou Déby Ibrahim, le sort des migrants est le même.

A Béchar, Ouargla ou Déby Ibrahim, le sort des migrants est le même. . DR

Le 07/12/2016 à 10h59, mis à jour le 07/12/2016 à 13h19

Depuis un an les actes de racisme se multiplient en Algérie à l'encontre les migrants. A Ouargla, 18 migrants ont été brûlés vifs dans un camp de concentration, puis sont survenus les événements de Béchar et de Tamanrasset, de Dély Brahim. La réponse l'Etat est toujours la même : l'expulsion.

Depuis un an, l'Algérie gère de manière calamiteuse la question de la migration. Les cas se suivent avec une déconcertante ressemblance. A la veille de l'organisation à Alger d'un forum africain d'investissements et d'affaires, pâle reproduction du forum d'Attijariwafa bank à Casablanca, l'Algérie a montré son vrai visage. D'abord, un banal incident dans un quartier a poussé les habitants à se ruer vers les migrants. Ensuite, l'Etat a organisé une énième rafle de honte.

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Et puis, en bouquet final, il y a les graves propos de Farouk Ksentini, président de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l’Homme, directement rattachée à la présidence de la République. Ce dernier a affirmé "nous sommes exposés au risque de propagation du Sida ainsi que d’autres maladies sexuellement transmissibles du fait de la présence de ces migrants". Quand dans l'entourage de Bouteflika, de tels propos sont tenus par celui-là même qui doit défendre les droits de l'Homme, c'est qu'il y a un vrai problème. 

Ouargla novembre 2015, 18 morts dans un camp

Les actes de racisme se multiplient, signale Leila Berrato, correspondant de Radio France Internationale (RFI) à Alger. Car, "le même phénomène de populations attaquant massivement des migrants s’est produit à Ouargla, à Bechar et Tamanrasset". De sorte qu’il est impossible désormais de parler d’actes isolés.

A Ouargla, au Sud, en novembre 2015, 18 migrants subsahariens sont morts brûlés vifs dans un incendie dont l’origine est qualifiée "d'accidentelle" dès le matin par les médias publics algériens alors que l’incendie a eu lieu à l’aube. L’enquête n’en dira pas plus. Toujours est-il que les autorités avaient officiellement parqué 600 migrants dans un hangar inadapté et dans des conditions de sécurité et de salubrité douteuses. La suite on la connaît : 18 morts et un ballet ministériel le lendemain pour "montrer toute l’affliction de l’Etat algérien".

Béchar, mars 2016: des centaines d'Algériens se ruent contre des migrants

A Béchar, au centre-ouest de l’Algérie, en mars de cette année, des populations s’en sont pris massivement à un squat de Subsahariens. Toujours au nom de la même accusation: "les Africains vendent de la drogue, s’adonnent à la prostitution et sont coutumiers d’ivresse publique". C’est ainsi qu'à Dély Brahim, un quartier d’Alger où se sont déroulés des affrontements fin novembre, les habitants sont convaincus que les Africains se livrent à un trafic de drogue. Il y aurait eu des morts liés à ce trafic, même si ni la police ni la gendarmerie algérienne ne peuvent relier ces faits à l’installation de migrants dans le quartier.

Banal bagarre, rumeur et embrasement

En réalité, comme toujours, c’est un banal événement entre un migrant africain et un Algérien qui réveille le relent raciste et la colère en sommeil dans un groupe de population. Ensuite, il suffit d’une rumeur pour servir à la fois de carburant et de combustible. Et puis, c’est forcément l’embrasement. Ainsi, à Ouargla on a fait courir "la rumeur d’une femme algérienne qui s’est fait agressée chez elle par un migrant", affirme Leila Berrato. A Béchar, "c’est une fille qui se serait fait violer".

L’Etat est absent quand les populations déversent leur haine sur des individus souvent sans défense. Quand l’Etat revient, ce n’est pas pour rendre justice, mais uniquement pour éteindre un incendie, ce qui se retourne malheureusement contre les victimes. Car éteindre un incendie veut dire éloigner la victime, lui interdire de circuler, et pour le cas des migrants, organiser une rafle et les jeter à 2000 km au Sud.

"Nous sommes racistes et le refusons"

"Il y a dans la société algérienne un potentiel de violence très fort, qui explose à la première occasion", affirme Abed Cheraf, journaliste algérien dans un débat organisé par Radio M. "Le degré de racisme profondément ancré est, à mon avis, très sous-estimé. On est beaucoup plus raciste que ce que l’on pense", ajoute-t-il. Après avoir vu l’une des vidéos montrant des noirs africains se faisant lyncher, il a posté un commentaire sur Twitter en utilisant le mot "pogrom", pour parler du lynchage. Beaucoup se sont attaqués à lui, au point qu’il a été obligé de changer son commentaire pour parler de "spiratona d’anti-noir". Tout ceci pour dire que "dans ce pays, on refuse totalement d’admettre ce racisme".

Mauvaise nouvelle pour les racistes: "dans les dix années à venir, l’Algérie devrait accueillir jusqu’à un million de migrants", estime-t-il, ajoutant qu’il s’agit "d’une tendance qu’il est impossible d’endiguer".

Le problème, c’est que l’Etat algérien s’en mêle et prend à partie ceux qui auraient dû être considérés comme des victimes. Or, les structures de l’Etat doivent être organisées de façon à tirer le meilleur de ces populations migrantes. Dans le cas contraire, l’Algérie est condamnée à en "subir le pire".

Or, l'Algérie a déjà choisi la voie du pire. Elle organise des rafles et évacue les migrants vers Tamanrasset à 2000 km au sud du pays, le temps de les expulser vers le seul pays avec lequel elle a un accord en la maitière, à savoir le Niger. 

Par Mar Bassine Ndiaye
Le 07/12/2016 à 10h59, mis à jour le 07/12/2016 à 13h19