Les arguments du Rwanda pour accueillir des migrants venus du Royaume-Uni

La secrétaire d'état britannique à l'Intérieur Priti Patel, à gauche et le ministre rwandais des Affaires étrangères Vincent Biruta, à droite, après l'annonce de l'accord entre les deux pays, lors d'une conférence de presse à Kigali le 14 avril 2022.

La secrétaire d'état britannique à l'Intérieur Priti Patel, à gauche et le ministre rwandais des Affaires étrangères Vincent Biruta, à droite, après l'annonce de l'accord entre les deux pays, lors d'une conférence de presse à Kigali le 14 avril 2022. . AP

Le 21/04/2022 à 11h49

L'accord controversé entre le Royaume-Uni et le Rwanda pour envoyer des migrants et des demandeurs d'asile dans ce pays a valu à Londres de nombreuses critiques, notamment de son opposition et de l'agence onusienne pour les réfugiés (HCR), qui veulent son abandon.

Mais peu a été dit des motivations du Rwanda, petit pays de 13 millions d'habitants de l'Afrique des Grands Lacs salué pour sa politique de développement et critiqué pour sa gestion des droits humains.

Voici quelques éléments sur les raisons qui ont pu pousser Kigali à signer cet accord et les défis auxquels le pays fera face :

- Pourquoi le Rwanda fait-il cela ?

Cet accord sera financé par Londres à hauteur d'environ 144 millions d'euros dans un premier temps, mais certains observateurs estiment que cet argent n'est pas la principale motivation du Rwanda.

Le président Paul Kagame a positionné son pays comme un allié des Occidentaux et un pompier face aux conflits en Afrique. Il a notamment envoyé des troupes au Mozambique l'année dernière pour y combattre une insurrection jihadiste.

Selon l'analyste et avocat rwandais Louis Gitinywa, le Rwanda entend affirmer ici son aura internationale tout en atténuant les critiques quant à sa gestion des droits.

"Le président Kagame entend utiliser cet accord comme une motion de confiance dans sa politique sur les droits humains", dit-il, affirmant que le chef de l'Etat, qui dirige le Rwanda d'une main de fer depuis le génocide de 1994, veut apparaître comme un "leader africain clé".

L'analyste estime que Kigali espère également "un soutien diplomatique du Royaume-Uni quand des résolutions contre le Rwanda (seront) soumises et discutées devant le Conseil de Sécurité de l'ONU."

- Quel sera l'impact sur la gestion des droits humains ?

En janvier 2021, le gouvernement anglais demandait à Kigali de se pencher sur "les restrictions continues aux droits civils et politiques et à la liberté de la presse".

La semaine dernière, le discours du Premier ministre Boris Johnson avait sensiblement changé, décrivant le Rwanda comme "un des pays les plus sûrs au monde, internationalement reconnu pour son accueil et son intégration des migrants".

Ce changement de discours laisse imaginer que Kigali espère influencer ainsi la perception à l'étranger de sa politique envers les dissidents, notamment ceux qui ont fui à l'étranger.

Mais selon Lewis Mudge, directeur Afrique centrale pour Human Rights Watch, "le Rwanda a maintes fois démontré combien il tient en piètre estime la protection qui doit être accordée aux réfugiés selon les lois internationales".

"Il existe des informations crédibles sur le fait que des agents rwandais ont mené des assassinats de réfugiés rwandais à l'étranger et de nombreux réfugiés ont peur du fait que le gouvernement rwandais ait le bras long, jusqu'en Europe, au Canada, en Australie", a-t-il souligné.

- Que pensent les Rwandais de cet accord ?

Les Rwandais se sont peu exprimés sur cet accord, excepté dans de rares cas pour le saluer, comme l'a fait Tom Mulisa, professeur de droit constitutionnel à l'Université du Rwanda.

"C'est une bonne chose que le Rwanda se soit positionné dans ce sens, comme un moyen de contribuer à résoudre la crise migratoire qui affecte le monde entier", a-t-il dit à l'AFP.

De son côté, le journaliste John Williams Ntwali fait partie des rares à le critiquer publiquement, estimant que l'accord viole "les droits des réfugiés et des demandeurs d'asile".

"Il s'agit d'un accord immoral qui force les gens à aller dans un pays qu'ils n'ont pas choisi", dit-il.

- Quels défis pour le Rwanda ?

Frank Habineza, président du Parti démocratique vert du Rwanda, affirme que l'accord n'est pas soutenable, soulignant que ce pays très dense connaît une forte compétition pour l'accès à la terre et à d'autres ressources.

"Prendre en charge des migrants du Royaume-Uni va augmenter les défis liés à la pression foncière et à la survie", a-t-il écrit dans un communiqué la semaine dernière.

La leader de l'opposition Victoire Ingabire, critique virulente de M. Kagame, a également souligné la pression économique à laquelle le pays fait face depuis la pandémie de Covid-19.

"Il n'est pas clair de savoir comment le Rwanda va soutenir les migrants relocalisés dans leur développement personnel et leur emploi", a-t-elle dit.

"Le gouvernement rwandais (devrait) se focaliser sur la résolution de ses problèmes politiques et sociaux internes qui transforment ses citoyens (...) en réfugiés dans d'autres pays", a-t-elle ajouté.

Le Rwanda a accueilli par le passé des migrants Africains bloqués en Libye dans le cadre d'un accord avec l'Union africaine et le HCR. L'année dernière, le pays avait offert l'asile à des Afghans fuyant l'arrivée des talibans au pouvoir.

Peu de détails ont été communiqué concernant cet accord, qui pourrait selon certains critiques au Royaume-Uni faire face à des défis légaux à même de forcer ses architectes à l'abandonner.

Par Le360 Afrique (avec AFP)
Le 21/04/2022 à 11h49