Cameroun-langue: le français à l'épreuve du "Camfranglais"

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Le 10/11/2018 à 09h58, mis à jour le 10/11/2018 à 10h00

La langue française reste bien implantée dans le pays. Cependant, elle fait face aux assauts des parler locaux, notamment le Camfranglais, très à la mode en milieu urbain.

Avec 300 millions de francophones dans le monde en 2018, la langue française connaît une progression de 9,6 % du nombre de ses locuteurs depuis la dernière mesure réalisée en 2014, selon le rapport 2018 sur la langue française dans le monde commis par l'Organisation internationale de la francophonie (OIF). D’après le document, 59 % des locuteurs quotidiens du français se trouvent désormais sur le continent africain. L'étude estime à 41% le pourcentage de francophones au Cameroun, où le français partage le statut de langue officielle avec l'anglais.

A la faveur d'un système éducatif bilingue (français-anglais), la langue française jouit ainsi du statut de langue d'enseignement. Le rapport estime qu'il y a 5 millions d’élèves et étudiants scolarisés en français au Cameroun. La langue française s'apprend également à travers des structures comme les Instituts français de Douala et Yaoundé, les deux grandes métropoles du pays. Aussi, fort de toutes ces données, il se dit que les Camerounais se targuent d'être les meilleurs locuteurs de français en Afrique subsaharienne. La rigueur et l'excellence des enseignements de langue diffusés dans le pays y seraient sans doute pour beaucoup.

Cependant, il est indéniable que ces dernières années, la langue française se trouve fortement concurrencée et influencée par un argot populaire, le Camfranglais. «Il désigne une manière particulière de s’exprimer, mais cette fois restreinte à la jeunesse urbaine francophone surtout qui entend faire valoir son identité camerounaise (cam) en synergie avec le français (fran) et l’anglais (anglais), qu’elle a reçue en héritage de la colonisation», indique Gisèle Piebop dans «Vitalité du français au Cameroun : emprunt et créativité». Un parler dont la diffusion est du reste favorisée par les artistes en vogue de hip-hop urbain et rappeurs locaux tels Mink's, Stanley Enow, Franco, Maahlox, Locko, etc.

Réalités socioculturelles

Le Camfranglais se nourrit du reste aussi du pidgin-english (argot mélangeant anglais et langues locales) et des près de 300 langues nationales que compte le pays. Et que dire lorsque même les Français s'y mêlent, à l'image du rappeur parisien Alex ? A la faveur de ses nombreux séjours touristiques et familiaux au Cameroun, il a enregistré des clips dont les punchlines en Camfranglais ont fait le buzz et suscité la curiosité autour de l'artiste sur Internet. Un véritable melting-pot ou une Babel linguistique qui peut parfois déconcerter les étrangers qui arrivent au Cameroun pour la première fois ou les puristes du français. Exemple : «Ma mater m’a tell qu’elle a buy ma nyanga ngope si à three kolo fap». Traduction : « Ma mère m’a dit qu’elle a acheté ma belle chaussure-ci à 3.500 F CFA».

Un parler très évolutif, compte tenu des dérivations qui entraînent la naissance de nouveaux mots. De quoi s'éloigner très vite du français originel et irriter les puristes de la langue. Pour d'aucuns en effet, cette façon de parler est propre aux «voyous» et pourrait être néfaste au niveau de langue des élèves et étudiants. Mais pour d'autres, ces emprunts traduisent la vitalité linguistique locale et démontrent que les Camerounais s’approprient le français, tout en essayant de rendre avec exactitude leurs réalités socioculturelles. Néanmoins, il vaudrait mieux éviter de parler le Camfranglais en milieu professionnel ou lors d'un entretien d'embauche, ce parler n'ayant pas encore su s'attirer la sympathie de tout le monde. Sur la question du Camfranglais, le débat est loin d'être clos.

Par Tricia Bell (Yaounde, correspondance)
Le 10/11/2018 à 09h58, mis à jour le 10/11/2018 à 10h00