Nigeria: le combat d'une jeunesse "sans leader" mais "unie" face aux violences policières

Protestations contre la police au Nigeria.

Protestations contre la police au Nigeria. . DR

Le 14/10/2020 à 10h59, mis à jour le 14/10/2020 à 11h04

Distribution d'imperméables et de vivres, envoi d'équipe médicale pour aider des blessés ou d'avocats pour faire libérer des manifestants arrêtés: sur les réseaux sociaux, la jeunesse nigériane s'organise pour intensifier son mouvement dans la rue et faire entendre sa voix.

"Sans leader" mais "connectés", des milliers de jeunes exigent depuis plus d'une semaine la fin des violences policières et augmentent la pression sur le gouvernement, avec le soutien d'influenceurs et de stars de la musique, jusqu'alors peu engagés politiquement.

Sur Twitter ou sur WhatsApp, ils se donnent rendez-vous chaque matin: "Rassemblement à King square à midi", "Rejoignez-nous au pont de Lekki", "Venez nombreux à Abuja", utilisant le hashtag #EndSARS, devenu ces derniers jours l'un des plus partagés au monde.

Leur objectif initial, faire tomber la SARS, une unité de police accusée depuis des années de racketter la population, d'arrestations illégales, de torture et même de meurtre.

Face à la contestation, la présidence a annoncé dimanche sa dissolution. Mais la mesure n'a pas convaincu la jeunesse, qui demande désormais au gouvernement de rendre des comptes et les manifestations ont repris de plus belles dans plusieurs grandes villes du pays.

"C'est une mobilisation inédite pour le Nigeria, elle est menée par des jeunes et est apolitique", explique à l'AFP Jude Udo Ilo, de la fondation Open Society en Afrique de l'Ouest.

Coordination sur Twitter

Dans ce pays de 200 millions d'habitants, le plus peuplé d'Afrique, les manifestations sont rares, et généralement l'apanage des partis politiques et des syndicats.

Dans la rue, ces jeunes brandissent des bouts de carton sur lesquels sont inscrits au stylo à bille leurs slogans: "Stop aux violences policières", "Sans justice, pas de paix", ou encore "Le changement arrive".

Sur Twitter, des internautes coordonnent le mouvement. "Il pleut quelque part ? Nous pouvons envoyer des imperméables", tweete mercredi matin l'activiste Feyikemi Abudu, alors que des trombes d'eau s'abattent sur Lagos, la tentaculaire capitale économique, épicentre de la contestation.

Avec plusieurs associations féministes, Feyikemi Abudu récolte des fonds sur internet et apporte un soutien matériel au mouvement.

Des manifestants ont été arrêtés dans tel quartier ? Sur Twitter, on se mobilise pour retrouver des témoins et envoyer des avocats bénévoles dans les commissariats. Une femme est blessée dans un des rassemblements ? L'information est publiée sur les réseaux sociaux, et une équipe médicale est déployée pour évacuer la victime.

Il y a ceux "qui manifestent dans la rue, ceux qui récoltent des fonds pour les soutenir, ceux qui utilisent leur influence pour faire libérer des manifestants arrêtés, ceux qui sont des personnalités publiques et qui encouragent les autres à se mobiliser", détaille Leo Dasilva, un financier et agent immobilier de 28 ans, très engagé dans la contestation.

Au-delà des clivages ethniques et sociaux

Selon lui, c'est cette jeunesse "unie" et "connectée" qui explique l'ampleur du mouvement.

Parmi eux, Obong Roviel, qui travaille dans le marketing digital, et qui, à 23 ans, compte près de 300.000 abonnés sur Twitter.

Chaque jour, il publie des dizaines de messages enjoignant les jeunes à poursuivre le combat, mais refuse d'être considéré comme un "leader". "Je ne suis qu'un citoyen éveillé, victime comme les autres des violences policières", dit-il à l'AFP.

"Cette contestation n'a pas de leader et c'est pour cela qu'elle continue", renchérit Leo Dasilva. "La mobilisation est immense car l'injustice" des violences policières "est partagée par tous les jeunes au-delà de leurs ethnies ou de leurs milieux sociaux".

Dans ce combat, la jeunesse peut également compter sur le soutien des stars de la musique, extrêmement populaires dans toutes les couches de la population nigériane.

Le chanteur Davido, écouté dans le monde entier, était en première ligne dimanche lors des manifestations organisées à Abuja, et la star de l'Afropop Wizkid a fait une apparition remarquée lors d'un rassemblement devant l'ambassade du Nigeria à Londres le même jour.

Soutien de Kanye West

Ces prises de position "comptent", explique à l'AFP le journaliste nigérian Oris Aigbokhaevbolo. Dans la population, "il y a une soif de voir ces stars de la musique assumer un rôle de leadership", souligne-t-il.

Mardi, le rappeur américain Kanye West a apporté son soutien au mouvement: "Je me tiens aux coté de mes frères et mes soeurs nigérians dans leur combat pour mettre fin aux violences policières", a tweeté la star mondiale.

L'annonce par le gouvernement lundi d'une réforme de la police n'a pas fait faiblir le mouvement, mais beaucoup se demandent jusqu'où il peut aller.

"On se reposera lorsque nous aurons des résultats, lorsque nous aurons un meilleur Nigeria, lorsque les violences de la police auront totalement disparu", répond Anita Izato, une avocate âgée de 24 ans, très engagée dans la contestation à Abuja, la capitale fédérale.

"Nous devons aller plus loin", ajoute-t-elle, "car nous avons appris à ne faire confiance que lorsque nous voyons des actes".

Par Le360 Afrique (avec AFP)
Le 14/10/2020 à 10h59, mis à jour le 14/10/2020 à 11h04