Le 30 mars dernier, le gouvernement faisait le constat de la recolonisation de 142 sites d’orpaillage clandestins, fermés entre 2015 et 2016, ainsi que la création de 47 nouveaux, soit un total de 189 sites actifs sur le territoire national.
En fin de semaine dernière, Mark Bristow, le directeur général de RandGold Resources, la multinationale britannique qui est l’une des principales productrices d’or du pays, dénonçait la présence d’environ 4.000 orpailleurs qui squattent les environs de son site d’exploitation de Boundiali, dans le nord ivoirien. Impuissante, l’entreprise a dû suspendre ses activités d’exploration sur des sites pourtant concédés par l’Etat ivoirien.
« La Côte d’Ivoire devient une mine à ciel ouvert et il y a de quoi s’émouvoir», déplore un confrère, reporter d’une agence de presse dans le nord du pays. «Quand vous arrivez sur un site d’orpaillage, c’est le désastre total. A perte de vue, vous avez un désert, un vaste périmètre sans arbres, sans la moindre herbe et parsemés de trous. Vous y trouvez des centaines, voire des milliers de personnes en activité. C’est une ville en miniature qui se créée au milieu de nulle part avec logis, restaurants, débits de boissons, prostitution, drogue, etc.».
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Ces zones, explique-il, sont sous le contrôle d’un gourou. C’est lui qui, avec son équipe trouvent les lieux d’exploration et fait venir tout ce beau monde et maintient son contrôle. Depuis la location de petites cabanes qui servent de dortoirs jusqu’à l’achat des pépites d’or, en passant par la vente de la drogue et la prostitution, tout lui appartient en réalité. «C’est une zone de non droit, où un individu peut être assassiné sans que cela n’emeuvent qui que ce soit».
Ces sites sont surveillés par des bandes armées ; des personnes habillés comme des dozos, ces chasseurs traditionnels, armés de kalachnikovs qui y font la loi et ont droit de vie et de mort sur les orpailleurs soumis à la loi de l’omerta. Ces derniers sont en réalité pris dans un engrenage. Avec un gramme d’or qui s’achète à 25.000 FCFA, soit environ 38 euros, ils dépensent quasiment tous leurs revenus dans des vices: boisson, drogus, sexe. Ce cycle alternant orpaillage et luxure dure quelques semaines le temps de retourner le plus de terre possible avant d’être invité pour une autre expédition.
Le même phénomène décrit dans ce reportage existe également au Sénégal et se traduit surtout par une traite d'êtres humains. Voir vidéo, ci après...
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Appâtée par le gain, la main d’œuvre y est bon marché. Si en effet les ressortissants de la sous-région ouest-africaine avaient au départ fourni les premières troupes, de nombreux jeunes ivoiriens se sont lancés dans l’aventure. «Voulant faire une enquête, j’ai fait le déplacement sur un site dans la région d’Odienne (nord-ouest ivoirien). Sur place, j’y ai été accueilli par une bande armée. Ma chance est que je parle le patois local, ce qui a inspiré je crois une certaine retenue de ces personnes qui m’ont vivement conseillé de ne plus jamais y remettre les pieds», souligne le confrère qui préfère ne plus évoquer le sujet .
Des communautés riveraines bouleversées
Le pire, c’est que les communautés villageoises riveraines sont les victimes immédiates de ces hordes d’individus venus de nulle part. Les quelques centaines d’habitants d’un village peuvent être envahis, en peu de semaines, par de milliers d’individus avec des conséquences pour leur survie.
«Dans un village, j’ai dû acheter un épis de maïs braisé à 200 FCFA, soit quatre fois plus cher que ce qu’il peut coûter à Abidjan la capitale. Imaginez ce que cela représente comme inflation pour un petit village. Les prix flambent et les villages aux alentours vivent dans une plus grande misère, surtout qu’ils ne sont pas toujours associés à l’exploitation pour en tirer le moindre revenu», témoigne une source au ministère des Mines. «Dans ces endroits reculés, vous y trouverez tout ce que l’on peut espérer dans une ville, poursuit-il. Ils sont très bien organisés».
Une mafia en devenir ?
La plus grande inquiétude pour les acteurs du secteur, c’est que les autorités ne maitrisent absolument pas le phénomène qui leur échappe. Ils s’installent partout.
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«Certes il y a des opérations de déguerpissement où des gendarmes sont envoyés sur le terrain pour chasser et détruire le matériel des orpailleurs. Mais quand il y a ce genre d’opération, le campement se vide entièrement avant l’arrivée des forces de l’ordre. Quelques jours après, ils reviennent s’installer de plus belle avec du matériel neuf. Et ils choisissent à dessein des zones difficile d’accès», note-t-on.
Le fait est qu’il y a certainement des personnes qui s’enrichissent avec cette activité et qui leur procure des revenus colossaux. «Comme la drogue en Amérique Latine, il y a des risques de voir le phénomène alimenter un système de corruption dans tout le corps social, depuis les autorités administratifs locales jusqu’aux hommes politiques, pour mieux s’épanouir. Il y a beaucoup d’argent qui circule dans ce secteur où des bandes armées sont entretenues. Il faut craindre le pire».
Le gouvernement ivoirien, lui, a décidé à nouveau sur tous les sites d’orpaillage sur son territoire, de privilégier la sensibilisation des populations sur les risques du phénomène et la formation d’artisans-miniers pour tenter de réguler l’orpaillage artisanal.
Des mesures volontaristes qui devraient avoir peu d’impact sur une activité clandestine réputée fort rémunératrice et dont dépendent des milliers de jeunes désœuvrés.
Cependant, la Côte d'Ivoire n'est pas la seule concernée, puisqu'au Sénégal également, le phénomène de trafid d'êtres humains est répandu dans la principale région aurifère du pays. Comme en témoigne la vidéo (ci-dessus) tournée à Kédougou.