Africa Talks by Mazars: les enjeux politiques et économiques en Afrique décortiqués à Casablanca

Abdou Diop, managing Partner de Mazars au Maroc, lors de la 4e édition des Africa Talks by Mazars, jeudi 4 mai 2023 à Casablanca..

Le 05/05/2023 à 15h52

VidéoLe cabinet Mazars a organisé, jeudi 4 mai 2023 à Casablanca, la 4e édition des Africa Talks by Mazars. La manifestation a connu la participation de nombreux dirigeants et décideurs du continent. Les experts ont passé en revue les enjeux économiques et politiques auxquels le continent doit faire face dans un contexte mondial marqué par de multiples crises et par la tectonique des plaques en cours qui risque d’impacter lourdement les économies africaines si elles ne s’y préparent pas.

2023 est une année chargée d’incertitudes à cause des multiples crises qui n’épargnent aucun pays. Mieux, avec la crise Russie-Ukraine, le différend Etats-Unis-Chine sur Taïwan, le dépassement, fin 2022, des richesses créées par le groupe des G7 (les sept pays les plus industrialisés: Etats-Unis, Japon, Royaume-Uni, France, Allemagne, Canada et Italie) par les cinq pays des Brics (Chine, Russie, Brésil, Inde et Afrique du Sud) et la tendance lourde à un bouleversement de l’ordre économique mondial poussant certains à parler de «tectonique des plaques» pour faire allusion à la tendance lourde devant mener à la formation de nouveaux blocs politico-économiques, les enjeux politiques et économiques pour les pays africaines sont énormes.

C’est dans ce contexte que s’est inscrite la thématique de la 4e édition des Africa Talks by Mazars, à Casablanca le jeudi 4 mai, sur le thème: «2023, une année chargée d’enjeux économiques et politiques». D’emblée, Abdou Diop, managing partner de Mazars au Maroc, explique qu’à travers ce rendez-vous annuel, Mazar «souhaite poser un regard anticipateur sur les grands enjeux qui vont constituer les points d’attention de l’année sur le continent». Et pour cette année, la crise en Ukraine, les tensions Etats-Unis-Chine, le terrorisme et les crises politiques en Afrique, la hausse des taux directeurs, l’inflation encore élevée les crises de liquidité, l’endettement, les impacts du changement climatiques au niveau économique et l’opérationnalisation de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) sont autant d’enjeux auxquels feront face les pays africains dans leur ensemble.

Face à ces défis, Chakib Alj, président de Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), est revenu sur la problématique de la transformation des économies africaines qui fait que la valeur ajoutée des économies africaines représente à peine 1,8% de celui la planète. Or, avec ses énormes potentialités le continent peut relever le défis de l’industrialisation, vital pour absorber les 10 à 12 millions de jeunes qui arrivent annuellement sur le marché du travail pour une offre d’emplois n’excédant pas 3 millions par an.

Pour le patron des patrons marocains, les pays africains doivent mutualiser leurs efforts pour créer des chaînes d’approvisionnement, des unités de transformation, dynamiser la Zlecaf… Seulement, pour Chakib Alj, l’Afrique ne peut gagner le pari de la transformation alors que le continent accuse un déficit énorme en électricité. Ce qui est d’ailleurs une aberration, le continent détenant les plus grandes potentialités naturelles de production d’énergie au monde. Rien qu’au niveau des énergies renouvelables, l’Afrique dispose d’un potentiel évalué à 60 millions de téra watts (TW), contre 30 millions pour l’Asie et seulement 3 millions pour l’Europe. De ce potentiel, seule une infime partie est aujourd’hui exploitée.

Au-delà, les pays africain, souligne-t-il, doivent investir massivement dans les infrastructures, l’agriculture, la santé, l’éducation…

Seulement, pour réaliser des avancées économiques significatives, la sécurité et la sureté doivent être au rendez-vous. Malheureusement, c’est loin d’être le cas actuellement en Afrique. Partout, l’insécurité gagne du terrain déplore Cheikh Tidiane Gadio, ancien ministre des Affaires étrangères du Sénégal et président de l’Institut panafricain de stratégies (IPS).

Outre les pays du Sahel (Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad), le terrorisme djihadiste fait des ravages au Nigeria où Boko Haram a fait plus de 40.000 victimes, au Cameroun, en RD Congo… Désormais, la nébuleuse cherche par tous les moyens à s’offrir un pays côtier d’où les tentatives d’extension des attaques terroristes vers le Ghana, le Togo, le Mozambique, la Côte d’Ivoire…

Concernant la lutte contre le terrorisme, les pays africains sont abandonnés à leur sort alors que ce sont les Occidentaux, en déstabilisant la Libye, qui ont contribué à l’émergence de la nébuleuse au niveau du continent. Et lorsque le G5 Sahel a sollicité 400 millions de dollars pour financer cette lutte, les pays développés ont été aux abonnés absents.

Dans le même temps, pour l’Ukraine, ce sont pourtant plus de 40 milliards de dollars qui ont été débloqués pour faire face à la Russie… Avant cela, en Iraq, une coalition dirigée par les Etats-Unis a permis de mettre en déroute l’Etat islamique. Un deux poids deux mesures que regrette l’ancien ministre des Affaires étrangères du Sénégal, ce d’autant que l’OTAN est grandement responsable de la situation qui prévaut au Sahel.

Une situation qui pousse l’ancien chef de la diplomatie sénégalaise à demander aux Africains de se poser des questions : «qui finance ces jihadistes, qui souhaite déménager la capitale du khalifa islamique en Afrique» et «pourquoi les Africains ne prennent pas la question sécuritaire comme une priorité» en mettant en place une force africain forte à même de combattre les terroristes dans les pays où ceux-ci souhaitent établir leur khalifa.

Le problème est que «les cadres et les élites politiques des pays africains ont décidé de démissionner laissant la place à une inflation d’acteurs politiques» peu soucieux des enjeux politiques et économiques du continent. Et face à la menace terroriste, «il faut que les pays africains prennent ensemble la destinée de l’Afrique pour faire face à ce risque existentiel des Etats africains», explique Paulo Fernando Gomes, ancien candidat aux élections présidentielles de la Guinée-Bissau, Co-fondateur de New African capital Partners et président d’Orango Investment Corporation. Ce d’autant plus que «la techtonique des plaques risque d’avoir des impacts en Afrique», sachant que «l’Afrique est très dépendante de la Chine en termes d’investissements directs étrangers (IDE), d’importation de matières premières…».

En tout cas, face aux tendances lourdes actuelles dont le monde fait face, dont particulièrement «l’émergence du grand sud» (Brics, Afrique…), comme l’a souligné l’ancien ministre de l’Economie et des finances et ancien patron des patrons marocains Salaheddine Mezouar, l’Afrique ne compte pas être un simple suiveur. Le continent aspire à plus de libertés dans ces choix, en mettant en avant ses propres intérêts. La guerre Russie-Ukraine l’a clairement démontrée. Du coup, «la voix africaine se fait entendre».

Toutefois, pour que cette voix soit plus audible et défendre les intérêt du continent, il urge qu’une réforme du Conseil de sécurité puisse accorder à l’Afrique et ses 1,3 milliard d’habitants un siège permanent.

En dépit des nombreux obstacles, il n’en demeure pas moins que les perspectives économiques africaines sont bonnes. Xavier Reille, directeur pour le Maghreb et Djibouti de la Société financière internationale (SFI), du groupe Banque mondiale, en souligne quelques tendances lourdes intéressantes. D’abord, il y a la montée en puissance des multinationales africaines. Si ces champions étaient cantonnés auparavant dans deux secteurs clés -télécoms et banques-, désormais, les multinationales africaines sont présentes dans de nombreux secteurs: agriculture, services, NTIC…

La géographie de ces champions africains se diversifie. Ensuite, il y a le développement significatif des écosystème de startups africaines, portées par des jeunes du continent, et qui sont innovants. Ce secteur est dominé par l’Afrique du Sud, l’Egypte, le Nigeria et le Kenya, mais beaucoup de talents et d’innovations sont enregistrés dans de nombreux pays.

C’est dire que l’Afrique doit miser sur l’éducation en investissant massivement dans les écoles d’ingénieries pour fournir au continent des ressources humaines de qualité et miser sur une meilleure adéquation formation-emploi.

Toutefois, les bonnes perspectives économiques en Afrique risque d’être impacter, selon Reille, par les impacts du changement climatique qui touche très particulièrement les pays d’Afrique du Nord avec les stress hydriques, les risques climatiques… Une situation qui doit pousser les pays à une meilleure utilisation des ressources hydriques par l’agriculture et l’industrie.

Bref, après les crises de Covid-19 et celle de la Russie-Ukraine face auxquelles le continent a montré de fortes résiliences, pour 2023, les enjeux politiques et économiques sont énormes. Et c’est aux Africains de transformer les nombreux défis en opportunités. Et c’est possible.

Par Moussa Diop et Said Bouchrit
Le 05/05/2023 à 15h52