Ces 12 pays d’Afrique qui quantifient et traquent les flux financiers illicites

Le 03/09/2024 à 12h24

Derrière les flux économiques officiels se cachent parfois des mouvements de fonds troubles. C’est dans ce cadre qu’un groupe de 12 nations africaines se lance dans la mesure des flux financiers illicites entravant leurs économies.

Cartographier les flux financiers illicites est désormais une priorité pour un certain nombre de pays africains. En colmatant ces brèches financières, ils entendent dégager les fonds indispensables à l’accélération de leurs agendas des Objectifs du Développement Durable ambitieux pour 2030.

Dans le combat mondial contre les flux financiers illicites (FFI), un groupe de 34 pays des quatre coins du monde, dont 12 en Afrique, joue un rôle clé en mesurant et en cartographiant ces mouvements d’argent illégaux qui sapent les efforts de développement. A la page 7 du récent rapport «Pulse ODD 2024″de la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED), les pays pionniers au cœur de cette initiative cruciale sont listés. L’enjeu étant d’éclairer des politiques plus robustes. Soulignons que ce rapport de la CNUCED rend compte des développements relatifs à l’Agenda 2030 pour le développement durable.

Les 12 pays africains engagés dans la mesure des flux financiers illicites (FFI) sont le Bénin, l’Angola, l’Afrique du Sud, le Mozambique, le Sénégal, le Burkina Faso, le Nigéria, le Gabon, l’Égypte, la Namibie, la Zambie et le Ghana. Cet échantillon représentatif illustre bien l’ampleur continentale du défi posé par les FFI, avec des économies émergentes comme l’Afrique du Sud et le Nigéria, mais aussi des pays les moins avancés comme le Bénin et le Burkina Faso.

Il convient toutefois de nuancer en soulignant les différentes phases d’avancement de ces 12 pays. Quatre d’entre eux (Bénin, Angola, Afrique du Sud, Mozambique) ont déjà mené des études pilotes sur la mesure des FFI entre 2018 et 2022. Cinq autres (Sénégal, Burkina Faso, Nigéria, Gabon, Égypte) sont en train de réaliser ces études dans le cadre du projet DA15 de 2023 à 2026. Enfin, les trois derniers (Namibie, Zambie, Ghana) s’attaquent à la quantification des FFI via le projet OSF entre 2024 et 2025.

Soulignons que les projets DA15 et OSF sont deux initiatives majeures visant à soutenir les efforts des pays pour mesurer les flux financiers illicites (FFI). Le projet DA15 est une initiative conjointe de la CNUCED et de l’Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime (ONUDC). Son objectif est de renforcer les capacités statistiques et techniques des pays en développement pour mieux détecter, mesurer et analyser les FFI afin d’en atténuer les impacts néfastes.

Le projet OSF (pour Open Society Foundations) est mené par le Consortium pour la Recherche Économique en Afrique (CREA) et l’Université des Nations Unies. Il vise spécifiquement à soutenir des études pilotes de mesure des FFI dans plusieurs pays d’Afrique subsaharienne, en mettant l’accent sur le renforcement des capacités locales et le partage d’expertise Sud-Sud.

Notons, par ailleurs, que cette chronologie différenciée reflète les défis de capacités variables auxquels sont confrontés les pays cités plus haut, les économies les plus robustes ayant logiquement amorcé le mouvement. Mais elle témoigne surtout de l’engagement multilatéral croissant pour documenter ce fléau économique. Au total, pas moins de 34 pays pilotes à travers le monde se sont lancés ou se lanceront prochainement dans cet exercice statistique et analytique ambitieux, dont le Mexique, l’Ouzbékistan, le Kirghizistan, le Bangladesh dans le cadre du projet DA15 de 2023 à 2026, la Colombie, l’Equateur, le Pérou ou même le Népal qui ont déjà mené des études pilotes entre 2018 et 2022.

Des motivations diverses

Le Bénin, le Burkina Faso, le Mozambique et la Zambie font partie des pays les moins avancés (PMA) de cette liste. Ils font face à des défis particuliers en termes de capacités techniques, statistiques et de gouvernance pour effectuer ces mesures complexes des FFI. Un soutien accru des partenaires internationaux leur est indispensable.

L’Angola, le Nigéria et le Gabon sont de grands producteurs de pétrole, un secteur particulièrement vulnérable aux flux illicites liés aux prix de transfert et à l’évasion fiscale. Cartographier ces fuites est crucial pour une meilleure redistribution des revenus pétroliers.

Le Ghana et la Namibie misent sur ces études pour mieux réguler leurs secteurs miniers et extractifs stratégiques, sources connues de blanchiment de capitaux. Pour l’Afrique du Sud, puissance économique du continent, l’enjeu est de préserver l’intégrité de son système financier face aux risques de criminalité financière transfrontalière.

L’Égypte, hub commercial et financier régional, cherche à sécuriser ses flux commerciaux et d’investissements entrants contre les dérives. Enfin, le Sénégal se positionne comme un exemple pour la transparence financière en Afrique de l’Ouest. Cette diversité de situations reflète l’importance pour tous ces pays de quantifier et traquer les FFI afin de colmater les brèches réglementaires, fiscales et de supervision propices à ces flux néfastes.

Selon Rebeca Grynspan, Secrétaire générale de la CNUCED, «les flux financiers illicites déploient des ressources cruellement nécessaires aux deux extrémités, alimentant le blanchiment d’argent et la corruption, et sapant l’état de droit et la stabilité.»

D’importantes failles à combler

Ces études visent à produire des estimations officielles des FFI en utilisant les méthodologies harmonisées développées par la CNUCED et l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC). Elles couvrent les principales sources de FFI liées aux activités commerciales, fiscales et criminelles. «Seul un petit nombre d’économies rapportent actuellement des données sur les FFI à l’échelle mondiale, alors qu’une enquête mondiale souligne le besoin pressant de soutien pour appliquer les méthodologies et les outils recommandés», souligne le rapport. Les premiers résultats, publiés en 2023, ont révélé des flux substantiels liés notamment à l’évasion fiscale et aux délits commerciaux. L’Afrique du Sud, par exemple, a estimé ses pertes annuelles liées aux FFI à plus de 20 milliards de rands (1,1 milliard de dollars).

Au-delà de la quantification, un enjeu majeur est de combler les lacunes juridiques et réglementaires qui facilitent les FFI. Plusieurs pays renforcent leur cadre anti-blanchiment et de transparence fiscale, tout en renforçant la coopération internationale. «Ces estimations aident à identifier les failles à combler pour rediriger les fonds vers l’économie officielle», explique le rapport, soulignant l’impact sur les droits humains et les groupes vulnérables.

En définitive, ces études pionnières en Afrique sont un pas essentiel pour débloquer les progrès vers les Objectifs de développement durable, catalysant des réformes vitales pour la transparence, la bonne gouvernance et la mobilisation des ressources intérieures. «Le temps de l’action éclairée par les données est venu», conclut Rebeca Grynspan, appelant les décideurs à exploiter ces analyses pour un changement significatif.

Les 12 pays ayant réalisé ou qui réalisent présentement des études sur la mesure des flux financiers illicites (FFI) :

PaysPériode
BéninEntre 2018 et 2022
AngolaEntre 2018 et 2022
Afrique du SudEntre 2018 et 2022
MozambiqueEntre 2018 et 2022
SénégalEntre 2023 et 2026 dans le cadre du projet DA15
Burkina FasoEntre 2023 et 2026 dans le cadre du projet DA15
NigériaEntre 2023 et 2026 dans le cadre du projet DA15
GabonEntre 2023 et 2026 dans le cadre du projet DA15
EgypteEntre 2023 et 2026 dans le cadre du projet DA15
NamibieEntre 2024 et 2025 dans le cadre du projet OSF
ZambieEntre 2024 et 2025 dans le cadre du projet OSF
GhanaEntre 2024 et 2025 dans le cadre du projet OSF

Source : Rapport « Pulse ODD 2024 » de la CNUCED, page 7.

Par Modeste Kouamé
Le 03/09/2024 à 12h24