Financement des économies africaines: JP Morgan et US DFC, cheval de Troie des États-Unis pour contrer la Chine

Le 28/10/2024 à 16h50

La plus grande banque américaine, JP Morgan, et l’US International Development Finance Corporation (DFC) renforcent leur présence en Afrique. Cette démarche traduit la volonté des États-Unis de s’ériger en financiers incontournables des économies africaines. Et de contrer l’influence chinoise dans le continent.

La Chine a supplanté les États-Unis en tant que premier partenaire économique et financier du continent africain. De surcroît, la seconde puissance économique mondiale est derrière les financements de nombreux projets structurants d’infrastructures (barrages hydroélectriques, chemins de fer, autoroutes…). La Chine est devenue le principal prêteur de nombreux pays africains au moment où l’accès aux sources de financement est de plus en plus difficile. Une situation qui a renforcé les relations entre l’Empire du Milieu et les pays africains.

Face à cette situation, les États-Unis ambitionnent de réoccuper le terrain en Afrique après quatre années de présidence de Donald Trump. Un intermède qui a contribué à creuser le fossé entre les deux parties.

C’est dans cette optique que s’est inscrit le Sommet des dirigeants États-Unis-Afrique de décembre 2022 à Washington entre le président Jo Biden et les dirigeants d’une cinquantaine de pays africains donnant le coup d’envoi à l’engagement en faveur de l’Afrique dans le but avoué de contrer le basculement géopolitique et économique vers les géants des BRICS, particulièrement la Chine et la Russie.

Le nerf de la guerre étant le financement, les États-Unis comptent désormais mettre en place les outils à même de faciliter leur repositionnement sur le continent, aussi bien dans les sphères publiques que privées.

Au niveau du privé, JP Morgan, la plus grande banque américaine, compte développer ses activités au niveau du continent en s’y implantant davantage. Déjà présente en Afrique du Sud, au Nigeria et en Égypte, JP Morgan va ouvrir de nouveaux bureaux de représentation au Kenya et en Côte d’Ivoire pour accompagner les pays d’Afrique de l’Est et de l’Ouest.

Dans ces pays, la première banque américaine va offrir des services de banque commerciale et d’investissement, des services de trésorerie et accorder certains prêts. «Cela nous permettra d’être sur le terrain de ces pays, ce qui permet de collecter beaucoup plus de connaissances et de tisser des relations locales. Et lorsque vous l’aurez fait, vous couvrirez essentiellement les gouvernements, quelques grandes entreprises publiques et les multinationales implantées là-bas avec des services bancaires traditionnels», a expliqué le PDG de JP Morgan, Jamie Dimon. En Afrique du Sud et au Nigeria, où elle est présente depuis bientôt six décennies, la banque offre également des services de gestion d’actifs et de patrimoine.

Première économie de l‘Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) et de la zone franc CFA regroupant 15 pays d’Afrique de l’Ouest et centrale, la Côte d’Ivoire peut faire figure de porte d’entrée pour la zone. En Côte d’Ivoire, JP Morgan va cibler dans un premier temps les services au gouvernement qui comprennent l’assistance en matière de levée de fonds sur le marché financier international et accessoirement les grandes entreprises publiques et multinationales. Plus tard, des offres de gestion d’actifs et de patrimoine pourraient suivre.

Quant au Kenya, c’est l’une des économies les plus diversifiées et dynamiques d’Afrique de l’Est et constitue un pôle d’innovation et de développement des technologies financières. Une particularité qui a déjà séduit banques et multinationales américaines.

Et pour marquer l’intérêt de JP Morgan pour l’Afrique, Jamie Dimon effectue un périple africain, sa première depuis sept ans, qui comprend des escales au Kenya, au Nigeria, en Afrique du Sud et en Côte d’Ivoire. En plus, la banque a l’intention d’«ajouter un ou deux pays d’Afrique, tous les deux ans environ», a expliqué le PDG dans un entretien à Reuters.

Cette annonce étonne alors que les banques européenne (BNP Paribas, Société Générale, Standard Chartered, Barclays, Crédit Agricole…), historiquement présentes en Afrique se désengagent, au grand bonheur des champions bancaires africains.

À noter que JP Morgan est la plus grande banque des États-Unis et du monde avec plus de 4.200 milliards de dollars d’actifs. Elle opère dans plus de 100 pays et emploie plus de 300.000 salariés dans le monde.

C’est dire que c’est un poids lourd du secteur bancaire mondial qui arrive sur le continent. Une banque qui y est déjà connue par sa forte présence en tant qu’arrangeur des emprunts et/ou prêteur des États africains.

Ce choix s’explique par les opportunités qu’offre l’Afrique. Les besoins de financements supplémentaires du continent sont évalués à 1.600 milliards de dollars d’ici 2030 pour atteindre les Objectifs de développement durable (ODD). Pour autant, la valeur nominale cumulée des euro-obligations émises par les pays africains tourne autour de 111 milliards de dollars. Un montant concentré par une poignée de pays: Égypte, Angola, Ghana, Nigeria et Afrique du Sud.

Et en s’implantant en Afrique, JP Morgan souhaite capter une part de ces transactions. D’ailleurs, elle est très active sur ce marché. En juin 2024, JP Morgan a dirigé l’émission de l’eurobond de 750 millions de dollars émis par le Sénégal en tant que principal gestionnaire. Elle était aussi co-chef de file sur l’émission de 2,6 milliards de dollars de la Côte d’Ivoire en janvier 2024. En 2023, JP Morgan était le premier arrangeur d’émissions obligataires internationales africaines, devançant le groupe Citi qui occupait ce rang en 2021 et 2022.

La banque souhaite aussi bénéficier des opération de fusion-acquisitions en augmentation au niveau du continent et de la gestion de patrimoine, une niche émergente et prometteuse. JP Morgan pourrait servir de fer de lance pour d’autres groupes bancaires qui souhaitent s’implanter en Afrique. Les banques américaines Citigroup et Goldman Sachs aussi prévoient de se renforcer en Afrique.

Ces implantations sont facilitées par la législation américaine qui a connu un certain assouplissement par rapport à la règlementation qui prévalait depuis la crise financière mondiale de 2008. Une règlementation qui a retardé l’implantations de JP Morgan au Kenya, annoncée depuis 2015.

Et il n’y a pas que le secteur bancaire privé américain qui s’intéresse au continent. Au niveau du public, les États-Unis ont mis en place l‘US International Development Finance Corporation (DFC) en 2019 pour porter les couleurs d’une stratégie offensive vers les pays à revenu faible et intermédiaire, notamment en Afrique

Après Johannesburg, mégapole à partir de laquelle elle couvre toute l’Afrique australe depuis 2020, DFC est en cours d’implantation à Nairobi au Kenya et à Abidjan en Côte d’Ivoire, pour couvrir l’Afrique de l’Est et de l’Ouest. À partir de décembre prochain, l’institution américaine ouvrira un bureau à Rabat, au Maroc, pour couvrir l’Afrique du Nord.

Le rôle des bureaux de DFC en Afrique est de réaliser un premier tri des demandes de financement émanant des pays africains, avant de les transmettre au siège basé à Washington.

En ce qui concerne la nature des prêts accordés par DFC, l’accent sera mis sur les infrastructures logistiques et ceux concernant les minerais et les matériaux stratégiques, deux secteurs prioritaires de la DFC. Des secteurs qui ne sont pas sans rappeler les priorités des investissements et des financements chinois en Afrique.

DFC octroie des prêts, des garanties de prêts, des investissements directs et une assurance contre les risques politiques dans le cadre de projets de développement initiés par le privé. DFC fournit également des études de faisabilité et des assistances techniques.

A travers ses leviers de financement, DFC se positionne comme une alternative aux véhicules d’investissement chinois en Afrique, notamment l’initiative «Belt and Road» ou «Nouvelle route de soie», et pallier ainsi aux insuffisance et incapacité des institutions financières américaines d’aide au développement à rivaliser avec celle de la Chine.

D’ailleurs, l’un des premiers financements d’envergure de l’institution américaine a profité au corridor ferroviaire de Lobito pour un montant de 553 millions de dollars. Ce dernier est destiné à contribuer à l’acheminement des minerais stratégiques -cuivre, cobalt, lithium- des régions d’Afrique centrale et australe (RD Congo, Zambie…), jusqu’à la côte angolaise.

Il s’agit d’un projet essentiel pour les Etats-Unis qui souhaitent couper l’herbe sous le pied de la Chine qui tente d’imposer son monopole sur les ressources minières stratégique d’Afrique centrale et australe.

Ces implantations d’entités privées et publiques attestent de la volonté de Washington d’amorcer son grand retour sur le continent, afin de contrer l’influence grandissante de la Chine en agissant sur l’un des leviers à l’origine de la forte percée chinoise, le financement.

Par Moussa Diop
Le 28/10/2024 à 16h50