Après la crise sanitaire du Covid-19 qui a ébranlé le secteur du transport aérien mondial et africain en particulier, les compagnies aériennes du continent ont repris leur envol avec de nouvelles ambitions, notamment en ce qui concerne le renforcement des flottes. Ainsi, les annonces d’acquisitions d’avions se multiplient aussi bien chez les grandes compagnies, qui souhaitent dominer le ciel africain, que chez certaines petites compagnies en pleine croissance.
Plusieurs facteurs sont avancés pour expliquer cette frénésie d’acquisition de nouveaux appareils. En premier lieu, les perspectives de croissance du transport aérien africain. Représentant à peine 3% du transport mondial de passagers, le transport aérien au niveau du continent devrait croitre d’environ 6% par an au cours des 20 prochaines années.
Selon International Air Transport Association (IATA), le nombre de personnes transportées par les compagnies aériennes africaines devrait passer de 111 millions en 2015 à 303 millions en 2035. Une donne qui pousse les compagnies aériennes du continent à renforcer leurs flottes pour gagner une part de ce marché grandissant. De plus, le fait de disposer d’une flotte de taille importante permet de gagner des parts de marché et de dominer le ciel africain destiné à être libéralisé.
Ensuite, il y a la faiblesse des tailles des compagnies du continent. En effet, presque toutes ces compagnies sont de petite taille, du point de vue de la flotte, à l’exception d’Ethiopian Airlines.
Par ailleurs, il y a la perspective de la libéralisation du ciel africain qui figure parmi les projets phares de l’Agenda 2063 de l’Union africaine. L’Open Sky africain, soutenu par les grandes compagnies aériennes africaines (Ethiopian Airlines, EgyptAir, South African Airlines, Royal Air Maroc, Kenya Airways…) devrait intensifier la concurrence.
Il est attendu une baisse des prix des billets, une plus grande connectivité et le développement de nouveaux réseaux de liaison intra-africain d’où la nécessité d’acquérir davantage d’avions pour assurer le développement du transport de voyageurs.
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En outre, les acquisitions d’avions s’expliquent aussi par la volonté des compagnies africaines à rajeunir leurs flottes avec des avions dernière génération plus maniables, avec plus de commodités à même d’améliorer la qualité des services et surtout moins gourmands en kérosène. Les avions dernière génération consomment globalement moins de 20% de carburant que les anciens appareils de même capacité) et offrent une meilleure rentabilité.
Enfin, le développement du secteur touristique grâce à des stratégies ambitieuses mises en place dans de nombreux pays (Egypte, Maroc, Kenya…) implique aussi la nécessité de mettre en place d’importantes flottes performantes pour drainer davantage de touristes. C’est la démarche adoptée par le Maroc et l’Egypte, particulièrement.
En conséquent, pour le développement du secteur de l’aérien, les transporteurs ont besoin d’accroître leurs flottes pour répondre à la demande future et s’adjuger une plus grande part du marché continental. Selon le constructeur aéronautique américain Boeing, sur la période 2021-2040, les compagnies africaines auront besoin de 1.030 nouveaux avions.
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Et si toutes les compagnies renforcent leurs flottes, ce sont les plus grandes du continent, hormis South African Airlines et Kenyan Airways en difficulté, qui affichent le plus leurs ambitions. C’est le cas d’Ethiopia Airlines, de Royal Air Maroc, d’Air Algerie, d’EgyptAir...
Royal Air Maroc vient de dévoiler un programme ambitieux de renforcement de sa flotte dans le cadre d’un contrat-programme signé avec l’Etat pour la période 2023-2037. La compagnie ne vise pas moins que de quadrupler sa flotte en la faisant passer de 50 appareils actuellement (45 appareils en propre et 5 en location), avec une moyenne d’âge de 12,1 ans, à 200 avions à l’horizon 2037.
Royal Air Maroc: quadrupler la flotte pour accompagner la stratégie touristique
Autrement dit, durant les 15 prochaines années, la compagnie doit acquérir plus de 150 appareils, en tenant compte des acquisitions de renouvellement sachant que certains appareils de la flotte doivent être rajeunis d’ici 2037. A noter que la filiale Royal Air, Maroc Express exploite 6 ATR 72-600.
Si aucun mode de financement n’est avancé, la seule information que les autorités ont laissé filtrer a trait au renforcement de la participation de l’Etat dans le capital de la compagnie. Ce qui ne permet pas de donner une idée sur le vrai montrant des investissements programmés. L’Etat contrôle déjà plus de 97% du capital de la compagnie.
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En tout cas, l’ambition des autorités marocaines est claire. Mettre à la disposition de Royal Air Maroc une flotte à même de renforcer son rayonnement, soutenir sa compétitivité dans un environnement de plus en plus concurrentiel, l’amélioration de la qualité de ses services…
Avec 200 appareils en 2037, les autorités et Royal Air Maroc comptent faire de l’Aéroport Mohammed V de Casablanca, la base de la compagnie marocaine, une «plateforme de correspondance connectant les hubs internationaux majeurs», positionnant l’aéroport «dans le Top 3 en Afrique en termes de trafic et de connectivité».
Ce contrat-programme présenté le 11 juillet courant vise à accompagner les ambitions touristiques du Maroc qui ambitionne d’attirer 17,5 millions de touristes en 2026 et 65 millions à l’horizon 2037.
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Ce développement de la compagnie constitue la pierre angulaire de cette stratégie touristique. Ainsi, sur les 15 prochaines années, RAM compte renforcer sa flotte avec la mise en place de 46 nouvelles dessertes.
EgyptAir: low cost pour doper le tourisme
EgyptAir, la seconde compagnie africaine en termes de volume de flotte, ne compte pas se laisser se distancer par ses concurrents immédiats que sont Ethiopian Airlines et Royal Air Maroc. La compagnie égyptienne compte une flotte de 78 appareils dont certains en location longue durée. A cela s’ajoute la flotte de sa filiale Air Cairo, compagnie hybride, à la fois classique, charter et low cost, et actuellement dotée d’une flotte de 30 appareils et qui couvre une quarantaine de destinations internationales: Europe, Moyen-Orient et Afrique.
En tenant compte des flottes des deux compagnies, EgyptAir se retrouve avec une flotte forte de 108 appareils actuellement. Avec l’augmentation de sa flotte, EgyptAir renforce aussi son réseau de destinations couvertes. Ainsi, au niveau du continent, la compagnie a ouvert de nouvelles lignes -Kinshasa, Douala et Moroni- pour accroître son maillage continental.
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En 2019, EgyptAir avait annoncé un plan de rajeunissement portant sur 45 appareils dont 12 Airbus A220-300, 12 appareils Embraer E170S et 15 Airbus A320neo. Certains de ces appareils commandés à cette date ont commencé à être réceptionnés.
A noter qu’en 2022, EgyptAir a transporté 9 millions de passagers, soit le plus grand nombre de voyageurs transportés par une compagnie aérienne africaine. Toutefois, en dépit du nombre élevé de passagers transportés, EgyptAir n’a pas réussi à faire du Caire un hub aérien international. Pour preuve, le trafic de transit représente seulement 25% du trafic de l’aéroport international du Caire.
En outre, malgré le nombre élevé de voyageurs, la compagnie égyptienne est déficitaire depuis de nombreuses années. Avant même le Covid-19, EgyptAir avait enregistré des pertes colossales de 105 millions d’euros en 2015, 251 millions en 2016 et 1,1 milliard d’euros en 2019. En 2020, la perte a été réduite à 164 millions d’euros. C’est seulement en 2018 que la compagnie a enregistré un résultat positif avec 48,7 millions d’euros de profit.
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Une situation qui peut, en partie, s’expliquer par la volonté des autorités de mettre EgyotAir et de sa filiale Air Cairo au service du secteur stratégique du tourisme égyptien. Un secteur qui devrait croitre fortement dans les années à venir, selon les prévisions des autorités. Et à ce titre, l’Egypte s’est fixée comme objectif d’accueillir 30 millions de touristes en 2030, contre 13 millions de visiteurs en 2019, année de référence de ces dernières années. Et les augmentations des flottes de la compagnie et de sa filiale devraient y contribuer.
Ethiopian Airlines, conserver sa domination du ciel africain
Ethiopian Airlines a dévoilé en décembre 2022 son plan de développement porté par son nouveau directeur général Mesfin Tasew. Cette stratégie, qui met le cap sur 2035, devrait permettre à la compagnie de consolider sa domination du ciel africain. Et pour y atteindre, une attention particulière a été accordée au renforcement de la flotte de la compagnie. Celle-ci devrait ainsi passer de 140 avions à fin 2022 à 271 appareils d’ici 2035, c’est dire que la compagnie va presque doubler sa taille. A noter que sur les 144 appareils que compte la flotte d’Ethiopian Airlines, environ 80 sont en propriétés et le reste en location.
Cette flotte devrait permettre à la compagnie d’étoffer son réseau en le faisant passer de 131 à 207 destinations. Grâce aux investissements consentis, la compagnies compte, à cette date, transporter 65 millions de passagers, assurer un volume de fret de 3 millions de tonnes et de générer un volume d’affaires de 25 milliards de dollars.
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Grâce à sa taille, Ethiopian Airlines a réussi à faire d’Addis-Abeba un hub aérien international. En effet, le trafic de transit représente 70% du trafic enregistré au niveau de l’aéroport de Bole, à Addis-Abeba. L’augmentation de la taille de la flotte devrait permettre à la compagnie de consolider sa domination du ciel africain, surtout au cas où la libéralisation sera effective avec le Marché unique du transport aérien africain (Mutaa).
Pour cela, au-delà de sa flotte forte actuellement de 144 avions et qui s’accroit au rythme d’un nouveau appareil chaque mois, Ethiopian Airlines peut aussi compter sur la flotte des compagnies partenaires. Le pavillon éthiopien détient des participations dans Asky Airlines, le leader du transport aérien en Afrique de l’Ouest basé à Lomé, Zambia Airways et Malawi Airlines. La compagnie est annoncée comme partenaire des futures compagnies aériennes d’Air Congo (RDC) et d’Air Nigeria (Nigeria).
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A noter qu’Ethiopian est l’une des rares compagnies aériennes, et la seule parmi les grandes compagnies du continent, à être rentable. Au titre de l’exercice 2021-2022, la compagnie a réalisé un bénéfice net de 937 millions de dollars, après avoir transporté 6,9 millions de passagers. Elle a été d’ailleurs l’une des rares compagnies au monde à avoir réalisé un bénéfice net positif durant l’exercice 2020-2021, en pleine crise sanitaire du Covid-19, grâce à son agilité opérationnelle.
Air Algérie: un hub à construire
Troisième flotte aérienne du continent, derrière Ethiopian Airlines et EgyptAir, avec 56 appareils, Air Algérie aussi compte renforcer la taille de sa flotte pour jouer les premiers rôles dans le transport aérien au niveau du continent, les années à venir. C’est dans cette optique que la compagnie algérienne a finalisé une commande de 8 appareils Boeing 737 Max 9, de 5 Airbus 1330-900 et de 2 Airbus A350-1000. Les avions commandés auprès du constructeur européen Airbus devraient livrés à partir du deuxième trimestre 2025. Quant aux avions commandés auprès du constructeur américain, Boeing, aucune date de livraison n’a été dévoilée.
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Ces 15 nouveaux appareils vont contribuer à renforcer et à renouveler la flotte de la compagnie et la faire monter en gamme. Outre cette commande, Air Algérie a également confirmé l’achat de 8 Boeing 737-8, la version précédente du modèle 737 Max et s’est également engagée à acquérir 2 Boeing 737-800BCF pour le transport de fret dans le but de soutenir le développement économique du pays et de faciliter ses échanges commerciaux avec les pays tiers. Toutefois, avec un âge moyen de sa flotte de 18 ans, ces acquisition devraient surtout contribuer au renouvellement de la flotte qu’à augmenter réellement sa taille.
Parallèlement, et pour mettre sa stratégie en place avant la livraison des appareils commandés, ce qui prendra plusieurs années, la compagnie avait lancé un appel d’offre pour la location de 10 avions dont 6 Airbus 1330 et 4 Boeing 737. Toutefois, cet appel d’offres a été échec du fait de la «non-conformité des offres aux exigences du cahier des charges».
La commande de 15 appareils et les autres annoncés représentent une étape stratégique pour Air Algérie qui cherche à moderniser et à renforcer sa présence sur les liaisons internationales et sa volonté de s’adapter aux besoins spécifiques des différentes routes qu’elle dessert.
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Avec le renforcement de sa flotte, Air Algérie annonce de nouvelles dessertes en Afrique et en Asie. Au niveau du continent où la compagnie souhaite faire de l’aéroport d’Alger un hub aérien international pour renforcer sa présence au niveau de sa sphère traditionnelle (Europe et Afrique). Cette démarche est similaire à celle d’Addis-Abeba pour Ethiopian et Casablanca pour Royal Air Maroc.
En Afrique, Air Algérie dessert actuellement une dizaine de pays et envisage l’ouverture de plusieurs autres liaisons vers le continent ciblant le Tchad, Gabon, Afrique du Sud…
Si les 4 compagnies sont les plus engagées parmi les grands transporteurs aériens du continent, Kenya Airways et South African Airways traversant des zones de turbulence, il faut aussi souligner que d’autres compagnies aériennes africaines de moindre envergure sont aussi engagées dans cette course à la taille. C’est le cas de Sky Airlines, Air Sénégal, Air Côte d’Ivoire, RwandAir…
Ainsi, RwandAir projette de doubler sa flotte d’ici 5 ans. Actuellement, la compagnie dispose d’une flotte de 12 avions d’une moyenne d’âge de 8,2 ans.
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La flotte de la compagnie pourrait même croître de manière plus significative si Qatar Airways finalise sa participation de 49% dans RwandAir. Une fois que cet accord conclu, la compagnie rwandaise pourra davantage étoffer sa flotte et faire de Kigali un véritable hub. Le Qatar détenant une participation de 60% dans le nouvel aéroport international de Bugesera, en construction à l’est de Kigali.
En conclusion, toutes les compagnies africaines sont engagées dans une course à la taille pour le contrôle du ciel Seulement, sur ce marché, les compagnies aériennes africaines devront aussi faire face à la lutte féroce que leur livrent les compagnies aériennes européennes (Turkish Airlines, Air France…) et asiatiques (Emirates, Qatar Airways…). Certaines de ces compagnies sont bien implantées au niveau du continent. C’est le cas de Turkish Airlines, qui avec 62 destinations dans 41 pays, est d’ailleurs la compagnie qui dessert le plus de destinations en Afrique, devant les compagnies africaines.