La volatilité monétaire du Naira nigérian continue de constituer une menace pour les résultats financiers de nombreux grands groupes. Le dernier en date est le géant des spiritueux Pernod Ricard. Pour le géant français des vins et spiritueux, le premier trimestre de l’exercice fiscal 2025, correspondant aux mois de juillet, août et septembre 2024, a démarré en demi-teinte.
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Avec un chiffre d’affaires organique en baisse de 5,9%, soit 2,783 milliards d’euros, le groupe accuse le contrecoup d’une «faiblesse macroéconomique» dans certains marchés clés, comme la Chine et les États-Unis. Mais un autre facteur a pesé lourdement sur les résultats : les pertes de change liées aux mouvements défavorables de certaines monnaies, notamment le naira nigérian.
Distribution d’une flotte de 10 fourgons de transport, par Pernod Ricard Nigeria, lors d’un programme d’incitation réalisée en mars 2024.. DR.
Citant un «impact défavorable des taux de change de -103 millions d’euros, principalement lié au peso argentin, à la livre turque et au naira nigérian», le communiqué de Pernod Ricard met en lumière les défis posés par la volatilité monétaire. Et le naira, monnaie officielle du Nigeria, figure en bonne place parmi les principaux responsables de ces lourdes pertes.
Une dépréciation marquée face à l’euro
«Au Nigeria, où la croissance sous-jacente est forte, nous avons fait face à un décalage technique des ventes, qui devrait se résorber complètement au deuxième trimestre», tempère le groupe. Cependant, la dépréciation du naira face à l’euro au cours du trimestre écoulé semble avoir fortement grevé les recettes réalisées dans ce pays d’Afrique de l’Ouest, poids lourd économique du continent.
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Bien que Pernod Ricard ne communique pas la part exacte de ses ventes réalisées au Nigeria, le groupe y est solidement implanté avec ses marques phares comme Absolut, Ballantine’s, Chivas Regal ou Jameson. Une présence qui explique la sensibilité du groupe aux mouvements du naira, cette monnaie flottante non arrimée à l’euro.
Des conséquences à relativiser
Si les pertes de change liées au naira pèsent sur la performance trimestrielle, elles ne remettent pas en cause les prévisions annuelles du spécialiste des spiritueux. Dans son communiqué, le groupe «réitère sa confiance» dans ses objectifs à moyen terme de croissance organique des ventes nettes de 4 à 7% et de hausse de la marge opérationnelle organique de 50 à 60 points de base.
«Pour l’exercice 2025, nous prévoyons une croissance organique des ventes nettes sur l’ensemble de l’année, avec une poursuite du redressement des volumes, et le maintien de la marge opérationnelle organique», assure le groupe. Une confiance probablement nourrie par l’espoir d’une stabilisation du naira, du peso argentin, et de la livre turque et par la diversification géographique des activités, permettant de compenser les pertes sur certains marchés.
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Cependant, la volatilité du naira et les risques de change induits pourraient amener Pernod Ricard à revoir certains aspects de sa stratégie au Nigeria, comme le pricing ou l’allocation des investissements marketing. «Des actions sont en cours pour atténuer l’impact sur la performance du groupe », prévient d’ailleurs prudemment le communiqué.
Au-delà du cas spécifique du naira, cette première salve trimestrielle illustre la vulnérabilité des grands groupes aux soubresauts économiques dans certaines zones géographiques. Un rappel du défi permanent pour un acteur mondial : composer avec les aléas d’un environnement macroéconomique et monétaire parfois imprévisible.
Un exercice fiscal décalé
Comme indiqué plus haut, le premier trimestre de l’exercice fiscal 2025 chez Pernod Ricard correspond aux mois de juillet, août et septembre 2024. Contrairement à l’année civile, les entreprises peuvent choisir de décaler leur exercice fiscal, notamment pour des raisons opérationnelles liées à leurs cycles d’activité.
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Dans la plupart des pays francophones, l’année fiscale correspond généralement à l’année civile, c’est-à-dire du 1er janvier au 31 décembre. Cependant, les entreprises ont la possibilité de fixer une année fiscale décalée par rapport au calendrier civil. Ce choix répond souvent à des considérations opérationnelles et sectorielles spécifiques.
Dans le cas de Pernod Ricard, le décalage de l’exercice fiscal (qui débute en juillet et s’achève en juin) s’explique par la saisonnalité inhérente à l’industrie des vins et spiritueux. En effet, les principaux événements commerciaux et les périodes de forte consommation se situent en fin d’année civile, notamment avec les fêtes de fin d’année.
En calant son exercice fiscal sur la période de juillet à juin, Pernod Ricard peut ainsi intégrer de manière optimale ces pics d’activité dans son reporting financier annuel. Cela permet une meilleure visibilité sur la performance réelle et une planification plus efficace des opérations marketing et commerciales.
Ce décalage n’est pas une spécificité du géant français, d’autres grands groupes de l’agroalimentaire et des biens de consommation l’adoptent également, comme Danone (exercice d’avril à mars) ou Unilever (octobre à septembre).
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Pour les investisseurs et analystes financiers, ce type de particularité calendaire implique une certaine adaptation dans le suivi et la comparaison des performances trimestrielles et annuelles. Mais c’est un fonctionnement bien ancré et compris des marchés financiers.
En définitive, ce choix d’exercice fiscal décalé reflète la volonté des entreprises de se caler au plus près des réalités opérationnelles de leur secteur d’activité, plutôt que de suivre strictement le calendrier civil classique.