Gabon: la mangrove, un refuge de crustacés en danger au nord de Libreville

VidéoForêts uniques adaptées à l’extrême salinité du milieu marin, puits de carbone, écosystèmes complexes et refuges pour les alevins... Le rôle des mangroves est multiple et essentiel pour la survie de nombreuses espèces végétales et animales.

Le 06/08/2022 à 11h21

Selon les ONG gabonaises de protection de l'environnement, Libreville a perdu plus de 70 hectares de mangroves ces trois dernières années. Le phénomène est d'une ampleur telle que certaines ressources halieutiques, les crustacés, se raréfient dans la banlieue nord de la capitale gabonaise. C'est le cas des crabes et des couteaux de mer.

Situé à une vingtaine de kilomètres au nord de Libreville, le Cap Estérias, village très prisé par les touristes, regorge d’énormes richesses naturelles. Dans ce petit coin de paradis, les communautés locales vivent essentiellement de la pêche aux crabes dans la mangrove. Mais en raison de l'exploitation des carrières et de la destruction des palétuviers, c'est toute l'économie locale qui se trouve aujourd'hui fragilisée.

Charlotte Cocodji rentre d'une partie de pêche avec une maigre moisson. Sur sa table de cuisine, elle apprête quelques crabes farcis à proposer aux restaurateurs. «Avant, on trouvait ça facilement. Maintenant, c'est difficile. Il faut parcourir au moins une quinzaine de kilomètres pour attraper les crabes», déplore la quinquagénaire.

Après avoir évoqué les difficultés de la pêche aux crabes, nous partons relever les «casiers» dans la mangrove, en compagnie d’un groupe de piégeurs. Une occasion de découvrir la dextérité de ces jeunes hommes qui savent fabriquer des pièges efficaces avec des bouts de ficelle. «Normalement, le crabe mange tout: coco, noix de palme, papaye... Et voici comment on fabrique le piège. Tu prends la noix de palme, tu la mets à l'intérieur de la boîte. Quand le crabe entre par l'arrière du casier, le mécanisme se referme sur lui», explique Yan Penda Madola.

Selon ce jeune piégeur, il suffisait de 10 casier pour avoir une prise de 15 kg. «Or, aujourd'hui c'est impossible. Pourquoi? Parce qu'ils nous ont déjà ouvert toute la brousse là, on n'a plus rien», s'indigne-t-il. 

La randonnée pédestre sous les échasses de mangroves va durer environ une vingtaine de minutes. Yan Penda Madola et ses frères du village qui espéraient une chasse fructueuse doivent hélas se contenter de 5 kg de crabes pris dans les pièges posés la veille. Ils ne valent que 10.000 francs CFA.

«J'ai mon oncle qui a construit avec l'argent des crabes et scolarisé ses enfants. Aujourd'hui, ils travaillent. Maintenant si on nous détruit [la mangrove], comment va-t-on nourrir nos enfants?», se demande-t-il. C'est que dans la famille du jeune Yan, on est pêcheur de génération en génération. Un travail qui, autrefois, rapportait environ 150.000 francs CFA/mois, soit plus de 200 euros. Aujourd'hui, l'activité économique du Cap Estérias est en péril.

Actions citoyennes pour le développement local du Cap Estérias (ACDL) tire la sonnette d’alarme sur ce désastre écologique. Son président, Paul Kopédina Itanguino, nous explique la génèse et le combat de cette ONG locale: «C'est suite à cette situation que nous avons pensé mettre en place une ONG qui puisse défendre les enjeux de préservation de l'environnement et de l'économie locale qui est essentiellement basée sur la récolte des crabes de terre, la pêche des couteaux de mer et autres fruits de mer.»

Du coté du gouvernement, des mesures plus contraignantes devant dissuader les hors-la-loi sont à l'étude. Ceci, un an après la mise en place d’un arrêté qui oblige les spéculateurs fonciers à réaliser des études d’impact environnemental avant d’exercer toutes sortes d’activités dans les mangroves.

«Il va de soi qu'on ne va pas pouvoir continuer à tolérer que les uns et les autres, impunément, dégradent un bien commun. Systématiquement, une fois que ça va être fait, les auteurs de destruction de mangroves vont être traduits devant les tribunaux. Il faut s'y attendre à l'instar de ce qui a été fait au niveau des crimes fauniques», met en garde Jean Hervé Mve Beh, directeur général des écosystèmes aquatiques au ministère gabonais des Eaux et forêts.

La destruction des mangroves tant décriée au Gabon va à l’encontre du Code de l’environnement du pays, et particulièrement l’article 64 relatif à l’interdiction de construire des bâtiments dans des milieux naturels sensibles ou proches de rivages.

Par Ismael Obiang Nze (Libreville, correspondance)
Le 06/08/2022 à 11h21