Économies africaines: les raisons d’une croissance économique molle

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Le 09/06/2021 à 13h38, mis à jour le 09/06/2021 à 13h46

La croissance économique mondiale sera de 5,6% en 2021, selon la Banque mondiale. Toutefois, celle de l'Afrique ne devrait pas dépasser 2,7% avec seulement deux pays affichant des croissances supérieures à la moyenne mondiale. Plusieurs facteurs expliquent cette situation.

Après la récession de l’économie mondiale en 2020 à cause de la pandémie du Covid-19, l’heure est à la reprise. Et grâce à la décrue de la pandémie qui a permis la reprise des économies, la Banque mondiale a revu à la hausse ses prévisions de croissance dans son dernier rapport sur les Perspectives économiques mondiales de ce mois de juin.

Selon l’institution, l’économie mondiale devrait croître de 5,6% en 2021, affichant ainsi un rebond post-récession d’une ampleur sans précédent en 80 ans.

Seulement, cette croissance est une fois encore tirée par les deux plus grandes puissances économiques mondiales : les Etats-Unis (6,9%) et la Chine (8,5%).

Quant aux pays africains, leur reprise sera au rendez-vous, mais elle sera très molle. Ainsi, l’Afrique subsaharienne devrait enregistrer un taux de croissance de 2,8% en 2021 et 3,3% en 2022. Quant à la région Moyen-Orient et Afrique du Nord, l’activité économique devrait y rebondir de 2,4% en 2021 et passer à 3,5% en 2022.

La croissance des économies africaines en 2021 devrait donc tourner autour de 2,7%. Un niveau globalement faible, mais en ligne avec ceux des années d’avant Covid-19.

Et seulement deux pays vont enregistrer des taux de croissance supérieurs à la moyenne mondiale de 5,6% : le Botswana et la Côte d’Ivoire avec respectivement 6,9% et 5,7%.

Avec une moyenne globale autour de 2,7%, la croissance des économies africaines ne sera pas uniforme. Si deux pays enregistreront encore des récessions (Soudan du Sud -3,4% et République du Congo -0,1%), tous les autres devraient renouer avec des taux positifs. Certains afficheront des fortes croissances en dépit des effets de la pandémie du Covid-19. Sans surprise, ce sont globalement des économies qui enregistraient déjà des taux croissance élevés.

Ainsi, pour cette année de reprise, en dehors du cas particulier de la Libye (66,7%), c’est le Botswana qui devrait enregistrer la plus forte hausse de son PIB au niveau du continent avec +6,9%. Il s’agira plutôt d’un rattrapage, l’économie botswanaise ayant enregistré une récession de -7,9% en 2020 à cause des effets de la pandémie sur ses exportations et son tourisme. Loin derrière, suivra la Côte d’Ivoire avec une croissance estimée à 5,7% en 2021, après une évolution positive de son PIB de 1,8% en 2020.

Faiblement touché par la pandémie du Covid-19, le pays tire profit de son plan de relance représentant 6,5% de son PIB et de la poursuite de la politique des grands travaux menée par le régime en place. La Côte d'Ivoire devrait également tirer profit de la reprise de la demande des économies développées pour ses produits agricoles (cacao, noix de cajou,…).

Les autres pays qui devraient enregistrer des taux de croissance élevés sont la Guinée (5,5%), Djibouti (5,5%), le Bénin (5,0%), le Rwanda (4,9%), le Niger (4,7%), le Maroc (4,6%) et la Tanzanie (4,5%).

Concernant les 5 grandes puissances économiques africaines, les taux de croissance annoncés sont de 1,8% pour Nigéria, 2,3% pour l’Egypte, 3,5% pour l’Afrique du Sud, 3,6% pour l’Algérie et 4,6% pour le Maroc. 

Pourquoi le continent enregistrera-t-il une croissance beaucoup moins forte que la moyenne mondiale en 2021? Cette situation s’explique par le fait qu’avant même la crise de la pandémie du Covid-19, le continent africain connaissait déjà un net ralentissement. En 2016, le continent qui enregistrait des taux de croissance élevés, parmi les plus forts des cinq continents, connait depuis 2017 un net ralentissement. En 2019, une année avant la pandémie du Covid-19, l’Afrique enregistrait sa plus faible croissance en 25 ans, avec une hausse du PIB de seulement 2,5%.

Conséquence, la pandémie du Covid-19 a rapidement mis à genou les économies africaines déjà fragiles qui ont enregistré leur première dépression depuis 50 ans avec un PIB en évolution de -2,4% pour l’Afrique.

Ensuite, il y a l’effet du ralentissement induit par la pandémie qui a impacté négativement les économies africaines en touchant particulièrement certains ressorts de ces économies dont le tourisme, le transport aérien, les exportations de matières premières,…

Enfin, il y a aussi le fait que, contrairement aux pays développés et émergents qui ont les moyens de mettre en place des programmes de relance économique, les pays africains ne disposent pas des moyens financiers nécessaires pour soutenir la reprise.

La majeure partie des pays du continent font face à des problèmes budgétaires énormes à cause des financements induits par la crise sanitaire et se sont fortement endettés auprès des bailleurs de fonds et des institutions financières internationales. D’ailleurs, face au refus des pays développés d’effacer les dettes des pays africains, beaucoup se retrouvent aujourd’hui dans des situations très délicates.

C’est le cas de la Tunisie qui fait face à un problème aigu de remboursement de sa dette auprès des institutions financières et bailleurs de fonds étrangers. Avec un taux d’endettement supérieur à 100% et à des échéances du service de la dette devant tomber à la fin du mois de juin et s’établissant à près d’un milliard de dollars, le pays s’est tourné, sans succès pour le moment, vers le Fonds monétaire international (FMI). Au vu de ses problèmes financiers énormes, la Tunisie ne peut concocter de plan de relance pour redynamiser son économie. Ainsi, après une dépression de -8,8% en 2020, elle devrait enregistrer une croissance de 4,0% en 2021, 2,6% en 2022 et 2,2% en 2023.

L’un des rares pays du continent à avoir élaboré un plan de relance économique est le Maroc. Avec un plan de 120 milliards de dirhams, soit un engagement global de près de 12% du PIB, il s’agit du plus ambitieux plan de relance du continent, contre 6,5% du PIB pour la Côte d’Ivoire, 3% pour la Tunisie et 1,6% pour l’Egypte. 

Annoncé en octobre 2020, et évalué à 120 milliards de dirhams, soit 11 milliards d’euros, ce plan comprend deux dispositifs principaux: un dispositif de prêts garantis par l’Etat de 75 milliards de dirhams et un Fonds d’investissement stratégique de 45 milliards de dirhams. Ce dispositif a contribué à la résilience de l’économie marocaine et on comprend pourquoi elle devrait enregistrer la plus forte reprise au niveau de la région MENA en 2021 avec une croissance de 4,6% en 2021.

Or, sans plan de relance, il est difficile de remettre les économies, durement touchées par la crise sanitaire, à flot et espérer enregistrer des taux de croissance élevés. Et les problèmes de financement risquent de s’accentuer du fait que de nombreux pays africains présentent des niveaux d’endettement inquiétants avec des taux d’endettement proches ou dépassant les 100%. Une situation qui va pousser de nombreux bailleurs de fonds et institutions financières à être plus regardants en matière d’octroi de crédits. Or, avec des ressources budgétaires affectées par la crise sanitaire et les croissances molles des économies, les pays africains auront besoin de dettes pour financer leurs déficits budgétaires et relancer leurs économies.

Par ailleurs, les modèles économiques africains basés grandement sur les exportations de matièrs premières et les rentes pétrolières ont montré leurs limites. Pour des croissances robustes, l'Afrique doit franchir le cap de la transformation de ses matières premières et s'industrialiser afin de créer plus de valeur ajoutée localement et créer par la même occasion des emplois pour dynamiser la consommation intérieure en tant que moteur de la croissance. 

Enfin, les pays africains vont continuer à faire face à la décrue des investissements directs étrangers et à la faiblesse des arrivées de touristes occidentaux à cause de la persistance de la pandémie et des mesures prises par ces pays pour limiter les déplacements de leurs ressortissants.

Une chose est claire, avec des taux de croissance globalement faibles, l’Afrique ne pourra pas faire face aux défis structurels que constituent les déficits courants et budgétaires persistants et encore moins faire face à son endettement inquiétant. Pire, avec de telle évolution des PIB africains, la création d’emplois sera très faible sur le continent. Or, avec une population africaine en âge de travailler qui devrait passer de 705 millions de personnes en 2018 à près d’un milliard d’ici 2030, l’Afrique doit créer chaque année 12 millions de nouveaux emplois pour contenir l’augmentation du chômage.

Par Moussa Diop
Le 09/06/2021 à 13h38, mis à jour le 09/06/2021 à 13h46