Afrique: bilan de l'année 2021 et perspectives pour 2022

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Le 28/12/2021 à 12h09, mis à jour le 28/12/2021 à 12h09

Le discours guerrier algérien n’a cessé de monter en puissance. En 2022, le risque est que, à force de durcir le ton et de tenir des discours guerriers, un point de non-retour finisse par être atteint avec pour résultat un conflit qui n’aurait que des résultats négatifs pour l’Algérie et le Maroc.

Comme en 2019 et en 2020, durant l’année 2021, la conflictualité africaine a concerné les mêmes pays et les mêmes régions, à savoir la Libye, le Sahel, la Corne, l’Afrique centrale, la région des Grands lacs et le Mozambique. En plus de cela, la tension est fortement remontée entre le Maroc et l’Algérie, cependant que l’Ethiopie a de nouveau fait l’actualité avec la question de la sécession du Tigré. Politiquement, l’année 2021 a également vu se dérouler nombre d’élections qui n’ont fait que confirmer les rapports démographiques, les peuples les plus nombreux l’emportant sur les moins nombreux, en raison de l’ethno-mathématique électorale.

En Libye, à la fin de l’année 2021, la réalité était celle d’une partition. Replié en Cyrénaïque après avoir échoué à s’emparer de Tripoli, le général Haftar, soutenu par l’Egypte et les Emirats arabes, contrôlait les terminaux pétroliers du golfe de Syrte cependant qu’à Tripoli, le Gouvernement d’union nationale constitué le 19 janvier 2016 sous les pressions de l’ONU, n’avait survécu que grâce à l’intervention militaire turque.

En Algérie, le Covid-19 a mis un terme aux immenses manifestations du Hirak, mais la crise demeure. La situation sociale catastrophique et le chômage abyssal font que la jeunesse, ancrée dans une culture de survie n’a pour seul horizon que l’émigration vers l’Europe. En plus de cela, durant toute l’année 2021, les clans de janissaires ne cessèrent d’intriguer et de s’entre-déchirer, une trentaine de généraux étant emprisonnés. «L’Algérie nouvelle» annoncée par le président Tebboune est de plus en plus apparue pour ce qu’elle est, à savoir le prolongement gérontocratique de l’Algérie de Bouteflika: âgés respectivement de 76, 77, 85 et 90 ans, le président Tebboune, le général Chengriha chef d’état-major, le général Benali Benali, chef de la garde républicaine, et Salah Goujil, président du Sénat, l’homme qui devrait assumer la période transitoire en cas de disparition du président, tous quatre approchent du terme de leur horloge biologique…

Après avoir unilatéralement rompu ses relations diplomatiques avec le Maroc, puis après avoir interdit son espace aérien à ses avions civils et mis un terme au projet de gazoduc à destination de l’Espagne transitant par le Maroc, le discours guerrier algérien n’a cessé de monter en puissance. Le cœur du problème est la question du Sahara occidental arraché au Maroc par la colonisation. Or, pour les Marocains, il s’agit de leur «Alsace-Lorraine», alors que les Algériens voudraient la création d’un «Etat sahraoui» qui leur soit inféodé, ce qui interdirait au Maroc de disposer d’un littoral de plusieurs milliers kilomètres depuis Tanger au nord à la frontière mauritanienne au sud. En 2022, le risque est que, à force de durcir le ton et de tenir des discours guerriers, un point de non-retour finisse par être atteint avec pour résultat un conflit qui n’aurait que des résultats négatifs pour les deux pays.

Au Sahel, durant l’année 2021, la nouveauté fut l’exacerbation de la confrontation entre l’EIGS (Etat islamique dans le Grand Sahara), rattaché à Daech, et les groupes se réclamant de la mouvance Al-Qaïda. Au nord Mali, les rapports de force locaux ont changé en profondeur car ses «émirs» algériens ayant été tués par la force française Barkhane, Al-Qaïda-Aqmi n’est maintenant plus localement dirigée par des étrangers, mais par le Touareg ifora Iyad ag Ghali dont les motivations sont d’abord ethno-tribales, et qui est soutenu par Alger.

Plus au sud, au Macina, dans la région dite des «Trois frontières», au Liptako et dans le Soum, le conflit est ancré sur une fraction de l’ethnie des Peul. Or, les jihadistes cherchent à utiliser l’implantation transnationale de ces derniers pour étendre leurs actions terroristes à tout le Sahel et à la région soudanienne. Notamment au Burkina Faso, dernier verrou avant le couloir d’accès menant aux pays côtiers, dont la Côte d’Ivoire.

Dans la région péri-tchadique, l’année 2021 a vu le retour en force des deux branches de Boko Haram, cependant qu’au Cameroun, la partie anglophone située dans le sud-ouest du pays, et qui rassemble 20% des Camerounais, a vécu une situation d’insurrection sécessionniste.

En Centrafrique, rien ne semble pouvoir mettre un terme à une guerre ethnique et crapuleuse menée là encore sous couvert religieux. L’année 2021 a vu le pays connaître une évolution de type «libyen» avec une guerre de tous contre tous, les milices ethno-tribales vivant de la mise en coupe réglée des richesses du sous-sol.

En RDC, en Ituri, région du lac Albert, l’année 2021 a vu se rallumer une féroce guerre ethnique déclenchée par les Lendu. Ainsi donc, en dépit de la présence de 16.000 casques bleus, tout a donc recommencé au cœur d’une région hautement crisogène en contact avec les foyers embrasés du Soudan du Sud et de la RCA.

Le Soudan du Sud n’est pas parvenu à dépasser l’opposition entre Dinka et Nuer. Cette guerre civile incessante ne doit cependant pas faire oublier que le contentieux territorial et pétrolier entre les deux Soudan n'a pas été réglé, et que la guerre entre les deux Etats peut donc reprendre à tout moment.

Le Soudan du Nord a quant à lui connu des évènements qui sont l’exacte répétition de ce qui s’était passé en Egypte entre 2011 et 2013. Ici, face à une énorme contestation populaire mais ne voulant par affronter directement la foule, en 2019, l’armée laissa cette dernière chasser du pouvoir le général Omar el-Béchir, mais tout en demeurant maîtresse du jeu. Puis dans la nuit du 24 au 25 octobre, le général al-Burhane prit le pouvoir.

La Somalie a continué à s’auto-détruire sur fond de tension avec le Kenya, cependant que l’Ethiopie a renoué avec la guerre civile à la suite de la quasi-sécession du Tigré. Or, cette guerre est une menace gravissime pour la stabilité de toute la Corne en raison des apparentements ethniques transfrontaliers.

De plus, l’Ethiopie est sous la menace d’une intervention aérienne égyptienne en raison de la poursuite des travaux hydroélectriques qui vont faire baisser le débit du Nil, ce que l’Egypte ne pourra pas accepter.

Le nord du Mozambique est quant à lui toujours secoué par une guérilla islamiste dont les ramifications s’étendent jusqu’en Somalie.

Par Bernard Lugan
Le 28/12/2021 à 12h09, mis à jour le 28/12/2021 à 12h09