Pénurie d’eau au Maghreb: le dessalement de l’eau de mer au cœur des stratégies prioritaires des Etats

DR

Le 03/04/2022 à 12h44, mis à jour le 03/04/2022 à 13h54

Les pays maghrébins sont très affectés par le stress hydrique. A cause des pénuries d'eau consécutives à la sécheresse aiguë de 2021/2022, ils misent tous désormais sur le dessalement d’eau de mer pour assurer leur sécurité en eau potable avec des dizaines d'unités en cours de réalisation.

Si l’Afrique est le continue qui pollue le moins, c’est aussi celui qui subit le plus les effets du changement climatique. Ainsi, selon l’ONU, d’ici 2030, entre 75 et 250 millions d‘Africains vivront dans des pays où le stress hydrique sera important. Une situation qui va entrainer le déplacement de plusieurs millions de personnes, provoquer des famines et même des conflits entre Etats pour le contrôle des eaux.

En effet, les rapports du Conseil mondial de l’eau, estiment que l’Afrique a besoin annuellement de 20 milliards de dollars à l’horizon 2030 pour faire face à la crise de l’eau qui se dessine.

Cette crainte se fait déjà sentir dans de nombreux pays africains. C’est le cas de ceux du Maghreb qui sont les plus affectés par le phénomène de stress hydrique au niveau du continent. En Algérie, par exemple, les pénuries d’eau sont devenues structurelles poussant les autorités à rationner l’eau en 2021 au niveau de la capitale Alger durant plusieurs semaines.

Suite à la sécheresse sans précédente de 2021-2022, c’est toute la région qui est touchée de plein fouet par le déficit hydrique, avec des barrages presque à sec avant les dernières pluies de mars 2022, montrant à quel point les pays maghrébins sont vulnérables aux effets des changements climatiques. Dans tous les pays de la région, les nappes souterraines dont surexploitées et les barrages sont incapables de satisfaire les besoins en eau de la région, à cause des déficits pluviométriques, des besoins en eau pour l’irrigation et l’urbanisation galopante qui entraine une forte demande d’eau en milieu urbain.

Du coup, sans être la panacée, le dessalement de l’eau de mer figure désormais au cœur des piliers stratégiques des Etats maghrébins pour mobiliser des ressources en eau potable. En effet, il est clair que les unités de dessalement de l’eau de mer ne peuvent pas remplacer le rôle que jouent les barrages dans l’alimentation en eau potable des populations de la région, mais elles peuvent fortement atténuer les pénuries en eau potable des grandes agglomérations maghrébines : Alger, Casablanca, Agadir,…

Reste que le procédé qui permet de transformer l’eau de mer en eau douce est très gourmand en consommation d’énergie, et donc très coûteux. Le système d’osmose inverse qui utilise la pression pour séparer le sel de l’eau nécessite une grande quantité d’électricité.

N’empêche, les pays n’ont pas le choix. Il faut trouver une alternative crédible aux déficits en eau potable et l’eau de mer est abondante. Les énergies renouvelables semblent aussi à même d’atténuer la facture d’électricité et donc de réduire le coût. C’est pour faire face au coût que le Maroc mise sur l’exploitation des énergies renouvelables (éolienne et solaire) pour le dessalement de l’eau de mer.

Algérie : face aux pénuries d’eau, le dessalement devient la priorité

Pays maghrébin le plus touché par les pénuries d’eau qui ont atteint en 2021 des niveaux alarmants dans la capitale Alger, avec des coupures d’eau durant plusieurs semaines et un rationnement d’eau potable, les autorités ont décidé d’accélérer la mise en place d’unités de dessalement d’eau de mer. De même, l’approche visant à mettre en place de petites unités a été délaissée au profit de grandes unités.

L’Algérie est le pays maghrébin qui a le plus investi dans le dessalement de l’eau de mer. Le pays compte un peu plus d’une vingtaine d'unités actuellement. Alger avait fait le pari du dessalement au début des années 2000, au détriment des barrages hydroélectriques. En 2001, il était prévu de réaliser 43 stations de dessalement à l’horizon 2019 pour un investissement total de 14 milliards de dollars.

Les autorités ont entamé la réalisation des unités, surtout durant la période 2007-2014, dans le sillage de la hausse des cours du baril de pétrole. Toutefois, de nombreuses unités programmées à l’époque n’ont pas vu le jour suite à la chute du cours du baril de pétrole à partir de 2014. Au total, à fin 2019, seules 14 unités avaient été réalisés et seulement 11 fonctionnaient, faute d’entretien et d’investissements.

C’est pourquoi le pays s’est retrouvé dans des situations de pénuries inquiétantes et chroniques d’eau au cours de ces dernières années, pénuries qui ont atteint leur point culminant en 2021 avec le rationnement d’eau potable à Alger.

Face à cette situation, le dessalement s’est imposé comme une solution immédiate et stratégique pour le pays soumis à une raréfaction des ressources en eau.

Plusieurs unités ont été lancées au cours de ces dernières années, mais dont la plupart sont de petites capacités, entre 7.500 m3/J et 60.000 m3/j. Toutefois, face à la persistance des pénuries d’eau, les autorités ont annoncé un nouveau Plan d’urgence. Celui-ci prévoit la réalisation de grandes unités de dessalement de l’eau de mer. Il est ainsi prévu la réalisation d’une unité de 300.000 m3/j à Alger-Ouest, une autre à Cap Djenet de 400.000 m3/j) et une 3e à El Tarf (250.000 m3/j). D’autres projets d’unités de dessalement sont également programmés dans d’autres régions : Oran, Mostaganem, Jijel, Skikda, Béjaîa et Tizi-Ouzou, avec l’objectif d’installer une grande unité de dessalement dans chacune des 14 wilayas du littoral algérien.

Avec ces projets, la part de l’eau de mer dessalée consommée dans le pays passera de 17% actuellement, à 42% en 2024 et 60% à l’horizon 2030. A cette date, les parts des eaux souterraines et superficielles représenteront chacune 20% des eaux consommées en Algérie.

Maroc : le dessalement pour diversifier les sources d’approvisionnement en eau potable et irriguée

Longtemps épargné par les pénuries d’eau grâce à l’accent mis, dès les premières années de l’indépendance, sur la politique des barrages qui ont permis d’alimenter en eau potable des zones urbaines et l’agriculture irriguée, le royaume est lui aussi très touché par le stress hydrique, sous l’effet des sécheresses qui ont réduit fortement les réserves en eau des barrages, de la forte urbanisation et de l’épuisement des eaux souterraines. Il figure même au 23e rang mondial des pays les plus affectés par le stress hydrique, selon un rapport du World Ressources Institute (WRI). En effet, le potentiel des ressources en eau par habitant est passé de 2.500m3/habitant/an dans les années 1960 à 800 m3/ht/an actuellement et pourrait tomber à 500m3/ht/an en 2030, sachant qu’une région est en stress hydrique lorsqu’elle passe sous la barre symbolique des 1 000 m3 d’eau douce par habitant sur une période d’un an. 

Du coup, les autorités misent désormais sur le dessalement de l’eau de mer pour sécuriser les besoins en eau potable et en irrigation. Et le potentiel est immense grâce à une côte maritime de 3.500 km.

A ce titre, le projet d’usine de dessalement d’eau de mer à la périphérie de la ville d’Agadir d’une capacité de 275.000 mètres cubes/jour pendant la première phase, extensible à 400.000 mètres cubes d’eau dessalée/jour à terme, est considéré comme le plus grand d’Afrique. D’un coût de 493 millions de dollars, cet important projet s’inscrit dans le cadre du Programme national d’approvisionnement en eau potable et d’irrigation 2020-2027 lancé en janvier 2020, pour un coût total de 115,4 milliards de dirhams, soit 13 milliards de dollars.

Outre l’approvisionnement en eau potable d’une population estimée à 6,6 millions de personnes, cette station va renforcer l’activité agricole dans la région de Souss-Massa en comblant le déficit hydrique enregistré dans le niveau de la nappe phréatique estimé à 90 millions de mètres cubes par an.

Une unité d’une capacité de 300 millions de mètres cubes sera installée à Casablanca. Celle-ci sera opérationnelle d’ici 2027 et nécessitera un investissement de 9,5 milliards de dirhams dans le cadre d’un Partenariat public-privé.

Actuellement, le Maroc compte 5 usines de dessalement d’eau de mer dans les villes de Laâyoune, Boujdour, Tan-Tan, Sidi Ifni, Al-Hoceima et Agadir. S’ajouteront les unités de Casablanca, de Safi, Nador et Dakhla. Il est aussi prévu la construction d’une unité à El Guerguerat, d’une autre unité à Dakhla pour l’approvisionnement en eau potable et irrigation, et l’extension des capacités des unités de dessalement existantes de Laâyoune, Tan-Tan et Sidi Ifni. Au total, le Maroc ambitionne de mettre en place 20 stations de dessalement de l’eau.

Avec d’autres projets dans le pipe, le Maroc compte atteindre, d’ici 2050, une capacité totale de 1 milliard de mètres cubes d’eau de mer dessalée par an.

En outre, afin d’atténuer le coût de production d’eau dessalée, le Maroc compte sur les énergies renouvelables (solaire et éolien). Ainsi, à Dakhla, l’unité de dessalement fonctionnera avec de l’énergie éolienne. 

Le royaume met ainsi à profit la baisse importante du coût de l’énergie renouvelable, notamment d’origine éolienne, en programmant le couplage de ces stations de dessalement à des parcs éoliens, ce qui se traduira par une réduction encore plus importante des coûts d’exploitation des stations de dessalement. 

Tunisie : le coût de production de l’eau dessalée est élevé

En Tunisie aussi, le dessalement est au cœur de la stratégie nationale pour mobiliser des ressources en eau. A ce titre, la Cheffe du gouvernement, Najla Bouden, a posé le vendredi 1er avril, la première pierre du démarrage des travaux de construction d’une unité de dessalement d’eau de mer à Sfax. Il s’agit d’une station qui traitera 100.000 mètres cubes d’eau par jour dans une première phase, et 200.000 m3 dans une seconde phase. Le coût de cette unité est estimé à 800 millions de dinars tunisiens financé par un prêt de l’Agence japonaise de coopération internationale (JICA), remboursable sur 25 ans.

En effet, actuellement, la Tunisie compte plusieurs dizaines d'unités de dessalement d’eau de mer, globalement de petites tailles, et quelques stations de tailles plus importantes atteignant des capacités totales de traitement de 100.000m3/jour. Et la capacité de production d’eau dessalée est de seulement 300.0000 m3 par jour, en Tunisie.

Globalement, c’est la technique d’osmose inverse qui est utilisée car mieux adaptée au contexte technico-économique du pays.

Toutefois, le coût de dessalement d’un mètre cube d’eau de mer est élevé et avoisine les 3 dinars en Tunisie. Ce coût se décomposant en tarif d’électricité (40% du coût), l’amortissement (40%), l’entretien (10%) et d’autres charges (10%). D’où l’intérêt de recourir aux énergies renouvelables pour réduire les coûts d’exploitation et donc du coût de production du mètre cube d’eau.

Par Moussa Diop
Le 03/04/2022 à 12h44, mis à jour le 03/04/2022 à 13h54