Migration et expulsions: les enjeux de la visite du ministre français de l’Intérieur au Maghreb

Gérard Darmanin, ministre français de l’Intérieur.

Gérard Darmanin, ministre français de l’Intérieur.. DR

Le 06/11/2020 à 13h16

Après le Maroc en octobre dernier, le ministre français de l’Intérieur effectue des visites en Tunisie et en Algérie, dans un contexte marqué par les récentes attaques terroristes dans l'Hexagone. Les détails.

C’est ce vendredi 6 novembre que le ministre français de l’Intérieur Gérald Darmanin a entamé sa tournée en Tunisie, avant de se rendre les 7 et 8 novembre en Algérie. Dans ces deux pays, il sera reçu par ses homologues tunisien et algérien. Il avait fait le déplacement le 15 octobre dernier au Maroc pour rencontrer son homologue marocain Abdelouafi Laftit et le ministre des Habous et des affaires islamiques, Ahmed Toufik.

Ces visites interviennent dans un contexte marqué par les récentes attaques terroristes en France. Le principal suspect de la dernière attaque à Nice qui a fait 3 morts dans une église, le 29 octobre, est un Tunisien de 21 ans arrivé clandestinement en France via l’île italienne de Lampedusa.

Ces visites, qui mèneront également Gérald Darmanin à Malte, une des portes d’entrée des migrants venant du Maghreb, sera «une occasion pour échanger les vues au sujet de la coopération entre les secteurs de l’Intérieur des deux pays et examiner les voies de renforcement de la coordination dans nombre de domaines d’intérêt commun», souligne un communiqué du ministère algérien de l’Intérieur.

Du côté français, le ton est donné. Le ministre Darmanin souhaite discuter avec ses homologues des échanges d’informations et de la possibilité de se mettre d’accord «sur le renvoi d’un certain nombre de personnes qui appartiennent à ces pays puisqu’ils ont la nationalité de ces pays et qu’ils sont confondus de radicalisation dans notre pays». Le ministre français a annoncé que 16 personnes «confondues de radicalisation» ont été expulsées ces dernières semaines et que 458 autres personnes ont été expulsées durant les 3 dernières années.

Il faut aussi souligner que parmi les 231 étrangers en situation irrégulière en France et suivis pour radicalisation, 70% sont issus de quatre pays: Algérie, Maroc, Tunisie et Russie.

Les autorités françaises veulent de profiter de ces attentats pour mettre la pression sur les pays maghrébins à la veille d'élections cruciales. Le président français Emmanuel Macron qui prépare les prochaines consultations électorales –départementales et régionales en 2021 et présidentielle et législative en 2022- pousse ses pions sur le terrain de la droite française qui gagne du terrain et qui se positionne comme la principale opposition au régime en place.

C’est à ce titre que le président français qui a tenu un discours un peu radical envers les musulmans suite aux attentats terroristes, suscitant de vives réactions dans les pays musulmans et l'ayant poussé à atténuer sa sortie sur la chaîne Al-Jazeera, tente de mettre la pression sur les pays maghrébins, principaux pourvoyeurs de migrants en France.

Le président français a ainsi téléphoné à son homologue tunisien Kaïs Saied pour lui demander de rapatrier les migrants tunisiens en situation irrégulière ainsi que tous les Tunisiens portant «un discours fanatique».

Au-delà des pressions médiatiques et politiques, la France compte aussi exercer des pressions économiques sur les trois pays maghrébins afin de les obliger à coopérer en matière de rapatriement des immigrés dans les situations susmentionnées. Des pressions corroborées par la présidente de la région Ile-de-France, Valérie Pécresse, qui a déclaré dans une radio française que la France ne peut continuer à aider économiquement les pays maghrébins si ces derniers ne l’aident pas en retour à faire face au terrorisme et à l’immigration clandestine.

La France compte aussi durcir les conditions d’octroi des visas. Si le ministre français des Affaires étrangères, Le Drian, a souligné que le terrorisme et l’immigration irrégulière étaient deux problèmes distincts, ce qui pourtant ne semble plus être le cas avec les pressions exercées sur les pays maghrébins, il a tenu à souligner que les demandes de visa seront examinées de façon plus rigoureuse.

Un autre moyen de faire la pression sur les pays du Maghreb qui figurent parmi les principaux bénéficiaires de visas Schengen. En 2019, le Maroc, l’Algérie et la Tunisie occupaient les trois premiers rangs des pays bénéficiaires de visa Schengen avec respectivement 346.032 visas, 274.421 visas et 145.846 visas. Au niveau mondial, le Maroc et l’Algérie occupent les 3e et 4e places derrière la Chine (757.500 visas) et la Russie (486.706 visas).

Ainsi, la tournée du ministre français de l’Intérieur qui le mènera également à Malte, un des points d’entrée des migrants sur le territoire français, est loin de faire l’unanimité en Tunisie. Des associations et des organisations non gouvernementales tunisiennes ont adressé une lettre ouverte au ministre français intitulée «Le combat contre le terrorisme salafiste jihadiste doit se faire dans le respect des droits des Tunisien(ne)s et des migrant(e)s».

Les rédacteurs de cette lettre ouverte soulignent: «les principes des droits humains sont universels et [nous] déclarons avec la même détermination notre rejet de tous les discours haineux propagés par certains responsables, forces politiques et médias européens contre les migrants ainsi que les amalgames inacceptables visant à rendre les populations musulmanes ou présumées comme telles responsables et coupables».

De même, dénoncent-ils et rejettent «les pressions politiques contre le gouvernement tunisien et les gouvernements du sud par certains gouvernements européens qui profitent de l’effroi occasionné par les effroyables crimes commis par les terroristes pour se débarrasser des migrants sans papiers au mépris du droit et de la justice».

Par Moussa Diop
Le 06/11/2020 à 13h16