Les relèvements de taux directeur se succèdent à une cadence marquée sur le continent africain, dans le sillage de la flambée continue des prix. Le dernier remonte au 27 septembre, lorsque Bank Al-Maghrib a relevé de 50 points de base son taux directeur à 2%. La banque centrale marocaine est d’ailleurs l’une des moins actives dans ce sens en Afrique.
Au Nigeria également, la banque centrale (Central Bank of Nigeria) a relevé, le 27 septembre à la suite d’une réunion du Comité de la politique monétaire, , son taux directeur de 150 points de base, le faisant passer à 15,5%, soit son plus haut niveau sur ces 20 dernières années. Ce taux était de 14% en juillet dernier et 13% en mai.
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C’est le cas aussi de l’Egypte. Après avoir baissé son taux directeur de manière discontinue depuis juillet 2017, la banque centrale du pays a relevé le taux de son loyer d’argent de 100 points le 21 mars dernier à 9,25% pour faire face à l’inflation qui avait atteint 12,1%, contre 4,4% à la même période une année auparavant, dans le sillage de la guerre en Ukraine et de la flambée des cours du pétrole et des produits agricoles, notamment le blé et les oléagineux dont le pays importe des quantités importantes.
Ensuite, deux mois plus tard, la banque centrale a procédé à une nouvelle hausse de son taux directeur de 200 points de base à 11,25% pour faire face à la hausse des prix avec un taux d’inflation de 15,3% en mai. Outre la flambée des prix à l’international, notamment du pétrole et du blé, cette inflation est aussi portée par la dévaluation de la livre égyptienne le 21 mars dernier. Ce jour-là, la monnaie égyptienne a vu sa valeur passer de 15,6 livres à 19,01 livres pour 1 dollar, soit une chute de près de 22%. Une situation qui a renchéri encore plus les importations en devises étrangères et qui a impacté sur les prix, notamment ceux des produits alimentaires dont les hausses ont atteint 66%. En juillet, l’inflation a atteint 15,6%, avant de reculer légèrement le 8 septembre à 15,3%, contre 6,4% à la même période de l’année dernière.
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Dans le même sillage, la Banque centrale du Ghana (BoG) a relevé en mars son taux directeur de 250 points de base, le faisant passer de 14,5% à 17%, puis à 19% en mai dernier, lorsque l’inflation a atteint 23,6%. Et ce n’est pas fini. Face à une inflation galopante, la BoG a relevé son principal taux directeur de 300 points à 22% le 18 août dernier, alors que le taux d’inflation a atteint 31,7% en juillet dernier. C’est le 11e mois consécutif que le Ghana enregistre une accélération de l’inflation globale, en dépit des révisions du taux directeur, passé de 14,5% à 22% depuis le déclenchement de la crise en Ukraine.
En Afrique du Sud, la Banque centrale a relevé en septembre son taux directeur de 75 points de base, après une hausse identique en juillet, pour le porter à 6,25%, dans l’optique de lutter contre l’inflation qui a atteint un niveau de 7,9% en août dernier, soit son plus haut niveau depuis 13 ans.
La Banque centrale des Etats de l'Afrique de l'Ouest et d’autres banques centrales du continent ont également multiplié les relèvements de taux directeur. Ce mécanisme monétaire est partout justifié par le désir des Etats de faire face aux flambées des prix sous l’effet combiné des séquelles de la pandémie du Covid-19, de l'impact de la guerre en Ukraine à travers la persistance du renchérissement des produits énergétiques et alimentaires (blé, oléagineux…) et des perturbations des chaînes d’approvisionnement à l’origine de certaines pénuries.
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A travers ces révisions à la hausse des taux directeurs, les banques centrales africaines veulent à augmenter les taux d’intérêts des divers prêts aux particuliers et entreprises, afin de faire ralentir l’activité économique, et donc de desserrer la pression sur les prix. Seulement, le constat est le même un peu partout au niveau du continent: le trend de l’inflation ne baisse dans aucun pays. Bien au contraire, elle continue à grimper dans certains. Et le léger ralentissement de l’inflation constaté dans quelques pays durant ces dernières semaines s’explique essentiellement par la décrue des cours du pétrole dont le prix du baril est tombé sous le seuil des 90 dollars et la baisse des prix de certains produits agricoles.
Plusieurs facteurs expliquent cet échec des politiques monétaires face à l’inflation. D’abord, il faut souligner que cette inflation est importée. Elle résulte grandement de la flambée des prix des hydrocarbures sur le marché international qui impacte toute la chaîne de valeur du secteur des transports et donc sur les tarifs. C’est aussi le cas de la forte hausse des cours des céréales et des oléagineux sur le marché mondial à cause, particulièrement, de la crise en Ukraine et des pénuries occasionnées par les problèmes au niveau des chaînes d’approvisionnement. Sur ces facteurs, le relèvement des taux directeurs est presque sans effets.
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D’ailleurs, si la Banque centrale égyptienne a préféré maintenir son taux directeur inchangé en septembre dernier, c’est pour la raison suivant: «Vu que l’inflation actuelle est le résultat d’un choc au niveau de l’offre et non pas de la demande, l’effet d’une hausse des taux d’intérêt ne serait pas très effectif», a expliqué une source de l'institution, tout en reconnaissant que l’effet des décisions antérieures de relever les taux d’intérêt directeurs de 300 points de base (en deux temps) depuis le début de l’année est toujours ressenti par les marchés.
Tout en maintenant le taux directeur inchangé, la banque centrale égyptienne a recouru à un autre instrument monétaire en relevant fortement son ratio des réserves obligatoires à 18%, conte 14% auparavant, pour «calibrer les liquidités» et ainsi restreindre les liquidités, resserrer les condition financières et soutenir la livre égyptienne, le tout sans augmenter le coût du loyer de l’argent. Ainsi, sans réviser à la hausse le taux directeur et renchérir le coût du crédit sur les particuliers et les entreprises, les réserves obligatoires permettent de contrôler l’inflation en agissant sur les liquidités bancaires tout en évitant les répercussions économiques liées à la hausse du taux directeur, notamment celle sur la croissance économique.
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Un autre facteur qui explique l’échec des politiques de relèvement du taux directeur est la forte dépréciation des monnaies de nombreux pays du continent vis-à-vis du dollar. C’est le cas particulièrement du Nigeria, dont la monnaie locale, le naira, a perdu plus de 30% de sa valeur en 7 mois. Idem pour le cédi ghanéen, qui a perdu 25,5% de sa valeur par rapport au dollar sur la même période, ou encore de la livre égyptienne, qui s’est dépréciée de 22% depuis mars dernier suite à une «dévaluation» de la livre. Même la monnaie marocaine, le dirham, globalement plus solide comparativement aux autres monnaies du continent, s’est fortement dépréciée de 15,41% vis-à-vis du dollar depuis le début de l’année en cours.
Or, ces dépréciations qui touchent presque tous les pays du continent, à quelques rares exceptions, se traduisent inéluctablement par des hausses des coûts des importations. Cette flambée de la valeur du dollar tend même à annihiler l’impact que devrait avoir la baisse des cours du pétrole et des produits agricoles sur la flambée des prix au niveau du continent. Ainsi, en dépit de la décrue des cours des hydrocarbures, avec un baril qui est repassé sous la barre des 90 dollars, et des prix des céréales, l’inflation ne recule pas. Sans compter également l'impact de ces dépréciation sur les services des dettes africaines.
La situation est d’autant plus inquiétante que les décideurs politiques américains ne comptent pas prendre de mesures pour ralentir la hausse de la valeur du billet vert, malgré les risques croissants de turbulences financières mondiales, car un dollar fort aide à lutter contre l’inflation aux Etats-Unis. Et cette situation va impacter davantage les pays en développement du continent durement touchés par la flambée des prix des produits alimentaire, des carburants et qui font face à une inflation galopante.
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Enfin, il y a l’effet des pénuries de certains produits que continuent de rencontrer de nombreux pays africains sous l’effet de nombreux facteurs: crise de liquidités, problèmes au niveau des chaînes d’approvisionnement… Une situation qui crée un déséquilibre entre l’offre et la demande et qui se traduit inéluctablement par le maintien des tensions inflationnistes.
Tous ces facteurs font que les politiques de relèvement des taux directeurs ont des impacts globalement faibles sur l'inflation.
Toutefois, il faut noter que l’échec de la baisse de l’inflation par le truchement du taux directeur n’est pas uniquement africain. Les banques centrales des grandes puissances économiques aussi ont échoué. Notamment, la Réserve fédérale américaine a relevé le 21 septembre son taux directeur de 75 points de base pour la 3e fois consécutive pour lutter contre l’inflation. Idem pour la banque d’Angleterre qui a relevé son taux de référence pour la 7e fois en quelques mois pour contenir l’inflation. Malgré ces relèvements de taux, ces banques occidentales n’arrivent pas à maitriser l’inflation, qui se situe, par exemple, à 5,4% aux Etats-Unis, alors que l’objectif est de le ramener à 2%.
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Pour résumer, l’inflation étant essentiellement importée, certains experts s’accordent à dire qu'elle ne commencera réellement à baisser que si les tensions géopolitiques commencent à s’atténuer et impacter ainsi faiblement les cours de l’or noir et des produits agricoles. Ce qui est encore loin d’être le cas.
En attendant, ces politiquement de relèvement des taux directeurs ont des impacts négatifs sur les économies. Elles se traduisent par un ralentissement volontaire des économies en renchérissant les coûts du crédit. Des situations qui risquent de réduire drastiquement les croissances déjà molles de ces dernières années.