Ressources minières: aucune valeur ajoutée pour l'Afrique, la donne pourrait changer

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Le 02/11/2021 à 17h06, mis à jour le 02/11/2021 à 17h12

Plus de 60 ans après les indépendances, les pays africains continuent d’exporter leurs matières premières à l’état brut. Il est temps que le continent se lance dans la transformation pour prendre une part de la valeur ajoutée mondiale. Le Botswana a déjà réussi ce pari, la RDC compte le suivre.

Tant que l’Afrique ne transformera pas ses matières premières, elle ne s’industrialisera pas. Et malheureusement, jusqu’à présent, le continent, particulièrement l’Afrique subsaharienne -hors Afrique du Sud-, continue, après plus de 60 ans d’indépendance, d’exporter ses matières premières à l’état brut, sans aucune valeur ajoutée. Une situation qui perdure et qui empêche toute industrialisation du continent.

Pourtant, certains pays africains regorgeant de minerais, parmi les plus grandes réserves du monde, ont la possibilité de pousser les firmes multinationales qui les exploitent à les transformer sur place. C’est le cas du cobalt et du lithium, dont regorge la RD Congo et qui figurent parmi les plus demandés actuellement, et encore dans le futur, à cause du boom des véhicules électriques et des téléphone mobiles.

Mais la liste des minerais exportés bruts par les pays africains et valorisés au niveau des pays développées par les multinationale est longue.

La faute aux dirigeants des pays producteurs qui négocient avec les multinationales sans se soucier de l’industrialisation et du développement de leurs pays, souvent à cause des sous de table proposés par les entreprises aux classes dirigeantes.

Toutefois, la situation est en train d’évoluer, mais encore très timidement. Pourtant, les pays africains auraient tout à gagner en imposant la transformation locale, et bien évidement, en assurant les moyens de la réalisation de celle-ci.

A ce titre, le Botswana, l’un des pays les mieux gouvernés du continent africain, a montré la voie à suivre. Deuxième producteur mondial de diamants, derrière la Russie (23 millions de carats), avec une production de 16 millions de carats en 2020 et des réserves estimées à 310 millions de carats, le Botswana a exigé des compagnies implantées dans le pays, notamment le géant sud-africain De Beers, d’installer sur son sol des unités de taille et de commerce des pierres précieuses. Celles-ci n’étaient pas d’accord, mais ont été obligées par les autorités botswanaises à implanter localement des unités de transformations si elles souhaitaient continuer leurs activités au niveau du pays. Elles ont ainsi forcé leur partenaire capitalistique, le géant sud-africain, à installer localement une partie de ses bureaux londoniens au Botswana. Et pour les autorités, ce n’est qu’un début. A l’avenir, tout le travail du diamant se fera au Botswana. En attendant, le secteur du diamant pèse 25% du PIB du pays et assurent 80% des recettes d’exportation du pays.

Ceci s’explique par le partenariat stratégie et capitalistique que le pays met en place. A ce titre, au Botswana, Debswana, la plus grande entreprise productrice de diamants au monde, est contrôlée à parts égales par l’Etat botswanais et De Beers. Et en tenant compte des taxes et impôts, les revenus tirés par le pays sont conséquents. «Si l’on regarde le partenariat entre le conglomérat De Beers et l’Etat botswanais, on se rend compte que le gouvernement reçoit 85% des revenus du diamant, et de Beers 15%. Cette relation entre le gouvernement et De Beers a été très bénéfique pour nous», souligne Charles Siwawa, président de la Chambre des mines du Botswana, cité par La Tribune.

Seulement, en Afrique subsaharienne (hors Afrique du Sud), il s’agit d’un cas presque unique. Globalement, les mines, au même titre que les hydrocarbures, sont contrôlés par des multinationales qui exploitent les matières premières et les transforment dans leurs pays d’origine. Ainsi, les pays africains n’engrangent aucune valeur ajoutée et les créations d’emplois se limitent uniquement à ceux des unités d’extraction des matières premières.

Pire, à cause des contrats léonins négociés avec des dessous de table et parfois à cause des pressions politiques émanant des dirigeants d’ex-puissances coloniales et de lobbies, les retombées de l’exploitation des mines sont globalement faibles. De plus, du fait des faibles participations au capital des entreprises exploitant les matières premières qui n’atteignent que rarement les 10%, les pays africains ne bénéficient que faiblement aux bénéfices générés par l’exploitation de leurs mines.

La République démocratique du Congo (RDC) est un cas typique de ces politiques minières en Afrique. La RDC est l’un des pays les plus pourvus en minerais au monde (or, cuivre, cobalt, lithium, plomb, argent, diamant, zinc, manganèse, diamant…) que d’aucun qualifie de «scandale géologique». Malheureusement, jusqu’à présent, tous les minerais sont exportés à l’état brut et souvent dans des conditions échappant au contrôle de l’Etat, notamment à l’Est du pays où l’instabilité est chronique, à cause de la richesse du sous-sol.

Et heureusement, les pays africains, après plus de 60 ans d’indépendance commencent à enfin prendre conscience de la nécessité de transformer sur place une partie de leurs matières premières et annoncent des changements de politique. Ainsi, les nouvelles autorités, sous la houlette du président Félix Tshisekedi, comptent changer de cap. Outre la renégociation des contrats léonins de l’époque de l’ancien président Joseph Kabila, très défavorable à la RDC, le président congolais compte désormais sur la transformation des minerais localement. A ce titre, le pays compte développer de nombreuses filières de transformation. Dans ce cadre, un forum économique dédié est prévu durant ce mois de novembre à Kinshasa.

Parmi les filières prévues figure en bonne place celle de batteries de véhicule pour laquelle la demande mondiale est forte et devrait l’être encore plus dans les années à venir avec le boom des voitures électriques. Une politique industrielle bien pensée pourrait permettre au pays de jouer un rôle clé dans le développement de cette industrie. En effet, la production de batteries électriques qui connaît une envolée dans le sillage du développement des voitures électriques devrait fortement bénéficier au pays. En effet, leur fabrication nécessite des matières premières rares dont dispose le pays, comme le cobalt, le lithium, le nickel…

Ainsi, selon les projections de la banque suisse UBS, dans un monde avec 100% de véhicules électriques, le cobalt est la matière première dont les besoins devraient le plus augmenter (+1.928% comparativement à la production mondiale actuelle) derrière le lithium (+2.898%). Mais les hausses vont concerner tous les éléments rentrant dans la conception des batteries rechargeables: terres rares (+655%), graphite (+524%), nickel (+105%)…

Ainsi, sur le seul secteur des batteries, la demande mondiale de cobalt a triplé depuis 2011 pour atteindre 46.000 tonnes en 2017 et devrait se situer à 190.000 tonnes en 2026.

Autant de minerais stratégiques pour l’industrie automobile mondiale qui pourraient doper les économies africaines, particulièrement celles des pays où ils sont transformés localement. A titre d’exemple, la RDC qui concentre à elle seule plus de 50% des réserves mondiales du cobalt et qui assure 69% de l’offre mondiale, ne profite pas pleinement du boom de cette matière première à cause de l’absence de transformation de ce minerai localement.

Selon le ministre congolais de l’Industrie Julien Paluku, parlant des minerais stratégiques, «à la date d’aujourd’hui, nous ne profitons qu’à concurrence de 8% de nos exportations. Par contre, si la transformation a lieu en RDC, le pays pourrait bénéficier de près de 50% des dividendes de ces minerais stratégiques, à savoir le cobalt et le lithium».

Au cas où le pays arriverait à enclencher le processus de transformation sur place de ses ressources, cela pourrait faire tâche-d’huile au niveau du continent.

Mais, pour beaucoup d’observateurs, il faut aller au-delà de la transformation des matières premières au niveau du continent et s’attaquer aussi à l’étape de la production des composants et/ou produits sur place. Ainsi, pour les batteries de voitures, la RDC qui dispose de toutes les minerais nécessaires à leur fabrication, devraient pousser ses partenaires chinois, grands importateurs du cobalt du pays, à implanter des unités de production de batteries.

Reste que pour la transformation des matières premières localement, il faut des préalables. D’abord, la stabilité politique est une nécessité pour obliger les multinationales à installer des unités de transformation très capitalistique. Ensuite, il faut que les conditions d’exploitation soient remplies. A ce titre, il faut noter que le faible niveau d’électrification est un obstacle majeur pour de nombreux pays africains. C’est le cas de la RDC qui dispose du plus important potentiel hydroélectrique du continent, mais dont le taux d’électrification est l’un des plus bas d’Afrique, n’atteignant même pas 20%.

Par ailleurs, pour attirer les investisseurs internationaux et les multinationales, il faut également assainir le climat des affaires et lutter efficacement contre la corruption qui gangrène l’économie congolaise.

Et ce qui est valable pour l’économie congolaise l’est aussi pour de nombreux pays africains dans lesquels l’instabilité (politique, sociale…), l’insuffisance des infrastructures, la mauvaise gouvernance et la non attractivité du climat des affaires constituent des obstacles majeurs à la transformation locale des matières premières.

Beaucoup de pays africains semblent avoir compris que ces obstacles doivent être surmontés pour passer de l’exportation des minerais à l’état brut à la transformation sur place. La création de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) devrait pousser les Etats à aller davantage dans cette voie afin de doper les échanges intra-africains.

Par Moussa Diop
Le 02/11/2021 à 17h06, mis à jour le 02/11/2021 à 17h12