Le président mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz tient à sa réforme constitutionnelle, que le peuple y souscrive ou non.
D’ailleurs, après avoir promu un référendum populaire pour entériner les réformes préalablement votées par les députés, le président a fait volte-face en arguant que le référendum coûtait trop cher pour un pays en crise, reconnaissant ainsi et de facto, que la Mauritanie est embourbée dans une crise économique aigüe alors que lui et son gouvernement ont toujours soutenu le contraire.
Désormais, seuls les élus du peuple décideront à la place des citoyens tout en sachant que nombre de ces élus continuent à siéger au Parlement alors que leurs mandats ont expiré depuis des années. En clair, ces représentants du peuple qui vont voter des réformes constitutionnelles majeures pour l’avenir de la Mauritanie comptent dans leurs rangs des élus «illégitimes».
Cela dit, le vote ne semble pas acquis pour le président, car les réformes proposées ne paraissent emballer personne. On note même un certain consensus quant à la nécessité de ne pas toucher au drapeau. Pour forcer la main aux élus, le président n’a pas hésité à «corrompre» ceux-ci en leur octroyant des terrains à côté du nouvel aéroport de Nouakchott.
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Seulement, avec ces «dons», le président n’est pas parvenu à faire l’unanimité autour de la réforme, pas même au sein de son camp. Les dons de terrains sous forme d’achat de conscience de députés et autres promesses n'ayant rien donné, certains dirigeants sont passés aux pressions et aux intimidations pour faire accepter les directives du président. Ainsi, selon adrar-info.net, le président du parti au pouvoir, l’Union pour la République (UPR) n’a pas hésité à user de menaces contre les députés de son camp qui ne suivraient pas la consigne du chef. «Si vous ne votez pas pour les amendements constitutionnels, nous dissoudrons, en moins de 24h, le Parlement», a-t-il averti.
Pour les Mauritaniens, la crainte que les changements ne se traduisent encore par le renforcement des clivages identitaires est grande. Le drapeau actuel et l’hymne muet ayant toujours symbolisé l’unité durement ébranlée par les régimes militaires, ces modifications risquent de créer d’autres esclandres. Avec les changements annoncés, on se demande déjà, dans quelle langue sera chanté le prochain hymne? Un nouveau texte purement en arabe mécontentera la communauté négro-africaine –composante non arabe composée de peuhl, soninké et wolof. Un hymne chanté en plusieurs langues, comme c’est le cas en Afrique du Sud, ne fera pas non plus que des satisfaits dans le camp des nationalistes arabes.
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D’ailleurs, lors des débats au Parlement, le problème racial est revenu au centre des débats lorsqu’un député de la mouvance négro-mauritanienne a parlé du racisme au sein de l’armée, poussant le président du Parlement à suspendre la séance à la suite d’altercations houleuses.
Même au sein de la famille politique du président, le pari n’est pas gagné. De nombreux députés refusant de souscrire à cette réforme imposée. Certains ont même préféré quitter Nouakchott pour ne pas participer au vote.
D’autres voix se sont fait entendre au cours de ces derniers mois pour s’opposer à ces changements. Tout récemment, ce fut le cas du Dr Isselmou Ould Sid El Moustaph, ancien ministre de la Culture et de l’orientation islamique. «Je pense –et Dieu sait mieux que moi- qu’il n’y a aucune raison ni argument qui justifient le changement du drapeau national. Et que dans ce changement, il y a plus de dommages et de dangers que d'intérêt –même en considérant que cet intérêt existait à l’origine- à moins qu’il n’obtienne un consensus national entier et explicite», a t-il souligné avant d’ajouter que «le changement du drapeau pourrait ouvrir la voie à d’autres changements plus graves, comme le changement de l’appellation de l’Etat, de sa capitale, de son système, de sa souveraineté territoriale et d’autres choses considérées comme tabou». Même l’imam de la grande mosquée de Nouakchott s'est opposé à cette réforme.
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Et plus sérieusement, n’y a-t-il pas d’autres priorités pour un pays aussi riche en termes de ressources naturelles (fer, or, pétrole, gaz, ressources halieutiques, etc.) et de diversité culturelle, mais dont plus de 45% de la population qui ne dépasse pas les 4 millions d’âmes vivent au-dessous du seuil de pauvreté et où le taux de chômage, selon les institutions internationales, frôlerait les 30%.
En clair, le problème est ailleurs. Le pays a surtout besoin d’une bonne réforme de sa gouvernance, d’une véritable réconciliation entre ses composantes raciales et ethniques, de l’élimination des résidus et des séquelles de l’esclavage, d’une meilleures répartition des richesses et surtout d’une croissance et enfin d’asseoir les bases d’un développement économique solide à même de contribuer à la résorption du chômage et de la pauvreté.
Reste que le président n’en a cure et se moque de ce que pense le peuple. Il a décidé à sa place et il faut que ça passe. C’est un ordre du chef qui doit être exécuté. Dès lors, certains se demandent ce que pourrait cacher cette insistance à faire avaler au peuple cette réforme. Pour certains Mauritaniens, Aziz a d’autres idées derrière la tête. «On raconte que les amendements qu'il souhairte apporter à la Constitution et qui seraient soumis aux deux chambres comporteraient des points qui n’ont pas été discutés au cours du fameux dialogue, notamment : «l’impunité pour un ancien président et la sécurité de ses biens», selon Dr Mohamed Mahmoud ould Mah, président de l’UPDS, dans un entretien accordé au journal Le Calame.