Mauritanie: une affaire d'espionnage sur un sénateur défraie la chronique

Le 25/07/2017 à 13h34, mis à jour le 25/07/2017 à 13h37

Un sénateur opposé à un projet de révision constitutionnelle en Mauritanie a vu son téléphone cellulaire saisi par la police. Les autorités y auraient par suite découvert des éléments qu'elles utilisent à charge contre le frondeur. L'affaire qualifiée «d'espionnage» fait grand bruit.

Mohamed Ould Ghadda, un sénateur frondeur a récemment été arrêté dans le cadre d’une affaire d’homicide volontaire, puis condamné à une peine de prison avec le bénéfice du sursis, ce qui lui a permis de recouvrer la liberté.

Après une première arrestation du sénateur début mai, son téléphone cellulaire a été confisqué par les policiers ayant établi le procès d’enquête préliminaire.

Cela leur a permis d'espionner le contenu du cellulaire du sénateur. Selon ce que l'on peut lire sur les réseaux sociaux, les policiers auraient découvert qu'un don de 700.000 ouguiyas (un peu moins de 2000 dollars) avait été fait à Maalouma Mint El Meidah, griotte, grande cantatrice sur les registres traditionnel et moderne, mais également sénatrice, engagée dans la fronde contre un projet de révision constitutionnelle initiée par le président Mohamed Ould Abdel Aziz.

Au cœur de la controverse, deux enregistrements tirés de la messagerie Whatsapp du sénateur qui attestent de l’existence de ce don. Au-delà de cette réalité, se pose alors la question relative à l’identité du véritable donateur, sachant qu'il ne s'agit pas de l’élu en personne.

Ainsi, dans les cercles du pouvoir et chez de nombreux observateurs, on a pensé à Mohamed Ould Bouamatou, richissime banquier en mal avec le régime, vivant en exil doré au Maroc depuis plusieurs années.

Mais concernant cette allégation, le sénateur Mohamed Ould Ghadda apporte une réponse claire et précise: «les 700.000 ouguiyas représentent un don du défunt colonel Ely Ould Mohamed Vall, ex-chef de l’Etat, à titre de contribution à la soirée musicale contre le projet de révision constitutionnelle que la sénatrice avait organisée en mars dernier».

Convaincus d’avoir découvert un véritable pot aux roses sous la forme d’une sulfureuse histoire d’achat de conscience, les partisans du pouvoir à Nouakchott ont plongé tête baissée dans cette histoire et ont balancé l’affaire sur les réseaux sociaux.

Reste à savoir si le don incriminé relève d’une faute politique? Ou d’une infraction à la loi pénale?

Donner de l’argent à une griotte relève plutôt d’un acte de noblesse dans l’imaginaire populaire des Mauritaniens. Un geste qui intègre les valeurs profondes de la société, note un communicateur traditionnel.

Réagissant à cette affaire, maître Lô Gourmo, vice-président de l’Union des forces de progrès (UFP), écrit sur les réseaux sociaux «se saisir du téléphone portable des gens et les mettre sur écoute, en dehors d’une procédure pénale légale et, qui plus est, exposer tout ou une partie de son contenu sur la place publique, constitue une grave violation de la Constitution qui garantit à chacun son droit de libre communication et la protection de sa vie privée».

L'opposant poursuit en soulignant que «cette pratique expose chacun et chacune à toutes sortes de manipulations de la part de ceux qui ont pour seule fonction de protéger la sécurité publique et d’assurer la pleine jouissance des libertés. Tous les moyens ne sont pas bons et admissibles pour lutter contre même ses pires adversaires. Ce dont a été victime le sénateur Ould Ghadda, qui est à la tête d’une commission d’enquête régulièrement constituée du Sénat, est d’autant plus inadmissible qu’il a été victime d’une arrestation illégale et soumis à toutes sortes de mesures vexatoires culminant avec "la révélation" de certaines de ses conversations par ceux qui l’avaient illégalement détenu».

Pour rappel, outre son opposition à la réforme constitutionnelle du président Ould Mohamed Aziz, le sénateur Mohamed Ould Ghadda est président d’une commission d’enquête sur les marchés de gré à gré.

Poursuivant ses propos, maître Lô note que les données tirées du téléphone cellulaire «n’ont strictement rien de compromettant, sauf pour ceux qui croyaient pouvoir en tirer un bénéfice politique».

Pour cet opposant, l’épisode de l’étalage impudique des données téléphoniques du sénateur renvoie à une aggravation de la crise en Mauritanie: «chaque jour qui passe montre que le régime semble avoir pris la pire des options pour le pays. Celle de la confrontation et des règlements de comptes. Il sera donc seul responsable du chaos qui en résultera fatalement».

Par Cheikh Sidya (Nouakchott, correspondance)
Le 25/07/2017 à 13h34, mis à jour le 25/07/2017 à 13h37