Plusieurs milliers de paysans de la région du Brakna, dans le département de Boghe (à 300 kilomètres au sud-est de Nouakchott, dans la vallée du fleuve Sénégal), habitant les communes de Dar El Barka et Ould Birome, sont mobilisés depuis quelques jours, pour faire échec à un projet agricole initié en 2015.
Latent depuis 2015, un conflit foncier, opposant l’Autorité arabe pour l’agriculture et l’investissement (AAAID) à des communautés de paysans issues des communes de Dar El Barka et Ould Birom (dans le département de Boghé, vallée du fleuve à 300 kilomètres au sud-est de Nouakchott), est revenu subitement au devant de la scène, provoquant une vive tension en fin de semaine dernière, suite à l’arrivée sur les lieux d’engins pour l’aménagement de 3200 hectares.
Une histoire classique d’accaparement des terres, favorisée par une forte insécurité foncière et la précarité des droits des communautés, victimes du commandement de l’administration territoriale, sous l’œil complice des gouvernements depuis plusieurs dizaines d’années.
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Tidiane Kane, maire de la commune de Dar El Barka, ancien directeur général de banque à la retraite. Sorti d’une audience avec un responsable du gouvernement, il explique que les populations ne sont pas par principe opposées au projet d’investissement, mais souhaitent être associées à tout ce qui se fait dans l’intérêt de tous les partenaires (investisseurs, communautés et gouvernement).
Ce qui n’est pas concevable aux yeux de l’édile de Dar El Barka, c’est l’image d’une communauté, qui se réveille un beau matin, et voit des terres exploitées depuis des centaines suivant des moyens conformes à son niveau de développement, occupées par des inconnus venus entreprendre des travaux d’aménagement.
Sarr Mamadou, président du Forum national des organisations de droits humains (FONADH, un collectif d’une vingtaine d’ONG), revient sur les racines du mal. Une ordonnance de 1983, dont l’esprit révolutionnaire était de permettre l’accès à la terre des anciens esclaves, dans la foulée de la loi de 1981 interdisant cette pratique.
Une ordonnance finalement galvaudée par la pratique vicieuse des préfets et des gouverneurs, en violant toutes les dispositions destinées à encadrer la mise en œuvre, notamment la publicité (affichage), l’étude d’impact et la concertation en comité départemental.
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D’où la nécessité absolue d’observer un moratoire d’une dizaine d’années, pour mettre de l’ordre dans l’immense pagaille du foncier rural en Mauritanie, estime Sarr.Lueur d’espoir après de graves incidents, des négociations ont été ouvertes. Une délégation des communautés a rencontré le ministre de l’Intérieur, Ahmed Salem ould Merzoug, créant les conditions d’une concertation apaisée.
A Nouakchott, la Coalition Vivre-Ensemble (CVE, opposition, issue de la mouvance nationaliste noire), qui a soutenu la candidature de Kane Hamidou Baba lors de l’élection présidentielle du 22 juin 2019 en Mauritanie, dénonce «l’accaparement et le bradage des terres» dans une déclaration rendue publique lundi 27 août.
Le document revient sur le cas de l’attribution «à l’Autorité arabe pour l’investissement et le développement agricole (AAAID) de 3.200 hectares de terre» dans cette zone.
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Ce problème est redevenu d'actualité ces derniers jours, suite à l’arrivée sur les lieux d'engins destinés à réaliser les travaux d’aménagements, une perspective à laquelle les communautés de cette région s’opposent farouchement.
La CVE condamne «des attributions du foncier rural faites en violation flagrante des Codes foncier, forestier, agropastoral et environnemental. Des faits qui constituent une atteinte grave à la Charte Africaine de Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP)».
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Ses militants réaffirment leur «soutien total aux populations, rend[ent] l’Etat mauritanien seul responsable des conséquences de ces actes sur la paix et la cohésion sociale. Exige[nt] l’annulation pure et simple de tous les projets d’attribution des terres à vocation agropastorale, au vu des dangers qu’ils constituent. Encourage[nt], à défaut de toute consultation ou consentement des populations, à refuser le bradage de leurs terres au profit de l’agro-business, au détriment de la paix et de la cohésion sociale».
La question de l’accaparement des terres apparaît comme une bombe à retardement dans cette partie mauritanienne de la vallée du fleuve Sénégal, mais aussi dans tous les pays d’Afrique, et à travers de nombreux pays du monde.
C'est ce qui explique «une annonce récente, aux allures de coup de tonnerre» de la Cour pénal internationale (CPI), classant cette pratique au rang des infractions qualifiées «de crimes contre l’humanité».