Mauritanie: un projet de loi contre les violences faites aux femmes toujours bloqué, alors que ces crimes augmentent

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Le 04/10/2020 à 07h48, mis à jour le 04/10/2020 à 07h51

La nouvelle législation réprimant toutes les formes de violence faites aux femmes et aux jeunes filles, ne cesse de faire des allers et retours entre le gouvernement et la représentation nationale en Mauritanie depuis trois ans, dans le contexte de la recrudescence de ces crimes. Un vrai ping-pong.

Un blocage qui suscite débat et colère au sein des milieux féministes et de défense des droits humains, dans le contexte d’une société écartelée entre traditions et mondialisation, confrontée à la multiplication des crimes à caractère sexuel.

Illustration avec la longue liste des victimes établie grâce à un exercice de comptabilité macabre sur les dernières années : Moima mint Amar, Khadijettou Omar Sow, Peinda Sogue… toutes battues,violées, tuées, en guise de sacrifice aux appétits sexuels et autres instincts bestiaux des hommes.

«En Mauritanie, les survivantes de viol n’ont personne vers qui se tourner», constatait en 2018, Human right watch (HRW), organisation de défense des droits humains.

Saisissant l’opportunité d’un changement de régime, le 1er août 2019, HRW adressait une correspondance au président Mohamed Cheikh El Ghazouani, pour «l’exhorter à prendre des mesures décisives afin d’améliorer le respect des droits des femmes à l’échelle nationale, et réduire la prévalence des violences fondées sur le genre».

La non-adoption du texte réprimant les crimes fondés sur le genre met sur les nerfs les activistes des mouvements féministes et les ONG de défense des droits humains, à l’image de l’Association des femmes chefs de familles (AFCF), que dirige Aminetou mint Moctar, figure très connue du mouvement associatif dédié à cette question.

Mariem Derwich, femme de médias, connue pour son franc-parler, sort l’artillerie lourde pour dénoncer le jeu des décideurs, qui trouvent à chaque fois une ultime manœuvre dilatoire, pour recaler le texte.

Poussant un véritable coup de gueule, elle constate sur les réseaux sociaux que «les années s’écoulent, et l’avant-projet de loi sur les violences faites aux femmes et aux filles s’enfonce dans les arcanes d’une société empêtrée dans un labyrinthe pseudo intellectuel et pervers, savamment orchestré par des milieux opposés à tout ce qui protège les femmes en tant que tout ou partie (à travers un douloureux jeu de poker menteur sur fond de multiples atteintes à la sécurité des femmes et des filles), avec une mémoire oublieuse des droits et devoirs de chacun. Equilibre subtile entre blablas sémantiques, assaisonnés à la sauce religieuse (je ne parle de la religion, mais de sauce religieuse) et une fantomatique volonté politique pour repousser aux calendes grecques, l’adoption enfin, d’une loi vitale, obligatoire, pour la protection de la femme en Mauritanie».

Mariem Derwich pointe du doigt «des opposants à une loi qui traîne dans les couloirs et commission de l’Assemblée nationale depuis des années».

Pour cause, ces forces ont bien compris que l’adoption du texte «revient à nous interroger sur le pourquoi d’une telle loi, protégeant les femmes dans un pays ou le religion est inhérente à chaque action et codifie tout comportement, que ce soit dans la sphère publique ou privée».

Ce problème des violences faites aux femmes et aux filles va bien au-delà de la Mauritanie et revêt une dimension sous-régionale, voire régionale et même internationale.

Ainsi, à Bamako, sur les bords du Djoliba (nom traditionnel du fleuve Niger), l’affaire de la jeune star, Sidiki Diabaté, placé en détention provisoire pour des faits graves de violences sur sa compagne, notamment des actes de tortures, défraie actuellement la chronique, fait les choux gras de la presse locale, mobilise mouvements féministes et activistes, à l’image de la célèbre Halimatou Soucko.

Une tendance qui illustre une nouvelle réalité, dans ce pays en crise multidimensionnelle, où «les jeunes femmes ne veulent plus subir et surtout perpétuer la tradition du silence» face aux crimes répétés dont elles sont les victimes.

En face, les proches du jeune artiste, fils du grand Toumani Diabaté, crient «au complot politique, un règlement de comptes» après une campagne active en faveur de la réélection du président Ibrahim Boubacar Keita (IBK), renversé par une révolte populaire suivie d’un coup d’Etat militaire le 18 août dernier.

«Non, ces violences ne relèvent pas de faits montés de toutes pièces, mais Karim Keita n’est plus là, pour soustraire son ami à la loi» rétorque une dame qui suit de prés cette affaire.

Par Amadou Seck (Nouakchott, correspondance)
Le 04/10/2020 à 07h48, mis à jour le 04/10/2020 à 07h51