A moins de deux ans de la présidentielle de 2024, on assiste en Algérie à un affrontement feutré au sommet de l’Etat entre la junte militaire, omni-présente dans la vie politique, et le président en exercice Abdelmadjid Tebboune qui souhaite briguer un second mandat à la tête du pays.
Au-delà de la guerre de clans que se livrent le pouvoir politique que dirige le président Abdelmadjid Tebboune, et celui sécuritaire que chapeaute Saïd Chengriha, chef d’Etat-major, et qui se traduit par une instabilité structurelle à la tête des services de renseignements dont le dernier en date est le limogeage du général Abdelaziz Nouiouet Chouiter de la Direction centrale de la sécurité de l’armée (DGSA), après seulement 6 mois à la tête de cette direction, l’enjeu actuel est la présidentielle de 2024.
Et sur ce sujet sensible, la junte militaire hésite encore à afficher son soutien à un second mandat au président Abdelmadjid Tebboune. Selon Orient XXI, cette hésitation «reflète les doutes de généraux algériens sur l’opportunité de se prononcer sans tarder en faveur d’un deuxième mandat de l’actuel président de la République Abdelmadjid Tebboune, alors que celui-ci a démarré une discrète campagne électorale qui ne dit pas son nom».
Pourtant, le président Tebboune n’a cessé de donner des signes de sa volonté de briguer un nouveau mandat à la tête du pays. D’ailleurs, ces derniers temps, il multiplie les sorties qui ressemblent davantage à un démarrage discret de sa campagne électorale, en attendant d’avoir la bénédiction des militaires. Mais ceux-ci attendent. Une hésitation qui s’expliquerait par le fait qu’«il ne serait pas prudent de se déclarer trop tôt en sa faveur et de se retrouver piégés, disent en substance ces généraux».
Lire aussi : Algérie: les faits marquants qui montrent que rien n'a changé après la chute de Bouteflika
D’ailleurs, selon Orient XXI, c’est pour avoir expliqué ce malaise au sommet de l’Etat algérien dans un article que le journaliste et patron de presse algérien Ihsane El Kadi a été arrêté en pleine nuit et emprisonné avant d’être jugé avec une célérité exceptionnelle avant d’être condamné à 5 ans de prison dont deux avec sursis pour «des actes susceptibles de porter atteinte à la sécurité et au fonctionnement normal des institutions». Une condamnation qui ne peut s’expliquer que par le fait que le patron de presse avait des informations précises sur les tensions entre les institutions qui se partagent le pouvoir en Algérie: la présidence, l’Armée nationale populaire (ANP) et les «services», regroupant ceux de la sécurité, du renseignement ou de documentation.
La balance des pouvoirs entre les trois composants de ce trépied penche en faveur de l’un ou de l’autre selon les périodes. Si la mise en retraite, en 2015, du général Mohamed Médiène, dit Tewfik, à la tête des «Services» durant un quart de siècle, a sonné le glas de cette entité devenue trop puissante, son démembrement et sa marginalisation par l’ancien président Bouteflika au cours de ces dernières années de règne, ont fini par mettre la grande muette au sommet du régime.
Seulement, le décès brutal et mystérieux de l’ex-chef d’Etat-major Ahmed Gaïd Salah, qui a désigné et protégé Tebboune, quatre jours après le démarrage de la présidence de celui-ci, en décembre 2019, illustre la guerre fratricide que se livrent ces trois pouvoirs au sommet de l’Etat.
Lire aussi : Algérie: Tebboune et Chengriha reprennent la purge au sein de l’armée
Une situation qui a poussé le président Tebboune à être très méfiant vis-à-vis du remplaçant de l’ancien homme fort Gaïd Salah. Il aura fallu des mois afin qu’un semblant de confiance règne entre les deux hommes sans que cela ne lève carrément la méfiance réciproque entre les deux institutions. La situation est ‘autant plus compliquée pour la présidence depuis que l’armée est arrivée à «cannibaliser» les «Services» renforçant son emprise sur le pouvoir. Un capharnaüm qui a poussé les analystes du think tank Carnegie Center à accuser les militaires algériens de contrôler de manière excessive la politique algérienne, soulignant que «depuis que le général Ahmed Gaïd Salah a violé la Constitution et transféré les services de renseignement aux forces armées, Tebboune ne dispose pas des ressources nécessaires pour faire pression sur les dirigeants militaires».
Pour Orient XXI, «les règles du jeu de 2019 s’appliqueront pour 2024: les décideurs sélectionneront un candidat que de maigres cohortes d’électeurs approuveront sans se poser de questions. L’étape capitale n’est donc pas l’élection par le peuple -acquise dès le départ-, mais le choix du prétendant qui sera élu sans difficulté au suffrage universel pris en main par les services de sécurité». Reste à savoir qui sont ces «décideurs»?
Lire aussi : Algérie: «Basta, nous ne nous tairons pas», les intellectuels algériens se dressent contre le régime
Selon le média, «les décideurs sont tout au plus une demi-douzaine, avec à leur tête le chef d’Etat-major, le général d’armée Saïd Chengriha, les chefs des plus importantes régions militaires de l’ouest, le patron de l’armée de terre, et celui de la gendarmerie nationale qui quadrille le pays». En clair, ce sont les militaires qui désignent le candidat et font élire le président.
Ce qui explique l’impopularité du président Tebboune, jugé illégitime par de nombreux Algériens du fait qu’il a été désigné par les militaires. D’ailleurs, l’un des slogans favoris des hirakistes était «Tebboune Lemzawer, jabouh L3asker» (Tebboune est falsifié, il a été imposé par les militaires).
Et les militaires comptent clairement le signifier au président Tebboune que ce sont eux qui détiennent le vrai pouvoir. D’ailleurs, en début du mois d’avril, lorsqu’au détour d’un entretien à la chaîne Al Jazira Tebboune a avancé que la sécurité du pays repose d’abord sur une économie puissante, les militaires ont répliqué directement sur leur canal El Djeich, du même mois, en soulignant que la sécurité de l’Algérie repose sur son armée. Une manière clairement de défier le président et de lui faire comprendre que c’est la junte qui garantit la sécurité du pays. Et pour nombre d’observateurs, à cause des influences dans chacun des clans, ces affrontements feutrés risquent d’éclater au grand jour avant l’élection présidentielle de 2024 tant le sujet est délicat et sensible.
En clair, le choix de Tebboune pour un second mandat à la tête du pays est loin d’être acquis. Et pour cause, les militaires l’accusent de certains échecs politiques et diplomatiques aux conséquences inquiétantes.
Lire aussi : Algérie: le patron de presse El Kadi et ses avocats boycotteront le procès
Parmi ces couacs soulevés par ces véritables «décideurs» figurent, entre autres, la perte de l’appui de l’Espagne dans le conflit du Sahara au profit d Maroc, la rupture des relations diplomatiques avec le Maroc favorisant l’arrivée d’Israël à la frontière occidentale de l’Algérie, les relations difficiles avec la France, la marginalisation de l’Algérie au sein de de la Ligue arabe dont elle assure pourtant la présidence…
Et au niveau intérieur aussi, en dépit de l’embellie offerte par la flambée en 2022 des cours des hydrocarbures qui représentent 95% des recettes d’exportation du pays, offrant la possibilité au président Tebboune de respecter son engagement d’augmenter de 40% sur trois années les revenus des fonctionnaires et retraités du pays, l’inflation galopante de plus de 9% par an est venu rogner ces augmentations par le biais desquelles il comptait acheter la paix sociale.
Lire aussi : Algérie: le patron de la Sonatrach, Toufik Hakkar, convoqué à Londres par la fille de Saïd Chengriha
Résultat, à cause d’un manque de vision stratégique, la flambée des cours des hydrocarbures n’aura qu’un impact faible sur le quotidien des Algériens qui font face à diverses pénuries. Quant au nouveau «modèle économique» annoncé par Tebboune et qui devrait pleinement profiter de la manne financière offerte par la flambée des cours du pétrole et du gaz pour asseoir les bases d’une économie diversifiée, il devra encore attendre.
Les leçons des années grasses offertes par des cours élevés des hydrocarbures n’ont pas été retenues. Du coup, alors que la production pétrolière stagne, en dépit des effets d’annonce, la croissance économique demeure négligeable, portée uniquement par les hydrocarbures, sans véritable création de valeurs et d’emplois. Et c’est conscient de cet échec que le régime a décidé d’accorder des allocations à 2 millions de chômeurs diplômés afin d’éviter des tensions sociales.
En clair, à l’approche de la présidentielle de 2024, les affrontements feutrés entre les militaires et la présidence algérienne risquent de devenir plus perceptibles. Et tant que ce sont les militaires qui désignent le candidat, la transition de l’Algérie vers un modèle démocratique et sa sortie des crises économiques internes alimentées par la corruption en pâtira encore des années durant.
La situation est d’autant plus compliquée que les appareils sécuritaires les plus névralgiques du système algérien aggravent leur division à cause d’une véritable guerre fratricide opposant les renseignements intérieur (DGSI) et extérieur (DDSE). Une lutte de clans qui va s’exacerber à l’approche de la date fatidique de décembre 2024.