Sénégal. Présidentielle 2019: le mouvement Hip Hop, la peur bleue de Macky Sall

Y'en a marre

Y'en a marre. DR/

Le 18/11/2018 à 11h28, mis à jour le 18/11/2018 à 11h35

Les autorités sénégalaises ont convoqué des responsables des ONG partenaires du mouvement "Y en a marre" (Oxfam, Osiwa, Lead Afrique francophone...). Une convocation que le mouvement Hip Hop qualifie de tentative d’intimidation venant du ministère de l’Intérieur à quelques mois de la présidentielle.

Dans un communiqué diffusé le mercredi 14 novembre, le Mouvement "Y en a marre" fait savoir que l’ONG Oxfam, avec qui il avait un partenariat en 2013, a fait l’objet d’une «mise en demeure» de la part du ministère de l’Intérieur. Dans cet avertissement, les services dirigés par le ministre Aly Ngouille Ndiaye auraient sommé cette ONG de «cesser toute collaboration avec "Y en a marre"», dit le communiqué. Sans quoi, elle pourrait perdre son accord de siège.

Selon les camarades de Malal Tall alias «Fou Malade», «Thiat», Cheikh Fadel Barro et Aliou Sané, la même sommation a été envoyée à l’ONG Lead Afrique francophone, gestionnaire administratif et financier de "Y en a marre", et aux responsables de l’«Open Society Initiative for West Africa» (Osiwa) qui est une initiative du milliardaire américain George Soros.

Trouble coïncidence! Les trois ONG sont, en plus d’être des défenseurs des droits de l’Homme, des partenaires de ce mouvement citoyen mis en place en 2011 sur la base de vives contestations sociale au Sénégal. "Y en a marre" s’opposera par la suite, avec succès, à ce qui était appelé «le ticket présidentiel», une initiative de l’ancien président Abdoulaye Wade qui voulait créer un poste de vice-président de la république taillé sur mesure pour Karim Wade, son fils.

A y voir de près, les convocations envoyées aux ONG ne comportent pas de motif mais, selon le ministère de l’Intérieur, elles porteraient sur des «questions d’ordre général comme le financement par des bailleurs tiers».

Interpellé à propos de cette convocation de sa direction financière et administrative par le ministère de l’Intérieur, la directrice exécutive d’Osiwa, la Nigériane Ayisha Osori, assure qu’elle ne comportait pas de menaces de perte de leur droit de siège au Sénégal.

«On ne nous a pas demandé de cesser nos collaborations avec "Y’en a marre", cela fait d’ailleurs quelques années que nous n’avons plus de projet en cours avec eux», a-t-elle soutenu.

Toujours est-il que plusieurs leaders de l’opposition et de la société civile se sont indignés de ces convocations envoyées au ONG.

«J'apprends avec indignation la convocation par la police nationale, aux ordres du régime du chef de l'État sortant Macky Sall que des organisations non gouvernementales, Osiwa et Lead Afrique francophone, au motif qu'ils sont les bailleurs de fonds du mouvement "Y en a marre". C'est encore là une balafre infligée à la liberté associative et à la liberté d'expression, de même qu'au droit des associations de rechercher des soutiens d'où qu'ils proviennent, pour peu qu'ils soient transparents et d'origine licite et qu’il ne s'agisse pas de financements occultes ou mafieux», s’est indigné l’ancien ministre et candidat déclaré à la présidentielle, Moustapha Guirassy. Il a par ailleurs qualifié de «volte face tragi-comique», l'attitude du chef de l'État Macky Sall.

«Le même Macky Sall, en 2012, avant qu'il n'ait l'honneur d'être élu Président de la République, déclarait ceci sur les plateaux d'une télévision de la place: "Y en a marre est l'expression d'un mouvement d'amplitude de la jeunesse. Ils ne sont pas subversifs. Ces jeunes travaillent sur l'éthique, qui est l'exigence de la majorité de la population"», a-t-il rappelé.

Un engagement pour le Sénégal

Les rappeurs sont des artistes comme tous les autres. Pourquoi alors le mouvement Hip-Hop fait-il aussi peur aux autorités sénégalaises? Un retour dans l’histoire politique récente du pays permet d’y voir plus clair.

En effet, le Hip-Hop en général et le Rap sénégalais en particulier ont fini par acquérir une notoriété au niveau du pays mais aussi à l’international. Très attachés à l’engagement politique imprimé dès les années 1990-2000, par leurs aînés, DJ Awadi et Amadou Barry alias «Duggy Tee», du Groupe Positive Black Soul, et Makhtar Fall alias «Gun man Xuman», membre fondateur du groupe «Pee Froiss», n’ont jamais cédé à la tentation du pouvoir.

Déjà en 2000, les rappeurs de la première génération comme DJ Awadi, «Duggy Tee» et «Xuman» avaient, dans une large mesure, conscientisé plusieurs jeunes sénégalais sur une alternance imminente. Ils avaient ainsi beaucoup contribué à la victoire du «Sopi», slogan politique d’Abdoulaye Wade, sur le pouvoir d’Abdou Diouf qui durait depuis 19 ans.

Leurs jeunes frères, «Fou Malade», et «Thiat» (le Cadet en wolof) du Groupe Keurgui et leurs amis Fadel Barro, Aliou Sané mettent en place de mouvement "Y en a marre". Ils se sont courageusement battus contre la modification de la Constitution par Abdoulaye Wade, âgé de 85 ans.

Wade voulait par cette manœuvre briguer un 3e mandat à la tête du pays. Quand le Conseil constitutionnel valide, le 27 janvier 2012 la candidature de celui qu’ils appelaient, le Vieux, dans leurs textes, ils manifestent activement dans tous les coins du Sénégal. A l’époque, leur clip «Faux Pas Forcé» avait eu beaucoup de succès parce qu’il interpelait directement le préside Abdoulaye Wade.

A noter que Malal Tall alias «Fou Malade», un jeune rappeur qui jouit d’une grande popularité au Sénégal, était devenu le porte-parole du mouvement "Y en a marre", un rôle qu’il jouait à la perfection. Sur plusieurs plateaux de télé, il avait tenu tête aux redoutables responsables et militants du PDS de l’époque. Il avait également écrit l’hymne de "Y en a marre" dans lequel on retrouvait des refrains des chants qui accompagnaient les combats de lutte au Sénégal.

Tout nouvellement élu président de la république du Sénégal, Macky Sall avait, le 25 mars 2012, chaleureusement remercié les membres du mouvement "Y en a marre" qui avaient beaucoup contribué à sa victoire sur son ancien mentor, Abdoulaye Wade.

Maintenant, le contexte a changé avec Macky Sall qui demande un second mandat et se retrouve dans une position un peu similaire à celle d’Abdoulaye Wade en 2012. Mais sachant l’influence que le Hip-hop pourrait jouer dans la conscientisation des citoyens, le gouvernement n’entend pas laisser les rappeurs dérouler tranquillement leur stratégie. Mais ce combat est perdu d’avance car ces artistes, fidèles à leur ligne de conduite, n’entendent pas se laisser distraire.

Par Moustapha Cissé (Dakar, correspondance)
Le 18/11/2018 à 11h28, mis à jour le 18/11/2018 à 11h35