Sénégal: les conservateurs religieux se lancent dans la production tv pour contrer "les séries dépravées"

Mame Matar Gueye, vice-président de l'ONG islamique "Jamra".

Mame Matar Gueye, vice-président de l'ONG islamique Jamra.. DR

Le 05/09/2020 à 10h04, mis à jour le 05/09/2020 à 20h16

Afin de contrer le succès de séries télévisuelles locales qui ont réussi à détrôner les productions brésiliennes et mexicaines et même à s’exporter, les conservateurs sénégalais projettent de lancer leurs propres feuilletons. Un pari qui n’est pas gagné d’avance.

"Maîtresse d’un homme marié", "infidèle", "Golden", "Pod et Marichou"... Depuis quelques années, ces séries sénégalaises, qui captivent par leur audace, cartonnent, non seulement sur les chaînes de télévision du pays, mais également partout ailleurs en Afrique francophone.

Or, pour les religieux et autres membres de la société civile conservatrice, cette audace est synonyme de dépravation.

L’ONG Jamra, proche du milieu conservateur et puritain sénégalais, a décidé d'agir. Elle a récemment obtenu que la série "Infidèle" soit interdite aux moins de 16 ans, mais elle veut maintenant se lancer dans la production de séries concurrentes, fondées sur les valeurs traditionnelles sénégalaises.

"Teguine", qui signifie littéralement "Valeurs", est le nom de la production que compte lancer Jamra en collaboration avec l’association "Baytoul Atfal" (la "Maison des enfants").

L’objectif est de porter à l'écran une série qui soit visible par tous les membres de la famille, quel que soit leur âge. Selon ses promoteurs, le fait d’interdire un programme aux moins de 12 ans ou aux moins de 16 ans ne suffit pas, dans la mesure où il n'y a qu'une télévision par foyer et que de ce fait, tous les membres de la famille ont accès au même programme en même temps.

Par ailleurs, les membres de Jamra entendent transmettre aux jeunes générations l’essence même des traditions du pays, à la différence des séries à succès qu'ils considèrent comme de pâles copies de la modernité occidentale.

Evidemment, le pari des conservateurs n’est pas gagné d’avance, notamment faute de subsides. En effet, si les séries sénégalaises cartonnent, c’est en partie grâce aux moyens techniques et humains que leur assure une machine financière bien huilée. En l’absence de toute politique de soutien ou de subvention gouvernementale, elles sont financées par la publicité de produits de grande consommation.

Les religieux devront eux aussi trouver de quoi payer les salaires et mettre en place leurs propres studios faute de vouloir utiliser ceux qu'ils jugent "dépravés". Plus facile à dire qu’à faire.

Par Moustapha Cissé (Dakar, correspondance)
Le 05/09/2020 à 10h04, mis à jour le 05/09/2020 à 20h16