Sénégal. sucre: tensions entre les importateurs et la compagnie sucrière

La crise du sucre au Sénégal

La crise du sucre au Sénégal. Dr

Le 27/11/2020 à 12h10, mis à jour le 27/11/2020 à 14h11

La gestion du secteur sucrier fait partie des sujets à controverse au Sénégal. Seulement depuis quelques semaines, la Compagnie sucrière du Sénégal dénonce une grande quantité d'importation qui est la cause de sa mévente. Une thèse que rejettent les commerçants.

La controverse sur l’industrie sucrière a récemment refait surface, à la suite d'une polémique sur l'importation et l'attribution de DIPA qui est une autorisation d'importer pour combler la quantité de sucre que ne peut produire la CSS.

Selon le secrétaire général de la section CSS de la Confédération nationale des travailleurs du Sénégal (CNTS), Amary Diouf, "aujourd’hui plus de 150.000 tonnes de sucre importées inondent le marché, ce qui fait perdre à la CCS son chiffre d’affaires et menace les emplois pour les 8500 travailleurs".

De son côté, le directeur des ressources humaines de la CSS, Louis Lamotte, s’est réjoui "des directives données par le président Macky Sall afin que l’importation du sucre soit régulée, pour protéger les milliers d’emplois de la compagnie sucrière". Selon lui, "l’usine dispose aujourd’hui d’un stock invendu de 30.000 tonnes à cause de l’inondation du marché sénégalais par le sucre importé de manière illégale", déplore-t-il.

Ayant organisé mercredi 25 novembre, une manifestation à Richard-Toll, à 300 km au nord de Dakar, les travailleurs fortement mobilisés ont scandé des slogans pour dénoncer ce qu’ils appellent "la mort programmée de la CSS". Sur leurs pancartes, on pouvait lire : "stop à l’importation du sucre", "nos emplois menacés, mon emploi ma vie", "CCS, la marmite de Richard-Toll", etc.

Cette bataille sur le monopole du sucre au Sénégal s'est même délocalisée à l'assemblée nationale, lors de l'examen du porjet de loi des Finances. Certains députés se sont offusqués des conditions de délivrance des déclarations d’importation des produits alimentaires (Dipa). Ils estiment que cela risque de favoriser une concurrence déloyale avec son lot de conséquences fâcheuses à l’image de la difficile situation qu’a connue la Compagnie sucrière sénégalaise (Css), suite à la délivrance d'autorisation d'importation à un groupe de commerçants.

Parlant du monopole du sucre détenu par la Css, le député Nango Seck trouve qu’il faut oser casser les lobbies qui sont dans le secteur du commerce. «Pourquoi accompagner la Css dans sa politique alors que les pays voisins qui passent leurs marchandises par le Sénégal vendent moins cher leur sucre. Cela démontre à suffisance la mainmise de la France sur l’économie sénégalaise», déplore-t-il. Allant dans le même sens, le député Serigne Cheikh Mbacké, président du groupe parlementaire libéral, soutient : «Vous devez parler à la Css afin qu’elle réduise le prix du sucre. Car on ne peut pas concevoir que le sucre soit moins cher dans les pays voisins comme le Mali. La manière dont vous octroyez les Dipa est aussi injuste» .

"Production sénégalaise insuffisante"

La ministre du Commerce, Aminata Assome Diatta, qui a apporté des éclairages sur cette affaire, estime que la Compagnie sucrière sénégalaise (CSS) n’est pas en mesure de satisfaire la demande nationale en sucre.

Et son ministère vérifie le stock dont dispose l’entreprise, afin d’anticiper, en tenant compte de la consommation mensuelle. 

"Pour la quantité de sucre, nous avions 173 000 tonnes, dont 107 000 importées par les industriels. Le ministère évalue les besoins de l’entreprise, avant de donner une attestation d’importation. Il y a 66 000 tonnes mises à la consommation directe et les 20 000 tonnes sont attribuées à la CSS. Et c’est cette quantité qui n’est pas écoulée", déclare Aminata Assome Diatta.

Selon elle, la Compagnie sucrière sénégalaise ne peut à elle seule, répondre à la demande. De ce fait, elle a décidé de rendre effective la dématérialisation de la DIPA (Déclaration d’importation des produits alimentaires).

Les importateurs accusent la CSS et défendent le ministre

Moustapha Tall, importateur de sucre crache ses vérités sur la compagnie sucrière sénégalaise (CSS). Pour lui, "Il n'y a pas d'octroi frauduleux de DIPA car le processus est extrêmement bien surveillé et bien contrôlé. Je suis sûr qu'aucun fonctionnaire du ministère du Commerce n'ose faire une fausse DIPA. Je suis formel", martèle Moustapha Tall.

Décriant le monopole de plus de 40 ans de la CSS, il prend la défense de la ministre du Commerce dans cette affaire. Aminata Assome Diatta, dit-il, "est très sévère. Elle contrôle bien son département parce qu'elle s'y connait. Elle a été directrice du Commerce extérieur pendant longtemps avant d'être ministre. C'est dire qu'elle maîtrise bien ce sujet. Je ne pense pas qu'il y ait une personne qui oserait délivrer une fausse Dipa", souligne encore Moustapha Tall. Selon qui, "Jean Claude Mimran, l'actionnaire majoritaire de la CSS, a eu une Dipa de 20 000 tonnes qui sont dans ses entrepôts". "Si la CSS se lance dans l'importation en même temps que les commerçants, c'est sûr que les commerçants vendront moins cher que cette dernière parce qu'ils n'ont pas les mêmes charges que la compagnie".

Les raisons de la mévente dont parle la CSS sont à chercher ailleurs, explique l'importateur de produits de grande consommation, convaincu, qu'"après 40 ans de monopole exclusif, si vous n'arrivez pas à voir le bout du tunnel, cela veut dire que vous n'avez pas fait une bonne affaire. En conséquence, il fallait restructurer ou faire autre chose".

La CSS : épine dorsale de la chaine de valeur

Quoi qu'il en soit, ce dossier qui resurgit régulièrement est géré avec délicatesse par les autorités sénégalaises à cause de la place importante qu'occupe cette entreprise dans l'économie sénégalaise. La CSS emploie environ 6000 personnes, avec une masse salariale d’environ 16 milliards de FCFA, ce qui en fait le deuxième employeur du Sénégal après l’Etat. Elle domine l’économie de la ville septentrionale de Richard-Toll, sur les rives du fleuve Sénégal.

Cependant, contrairement au Brésil, où la culture de la canne se fait sous pluie, celle utilisée par la CSS est plutôt irriguée ; ce qui induit des coûts plus élevés. En 2010, à un moment où les prix mondiaux du sucre étaient élevés, la CSS s’était engagée auprès de l’Etat à accroître sa production, portant ainsi les terres cultivées de 9 600 à 11 700 ha, dans le but de faire passer la production raffinée de 100 000 à 150 000 tonnes, afin de satisfaire toute la demande intérieure du Sénégal, et dans le même temps, réduire ses coûts moyens en vue de baisser les prix au détail. Mais, à ce jour les Sénégalais achètent encore le kilo de sucre à 700 Fcfa quand les Mauritaniens et les Gambiens le paient à moins 300 Fcfa ou 400 Fcfa.

Par Moustapha Cissé (Dakar, correspondance)
Le 27/11/2020 à 12h10, mis à jour le 27/11/2020 à 14h11