Afrique du Sud: les robinets de Johannesburg à sec à la veille d’élections cruciales

Des habitants brandissent des pancartes lors d'une manifestation contre l'absence d'accès à l'eau dans la région de Blairgowrie, à Johannesburg, le 12 mars 2024.

Des habitants brandissent des pancartes lors d'une manifestation contre l'absence d'accès à l'eau dans la région de Blairgowrie, à Johannesburg, le 12 mars 2024.. AFP or licensors

Le 20/03/2024 à 14h11

Revue de presseD’ici deux mois, les Sud-africains sont appelés aux urnes pour des élections les plus indécises du pays depuis la fin de l’apartheid en 1994. Beaucoup de facteurs vont peser sur ce scrutin: violences, corruption, délestages électriques, accès à l’eau potable... des fléaux qui ne cessent d’alimenter la défiance des populations envers les autorités. Cet article est une revue de presse tirée du quotidien Le Monde.

Les dirigeants de l’ANC ont des soucis à deux mois d’élections cruciales en Afrique du Sud. Et pour cause, le mécontentement des citoyens à l’égard des dirigeants qui ont succédé à Nelson Mandela grandit de jour en jour. En plus de la corruption, du chômage élevé et des violences qui sont structurels, les délestages d’électricité et les pénuries d’eau se sont ajoutés au cortège des colères des citoyens sud-africains.

Cette situation catastrophique est inimaginable dans le pays le plus industrialisé du continent et le troisième ayant le produit intérieur brut le plus élevé. «Dix jours qu’ils n’ont plus d’eau au robinet. Plus d’eau pour laver les enfants, pour vider les toilettes, pour la cuisine et les lessives. Et personne pour leur dire quand le cauchemar prendra fin», souligne Le Monde.

En effet, depuis une vingtaine de jours, les robinets de la métropole de 4,5 millions d’âmes sont à sec. Certains habitants sont restés plus d’une dizaine de jours sans prendre de douche. Et pour s’approvisionner en eau, il faut courir derrière les camions-citernes, des bidons à la main.

La population a été même appelée à descendre dans les rues de Johannesburg pour protester contre les coupures d’eau et d’électricité qui surviennent dans la plus grande place financière du continent et poumon économique du pays.

Preuve que cette dégradation prend de l’ampleur, ce ne sont plus seulement les populations noires qui ont subi les injustices de l’apartheid qui manifestent leur mécontentement face au chômage et aux coupures d’eau et d’électricité. La classe moyenne majoritairement blanche manifeste aussi sa colère. «Voir cette frange de la population brandir des pancartes est un phénomène nouveau à Johannesburg. Il relève un point de bascule: les crises multiples qui frappent l’Afrique du Sud n’épargnent plus personne», souligne le quotidien français.

Sur ce point, l’ANC, le parti au pouvoir depuis la fin de l’apartheid en1994, a fait l’unanimité contre lui. «Est-ce qu’on en est vraiment arrivés là? Si les gens faisaient leur travail, s’ils s’occupaient des infrastructures… Mais au lieu de ça, on détourne de l’argent, il n’y a pas de transparence, pas de communication», s’insurge Niamh Faherty, une mère célibataire citée par Le Monde.

Dans une tentative désespérée de justifier les coupures d’eau, qu’elles imputent à un éclair qui aurait frappé une station de pompage, les autorités n’ont convaincu personne à Johannesburg ni à Durban et encore moins à Nelson Mandela Bay… La situation est plus désastreuse encore dans certaines régions où les populations peuvent rester des semaines, parfois des mois, sans eau ni électricité. Et même les camions-citernes censés alimenter les populations, notamment celles des quartiers déshérités, ne sont pas réguliers.

Si la sécheresse, exacerbée par le réchauffement climatique, n’est pas étrangère à cette situation, la raréfaction des précipitations est loin d’expliquer la récurrence des coupures d’eau qui touche toutes les régions du pays.

A Johannesburg, «les pluies n’ont pas manqué et le barrage qui alimente la ville est bien rempli. Seulement, le système craque de tous côtés». «Au moins 40% de l’eau potable est perdue avant d’atteindre les robinets», explique Anja du Plessis, un spécialiste en gestion des ressources hydrauliques, avant d’ajouter que «c’est de pire en pire et ça ne va pas s’arranger. Depuis 2022, on entend parler de coupures d’eau tous les jours. La situation a dégénéré rapidement et ce ne sont pas seulement les infrastructures qui sont défaillantes, c’est tout le système, parce que les gens en poste n’ont pas forcément les qualifications pour gérer ces réseaux complexes. Si vous mettez bout à bout les infrastructures délabrées, une gestion incompétente et l’absence de volonté politique pour essayer d’y remédier, vous vous retrouvez face au problème que nous avons à Johannesburg».

Et c’est là la défaillance des dirigeants de l’ANC qui se sont succédés à la tête du pays depuis le départ de Mandela. Ils n’ont pas réalisé d’investissements et encore moins entretenu les infrastructures datant de l’ère de l’apartheid. Résultat, toutes ces infrastructures sont aujourd’hui dans un état lamentable et expliquent, en grande partie, les déficits en eau et en électricité, aggravés par la croissance démographique.

Se greffe à cet échec, l’incapacité des dirigeants à faire face aux problèmes qui soulève le mécontentement. En effet, cela fait des années que les coupures d’électricité et d’eau sont courantes sans qu’une réponse n’y soit apportée.

Globalement, le pouvoir accumule les déboires à deux mois de la présidentielle prévue le 29 mai prochain. Même les plus fidèles de l’ANC comptent lui tourner le dos. «Notre ANC-là, c’est très mauvais… On devrait voter pour les autres pour une fois… On veut que ça change !», avance un habitant de Soweto.

En clair, même les inconditionnels du parti de Mandela, au pouvoir depuis 1994, sont déçus et comptent ne plus le soutenir. «Trente ans qu’ils sont au pouvoir et ils n’ont rien fait pour les gens! Au contraire, ça empire. Ils prétendent qu’on est unis mais vous en voyez, vous, des responsables de l’ANC venir chercher de l’eau ?», se révolte Trevor, habitant de Soweto.

En tout cas, tous les sondages et enquêtes d’opinion font ressortir ce mécontentement. Tout indique qu’après avoir conservé seul le pouvoir, l’ANC perdra la majorité absolue pour la première fois et sera sanctionné pour les affaires de corruption qui touchent le sommet de l’Etat et l’incapacité de ses dirigeants à relever les défis socio-économiques.

Par Kofi Gabriel
Le 20/03/2024 à 14h11