Nigeria: d’où viennent les accusations de persécutions contre les chrétiens?

Des chrétiens nigérians.

Le 03/11/2025 à 07h38

Vendredi, le président américain Donald Trump a inscrit le Nigeria dans la liste des pays «particulièrement préoccupants» («Country of Particular Concern», CPC) en termes de liberté religieuse en raison «de la menace existentielle» pour les chrétiens au Nigeria.

Cette décision intervient après des mois de lobbying de la part d’élus américains qui estiment que les chrétiens font face à un «génocide» dans le pays le plus peuplé d’Afrique, ce que démentent les autorités d’Abuja.

Sur quoi se fondent ces accusations?

Le Nigéria est miné par des problèmes sécuritaires. La région nord-est est un foyer de l’insurrection jihadiste Boko Haram, qui a fait plus de 40.000 morts et déplacé plus de deux millions de personnes depuis 2009, selon les estimations des Nations unies.

Boko Haram et son groupe dissident, la Province d’Afrique de l’Ouest de l’État islamique (ISWAP), sont toujours actifs bien qu’affaiblis par rapport à il y a quelques années.

Dans le centre du pays, les affrontements meurtriers entre les éleveurs peuls, principalement musulmans, et les agriculteurs, souvent chrétiens, sont récurrents et souvent présentés comme des conflits inter-religieux alors qu’ils trouvent en général leurs racines dans la compétition pour l’accès aux terres.

Dans le nord-ouest, des gangs criminels -appelés localement «bandits»- terrorisent les communautés en attaquant des villages, en tuant et kidnappant pour obtenir des rançons et en incendiant des maisons après les avoir pillées.

«La caractérisation du Nigeria comme un pays intolérant sur le plan religieux ne reflète pas notre réalité nationale», a réagi samedi sur X le président nigérian Bola Tinubu.

«La liberté religieuse et la tolérance ont toujours été au cœur de notre identité collective et le resteront toujours», a-t-il ajouté.

Qui relaie ces accusations ?

- Des politiciens conservateurs: en mars, le républicain américain Chris Smith, membre de la chambre des Représentants, a plaidé en faveur de la réintégration du Nigeria dans la liste des «pays particulièrement préoccupants».

Début octobre, le sénateur américain Ted Cruz et le membre du Congrès Riley Moore ont accusé le gouvernement nigérian de fermer les yeux sur le «massacre» des chrétiens.

Leurs déclarations ont trouvé un écho auprès de politiciens d’extrême droite européens, dont Dominik Tarczyński, député polonais au Parlement européen.

- Des associations de défense des chrétiens: l’ONG Open Doors («Portes Ouvertes») a publié un rapport en 2023 selon lequel «89% des chrétiens martyrisés dans le monde se trouvent dans un seul pays: le Nigeria».

Open Doors est une organisation néerlandaise faisant du prosélytisme chrétien à travers le monde, notamment via la distribution de bibles. Son rapport est régulièrement cité par les politiciens américains demandant des sanctions contre le Nigeria.

La branche américaine d’Open Doors a fait sécession en 2023 et lancé sa propre organisation, Global Christian Relief, également très impliquée dans le narratif faisant du Nigeria «la capital mondiale des martyrs chrétiens».

- Des séparatistes biafrais: les mouvements séparatistes biafrais, du nom de la région du sud du Nigeria frappée entre 1967 et 1970 par une guerre civile qui a fait au moins un million de victimes civiles, défendent depuis longtemps l’idée que les chrétiens sont persécutés au Nigeria.

Le Gouvernement de la République du Biafra en exil, du séparatiste Simon Ekpa, a embauché un lobbyiste à Washington, l’ancien représentant du Congrès Jim Moran, pour défendre ses visées séparatistes et alerter sur les «persécutions de Chrétiens au Nigeria».

Quelle est la réalité des chiffres?

Ladd Serwat, analyste senior pour l’Afrique au sein du groupe de réflexion américain Armed Conflict Location and Event Data (ACLED), a déclaré à l’AFP que la violence islamiste est «aveugle» et ne respecte pas les différences religieuses.

M. Serwat a qualifié d’«exagérées» les affirmations d’élus américains selon lesquelles jusqu’à 100.000 chrétiens auraient été tués.

Selon les données de l’ACLED transmises à l’AFP, 52.915 civils ont été tués dans le cadre d’assassinats politiques ciblés depuis 2009, musulmans et chrétiens confondus.

Les données montrent qu’il y a eu au moins 389 cas de violence ciblant les chrétiens entre 2020 et 2025, avec au moins 318 morts. Au cours de la même période, 197 attaques ont visé des musulmans, faisant au moins 418 morts.

Quelles conséquences pour le Nigeria?

La réintégration du Nigeria dans la liste des CPC pourraient amener à l’adoption par Washington de sanctions contre Abuja telles que des sanctions économiques, des gels d’avoirs, des interdictions de voyager, etc...

Le Nigeria avait intégré la liste des CPC en 2020, lors du premier mandat du président Trump, et en avait été retiré l’année suivante sous la présidence de Joe Biden.

En juillet, les Etats-Unis ont restreint les visas pour les Nigérians, dans le cadre de la politique anti-migratoire répressive de l’administration Trump, les limitant à trois mois.

Mi-octobre, le conseiller pour l’Afrique de Donald Trump, Massad Boulos, installé au Nigeria depuis plusieurs décennies, a affirmé que les jihadistes tuaient «plus de musulmans que de chrétiens».

Par Le360 Afrique (avec AFP)
Le 03/11/2025 à 07h38