Algérie. Fiasco automobile: pas de voitures neuves, ni de pièces détachées et des concessionnaires aux abois

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Le 06/09/2021 à 14h06, mis à jour le 06/09/2021 à 14h08

Le fiasco de l’industrie automobile continue d’impacter le secteur et les citoyens algériens privés de voitures neuves et de pièces de rechange. Quant aux concessionnaires automobiles, ils sont toujours dans l’expectative et ont appelé le président Tebboune à la rescousse.

De jour en jour, le fiasco de l’industrie automobile se dévoile au grand jour. En plus de priver les citoyens algériens de véhicules neufs, ceux-ci ne peuvent même plus se procurer de pièces détachées, avec toutes les conséquences désastreuses que cela peut entraîner au niveau de la sécurité routière et donc de la sécurité des citoyens.

Ces éléments résument à eux seuls le désastre d'une politique automobile qui a manqué de vision stratégique en dépit des changements de dirigeants (présidents, Premiers ministres et ministres de l'Industrie) qui ont tous échoué à faire naître une industrie automobile.

Et cet échec politique est pointé du doigt par les concessionnaires automobiles algériens aux abois qui ont adressé une lettre au président Abdelmadjid Tebboune afin d'intervenir pour sauver leur secteur au bord du gouffre et des citoyens privés de véhicules neufs et de pièces de rechange.

Cette situation catastrophique, dans laquelle se trouve le secteur des concessionnaires automobiles, est tout simplement le résultat des politiques successives mises en place ces dernières années.

Tout a commencé en 2014 quand les autorités ont obligé les concessionnaires de véhicules neufs à effectuer des investissements dans l’industrie automobile avant fin 2016 au risque de perdre leur agrément.

Pour obliger les concessionnaires à s'adapter à la nouvelle situation, les autorités ont, dès 2016, mis en place la politique des quotas de véhicules neufs à importer par chaque concessionnaire, tout en réduisant drastiquement le nombre de véhicules neufs à importer.

Ainsi, alors que l’Algérie importait annuellement entre 350.000 et 400.000 unités par an, les autorités n’ont autorisé que l’importation de 83.000 unités en 2016 au profit de 40 concessionnaires.

L’objectif louable visé par les autorités était de réduire la facture des importations automobiles (3,02 milliards de dollars en 2015) dans le sillage de la chute des réserves en devises et ainsi impulser la naissance d’une industrie automobile.

Seulement, cette politique n’a pas été bien pensée par les gouvernements des présidents Bouteflika, Bensallah et Tebboune qui se sont succédé à la tête du pays. L’improvisation, la corruption, le copinage entre oligarques et dirigeants, ont conduit à l’échec lamentable de cette politique industrielle.

L’industrie du montage n’a pas connu le succès escompté. A peine 90.000 unités ont été montées en 2017 pour une facture d’importation de kits automobiles s’élevant à 1,8 milliard de dollars. Et en 2018, cette facture s’est élevée à 3 milliards de dollars pour à peine 100.000 unités montées en Algérie. En 2015, le même montant avait permis l'importation de 255.236 véhicules neufs...

En clair, les importations de véhicules neuves ont été remplacés par des importations déguisées de kits automobiles et parfois même de véhicules entièrement montés auxquels il ne manquait que des roues à placer!

En 2019, face à l’échec des unités de montage, les autorités ont décidé de fixer des quotas d’importations de kits afin de favoriser l’intégration du contenu local. Seulement, en l’absence de fournisseurs locaux et d’équipementiers, c’était peine perdue.

Conséquence, cette politique de réduction des importations des kits, décidée dans la précipitation, s’est traduite, dans le sillage des règlements de compte entre l’ancien homme fort du pays, feu Ahmed Gaïd Salah, alors chef d’état-major de l’armée algérienne, et les oligarques du secteur automobile proche des Bouteflika (Tahkout, Kouninef, Eulmi…), par un net ralentissement des unités de montage automobile du pays.

Pire, à son arrivée au pouvoir, Tebboune a tout simplement pris la décision radicale d’interdire les importations de kits automobiles signant l’arrêt total du secteur du montage automobile algérien, pour les rares unités qui continuaient encore à fonctionner, au ralenti. Une décision dictée par la chute des réserves en devises du pays.

Et face au manque de visibilité, certains constructeurs mondiaux qui s’étaient implantés en Algérie ont jeté l’éponge. Après Volkswagen et Kia, Hyundai a suivi. Manquant de visibilité, ces géants de l'industrie automobile ont préféré mettre la clé sous la porte de leurs unités de montage automobile en Algérie. Il faut dire que les dernières décisions prises par les autorités, dont un taux d’intégration de 30% dès la première année d’implantation, est irréaliste sachant que c’est le néant total au niveau de l’écosystème automobile, marqué par l'absence d'équipementiers et de fournisseurs de composants automobiles.

Face à cet échec de l’industrie automobile, la Confédération algérienne du patronat citoyen (CAPC) a demandé au gouvernement de changer son fusil d’épaule en reportant les projets liés à la construction automobile et de soutenir la mise en place d’entreprises de production de pièces de rechange qui pourront représenter les bases d’un écosystème automobile devant contribuer au développement de cette industrie.

Il faudra aussi assainir le climat des affaires pour pouvoir attirer des partenaires, des équipementiers et des fournisseurs à l’industrie automobile naissante.

En attendant, le département de l’Industrie voit défiler les ministres sans qu’aucun d’eux n’arrive à apporter une vision stratégique, à court, moyen et long termes, claire au secteur de l’industrie automobile.

Conséquence de l’arrêt des unités de montage et de la politique d’interdiction d'importation de véhicules neufs, le marché algérien est privé de voitures neuves. Une situation qui avait poussé les citoyens à se rabattre sur les véhicules d’occasion avant que les prix de ceux-ci ne flambent également et que les autorités ne sévissent en interdisant aussi leur importation. Du coup, les Algériens sont privés tant de véhicules neufs que d’occasion et ce, depuis plusieurs années.

«Le citoyen algérien attend la libération de l’importation des véhicules dans les plus brefs délais, alors que les prix des véhicules d’occasion ont atteint le double du prix d’un véhicule neuf», soulignent les concessionnaires dans une lettre adressée au président Abdelmadjid Tebboune.

Ainsi, un Kia Picanto de 2019 a été vendu à 3 millions de dinars algériens, soit 22.730 dollars, selon Mustapha Zebdi, président de l’Organisation algérienne de protection et d’orientation du consommateur et son environnement (Apoce). A titre de comparaison, la neuve importée est vendue entre 12.400 (entrée de gamme) et 16.000 dollars (toutes options) au Maroc.

Face à cette situation, les concessionnaires, obligés d’assurer le service après-vente pour les véhicules encore sous garantie, sont dans l’expectative. Conséquences de cette politique industrielle sans vision stratégique, nombreux d’entre eux ont disparu entraînant la suppression de plusieurs dizaines de milliers d’emplois. Selon eux, le secteur de la concession a perdu plus de 30.000 emplois directs et des dizaines de milliers d'emplois indirects à cause des politiques automobiles. 

Aujourd'hui, considérant que cet échec est avant tout politique, ils ont adressé une lettre au président Abdelmadjid Tebboune pour sauver leur secteur en détresse en demandant à débloquer les agréments permettant les importations de véhicules neufs et de pièces détachées.

En effet, malgré les nombreuses promesses des dirigeants, les agréments ne sont pas attribués aux concessionnaires qui ont réussi à résister à la crise.

Il faut dire que les trois cahiers des charges qui ont été concoctés par les derniers ministres qui se sont succédé au niveau du département de l’Industrie n’ont pas connu de suites favorables. Ainsi, les concessionnaires ne peuvent importer ni de véhicules neufs, ni de pièces de rechange d’origine. «Nous nous retrouvons dans l’impossibilité d’importer des pièces détachées d’origine car n’ayant pas reçu d’agrément de concessionnaire de la part du ministère de l’Industrie. Ceci a engendré une perturbation dans la maintenance des véhicules en raison de la rareté de la pièce d’origine nécessaire», soulignent les concessionnaires dans la missive adressée au Président.

Et au final, c’est le citoyen algérien qui trinque. D’abord, il ne peut pas se procurer de véhicule neuf importé, depuis plusieurs années. Ensuite, les véhicules montés localement en nombre très insuffisants étaient beaucoup plus chers que ceux importés. Et enfin, ne pouvant se procurer de pièces de rechange d’origine, les détenteurs de véhicules sont obligés de recourir au marché parallèle en déboursant des sommes astronomiques pour des pièces de contrebande et de contrefaçon avec de graves conséquences en matière de sécurité routière et ce, même s’il ont des véhicules encore sous-garantie.

Reste que pour le président Tebboune et son gouvernement, le seul clignotant qui les préoccupe est celui du niveau des réserves de change du pays qui a beaucoup fondu au cours de ces dernières années. D'ailleurs, la Banque centrale et l'argentier du pays qui est aussi le Premier ministre, essaient d'éviter de donner le montant exact des réserves en devises du pays.

Après 8 ans de tergiversations au sommet de l’Etat en ce qui concerne la politique de l’industrie automobile à suivre, c'est retour à la case de départ...

Par Karim Zeidane
Le 06/09/2021 à 14h06, mis à jour le 06/09/2021 à 14h08