L'Algérie évincée par les Etats-Unis de sa position de premier fournisseur de gaz à l’Espagne

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Le 17/04/2020 à 14h21, mis à jour le 17/04/2020 à 14h31

C'est une nouvelle source d’inquiétude pour l’Algérie, qui a perdu sa position de premier fournisseur de l’Espagne en gaz depuis 30 ans. Les Etats-Unis viennent de s'emparer de cette position, en février dernier. Une situation qui illustre la crise que traverse ce secteur, stratégique dans le pays.

Malgré sa proximité géographique et l’existence de deux oléoducs alimentant directement l’Espagne à partir des champs gaziers du pays, l’Algérie est en train de perdre du terrain sur le marché qu'elle détenait depuis trente ans d’exportation de gaz vers l’Espagne.

En effet, selon les données de Cores relatifs aux importations de gaz de l’Espagne durant le mois de février, l’Algérie, qui représentait jusqu’à 48,5% du gaz consommé en Espagne, a perdu du terrain face à de nouveaux concurrents, notamment les Etats-Unis, en tant que premier fournisseur de gaz à l'Espagne.

En février dernier, les importations de gaz naturel, alors en légère augmentation, de l'ordre de 0,2%, se sont établies à 29.345 GWh. Les Etats-Unis ont de leur côté assuré 7.924 GWh d'exportations de gaz vers l'Espagne, s’arrogeant ainsi une part de marché de l'ordre de 27% dans ce pays, et devenant du coup le principal fournisseur de l'Espagne en gaz, pour la première fois depuis trois décennies.

Pour sa part, l’Algérie a été reléguée à la seconde position des fournisseurs d’Espagne en gaz avec 6.631 GWh, soit une part de marché de 22,6%, loin derrière les Etats-Unis.

Cette baisse des parts de marché de l'’Algérie n’est pas nouvelle. En 2018, le pays avait fourni 48,5% des besoins en gaz naturel de l’Espagne, en 2019, les achats espagnols en gaz en provenance de l’Algérie avaient déjà fortement baissé, ramenant cette part à seulement 38,4%. Selon les prévisions, la part de l’Algérie devrait tomber à hauteur de 24% au titre de l’année en cours.

Une chose est claire, la position dominante de l’Algérie sur ce marché qu'elle domine depuis trente ans est actuellement remise en cause. En plus de la concurrence directe des Etats-Unis, d’autres pays d'Afrique, d’Amérique Latine et du Golfe souhaitent eux aussi désormais une part de l'important marché ibérique.

Les Etats-Unis qui ont connu un véritable boom dans l'exploitation de leurs ressources en gaz, avec celles du gaz de schiste de leur sous-sol, sont devenus non seulement désormais en auto-suffisance, mais aussi d'importants exportateurs de gaz.

Ensuite, des pays africains, tels la Guinée Equatoriale ou encore le Nigeria, commencent eux aussi à monter en puissance sur le marché gazier espagnol. L’Espagne a également renoué d'anciens contrats avec des sociétés d'exploitation gazières vénézuéliennes. Le Qatar et la Russie sont, de leur côté, eux aussi devenus agressifs sur le marché gazier espagnol.

Après avoir bénéficié d’une position dominante sur le marché espagnol, l’Algérie se retrouve ainsi désormais confrontée à une farouche compétition, à propos de laquelle elle ne s'était jamais vraiment préparée. En conséquence, Alger perd chaque année de grosses parts de ce marché.

La situation en Algérie va d'ailleurs se corser davantage avec la forte décrue du cours du baril de pétrole, qui intensifie la compétition au niveau du marché du gaz.

La guerre des parts de marché constatée sur les exportations de pétrole risque donc de se produire également sur celles du gaz algérien, et l'Algérie pourrait donc se retrouver être la grande perdante sur le marché espagnol, où sa position risque de devenir résiduelle dans les années à venir.

Cette perte de position est aussi et surtout le résultat de la volonté des dirigeants espagnols de diversifier leurs sources d'approvisionnement énergétique, afin d’atténuer leur dépendance vis-à-vis de l’Algérie, qui assurait près de la moitié de la demande en gaz du pays. Cette politique, que mène le gouvernement socialiste depuis 2018, a déjà, en une année de mise en oeuvre, commencé à modifier la répartition des parts de marché des pays exportateurs de gaz et de pétrole vers l'Espagne. 

Pourtant, l’Algérie détient, aujourd'hui encore, des atouts considérables, dont sa proximité géographique avec l'Espagne, et l’existence de deux oléoducs, à même de transporter directement le gaz des sites d’exploitation vers l’Espagne, et lui conférant une compétitivité intéréssante.

Toutefois, en plus de la volonté des autres pays à gagner des parts de marché, l’Algérie fait face à des problèmes structurels, en ce qui concerne son activité d'exploitation de ses ressources gazières. La production de ce secteur d'activité n'a pas cessé de baisser au cours de ces dernières années, du fait des déclins en ressources des puits de gaz algériens, et des problèmes rencontrés dans de nouveaux investissements, l’entretien et l'équipement des infrastructures existantes d'exploitation. 

De plus, à cause de la forte hausse de la consommation locale en gaz, estimée à 10% annuellement, du fait des subventions de l’Etat qui incitent au gaspillage, une part de plus en plus importante du gaz produit est localement consommée.

Un ancien ministre de l’Energie, Mustapa Guitouni, avait d'ailleurs annoncé qu’il n’y aura plus de gaz à exporter depuis le pays, dès cette année 2020, ce qui a certainement poussé l’actuel président, Abdelmadjid Tebboune, à envisager de commencer à exploiter les ressources en gaz de schiste présentes dans le sous-sol du Sahara algérien, ce qui avait entraîné un mouvement de colère des habitants de ces régions, qui craignent des conséquences néfastes de cette activité sur l'environnement.

Sachant que les exportations de pétrole et de gaz représentent 95% des recettes d’exportation de l'Algérie, les pertes des parts de marché sur un marché aussi important que celui de l'Espagne ne sont pas rassurantes à propos de l’avenir du secteur gazier algérien, surtout en cette période de crise multidimensionnelle que traverse le pays.

Par Karim Zeidane
Le 17/04/2020 à 14h21, mis à jour le 17/04/2020 à 14h31