C'est le coup dur dont n'avait pas besoin l'Algérie en prise avec la plus grave crise économique de son histoire. Non seulement elle perd son plus gros client, mais elle doit aussi se présenter devant la justice avec lui.
Selon le quotidien espagnol Cinco Dias, dans sa livraison du lundi 18 mai, Naturgy Energy Group, client de la Sonatrach, a décidé de rompre le contrat de livraison annuelle de 9 milliards de m3 de gaz, ce qui représente quelque 18% des 50 milliards de m3 qu'exporte l'Algérie.
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Cette grave décision, prise le 29 avril par Francisco Reynes, le PDG du groupe énergétique espagnol, sera suivie d'une demande d'arbitrage. Car Naturgy se sent lésée par la Sonatrach. En effet, cette dernière aurait refusé de réduire les prix pratiqués, alors même que les cours internationaux ont reculé de 30%.
La compagnie algérienne aurait-elle rejeté les demandes de renégociation des tarifs parce qu'elle se sentait en position de force? A-t-elle tablé sur le fait qu'il semblait y avoir une dépendance de l'Espagne connectée à l'Algérie par deux gazoducs facilitant le transport? C'est une question à laquelle la Cour internationale d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale de Paris ou de Genève devra répondre.
Quoi qu'il en soit, cette décision est très lourde de conséquences pour les finances algériennes. Le pays devra trouver rapidement de nouveaux clients et sera obligé d'accepter ce qu'elle a toujours refusé à son client espagnol, c'est-à-dire une forte baisse de son prix de vente.
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Pour sa part, la compagnie espagnole a déjà trouvé des remplaçants à la Sonatrach, en se tournant vers les Américains et les Russes. Depuis quelques mois déjà, les Etats-Unis sont devenus le premier fournisseur de gaz à l'Espagne, coiffant l'Algérie au poteau.
"Sur un plan géopolitique, il est préférable d'avoir affaire à un fournisseur américain qui ne fonctionne que selon les lois du marché que d'avoir affaire à l'humeur des généraux algériens", analyse un expert en hydrocarbures.
Il se pose aussi la question de savoir si le Maroc, pays par lequel transitent annuellement 5 milliards de m3 de gaz algérien vers l'Espagne et le Portugal, sera affecté par cette nouvelle situation. En effet, une bonne partie des exportations algériennes de gaz vers les deux voisins de l'autre rive de la Méditerranée passe encore par le Royaume chérifien. L'autre partie emprunte le gazoduc reliant directement l'Algérie à la ville espagnole d'Almeria.
Selon un expert consulté par Le360, "cette rupture du contrat pourrait ne pas affecter le Maroc, dans la mesure où le gazoduc passant par le détroit de Gibraltar ne plonge qu'à faible profondeur dans la mer Méditarranée et ne parcourt qu'une distance de 14 kilomètres".
En revanche, le gazoduc exploité par la société Medgaz, reliant le port de Béni Saf en Algérie à Almeria en Espagne, est long de 210 km et plonge jusqu'à 2000 mètres sous la mer. Par conséquent, son exploitation est beaucoup plus coûteuse. Ce qui pourrait orienter le reste des exportations à partir du principal site gazier algérien de Hassi R'mel vers le gazoduc passant par le Maroc.
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Il convient néanmoins de rappeler que cette position d'intransigeance de l'Algérie, ayant conduit à la rupture du contrat avec l'Espagne, est peut-être liée au futur du gazoduc passant par le Maroc. Futur qui pourra changer beaucoup de choses. En effet, à partir de 2021, la partie du gazoduc passant par le territoire marocain appartiendra entièrement au Royaume, qui sera libre de fixer le prix du transport du gaz algérien vers l'Espagne. Une perspective qui n'enchante guère le gouvernement algérien, celui-ci ne cessant de montrer son inimitié à son voisin.
Quoi qu'il en soit, après Naturgy, il ne faudrait pas s'étonner que le groupe italien Eni, plus gros client de la Sonatrach, lui emboîte le pas. En effet, en cas d'arbitrage défavorable à la compagnie algérienne, Eni n'aurait aucun mal à faire de même. Ce serait une catastrophe pour l'Algérie, qui serait ainsi obligée de faire passer le prix unitaire de 7 dollars par million de BTU à 2 dollars seulement.